le 8 mars, c’est dans cinq jours «la guerre des sexes : une guerre de trop »

Introduction

Je remercie la Cafo pour cette heureuse initiative qui, je l’espère, nous permettra, hommes et femmes, d’aller plus loin dans la compréhension, les uns des autres, gage de paix intérieure, et de paix tout court. On est, en effet, bien avec autrui, en l’occurrence le sexe opposé, que lorsqu’on est bien avec soi-même. Et c’est en étant bien les uns avec les autres- hommes et femmes, aînés et cadets- que nous pouvons réinventer le présent et l’avenir sur une base solide, parce que solidaire.

Mais comment dépasser l’approche conflictuelle et par conséquent contre-productive qui a prévalu jusqu’ici et qui persiste dans l’analyse des rapports hommes/ femmes ? En revendiquant l’initiative dans la production des énoncés et dans la formulation des solutions et des perspectives, les Africaines ayant brillé par leur absence dans l’analyse de leur propre situation ?  On nous a, en effet, tendu un miroir et pas n’importe lequel : il grossit certains traits de nos sociétés et en occulte d’autres. L’image que nous avons fini par intérioriser de nous-mêmes en tant que femmes africaines suscite, la plupart du temps, apitoiement sur notre propre sort et condescendance de la part des autres.

L’amour, l’affection, la solidarité, l’amitié et les mécanismes de résolution des conflits qui nous ont, jusqu’ici, permis, hommes et femmes, de vivre et de tenir ensemble sont ignorés et évacués. Je ne prétends point, en faisant référence à ces valeurs, que tout est parfait ou que tout l’était dans un passé qui ne serait alors que mythique. Je déplore seulement le fait que le discours dominant sur les rapports hommes/ femmes en Afrique ait fait de nous rien d’autres que des êtres soumis, mutilés, battus et marginalisés…à secourir par la communauté internationale. Cette situation est extrêmement grave au plan politique, social et culturel.

Les propos d’Antoinette FOUQUE, l’une des féministes françaises les plus convaincues, lèvent le doute sur le caractère eurocentriste du discours  dominant. Elle fait remarquer que « l’Europe  continue à jouer un rôle phare pour toutes les femmes parce qu’elle est le creuset où s’élabore et se réalise l’égalité des droits dans tous les domaines : justice, éducation, nutrition, culture… » Antoinette FOUQUE considère également que les Européennes qui, désormais, connaissent leurs nouveaux droits, se sentent « spontanément solidaires de toutes  celles qui, de la Birmanie à l’Algérie, du Bangladesh au Rwanda réclament d’être aidées dans leur lutte contre les intégrismes, l’excision ou la polygamie. »

Solidarité  ne peut pas être plus encombrante et plus tonitruante. Elle a desservi et continue de desservir les femmes africaines, plus ou moins condamnées à négocier leur présent et leur avenir avec les armes théoriques des femmes du Nord qui s’estiment être bien dans leur tête et dans leur corps parce que « libérées. » Le mouvement de libération des femmes maliennes et africaines reproduit ainsi le schéma tragique et suicidaire du processus de développement tel qu’il a fonctionné jusqu’ici. Il faut de l’Occident le point de mire et l’unique référence. Rigoberta MENCHU, femme du Sud et Prix Nobel de la Paix, fait remarquer comme pour répondre à Antoinette FOUQUE que « nous n’avons d’avenir que dans une lutte politique et nationale pour faire évoluer les choses.

Le reste, c’est-à-dire ce que défendent et réclament les féministes des pays occidentaux, je le respecte quoique je ne comprenne pas ce concept de féminisme. »
La même rupture épistémologique s’impose aux femmes maliennes et africaines  qui doivent comprendre qu’elles n’ont pas de destin autre que celui de leur et que les hommes ne sont pas nos adversaires mais des alliés dans un combat dont les enjeux dépassent nos intérêts individuels et immédiats. Cette alliance nouvelle qui s’impose ne se conçoit pas et ne se construit pas dans la victimisation des femmes et la culpabilisation des hommes. Elle participe à une nouvelle prise de responsabilité face à la domination économique et à l’humiliation.

Analphabètes, pauvres et humiliés

Père, oncle, frère, époux, amant ou ami, le discours dominant eurocentriste et hégémoniste rend l’homme, tous les hommes responsables de tous nos maux et de notre statut de femme : « analphabètes, pauvres et mutilées. »  Pour l’heure, l’image misérabiliste de la femme africaine battue et mutilée se vend bien dans un environnement international où les hommes se délectent de l’auto- flagellation des dominées.

Cette approche manichéiste des rapports hommes/ femmes manque de rigueur au plan social et culturel. Chacune d’entre nous sait que la nature des rapports qu’elle entretient avec tel ou tel homme dépend du rôle social et parental de ce dernier.  En tant que fille, nous écoutons et respectons nos aînés- pères, oncles ou frères- qui nous respectent et nous protègent la plupart du temps. En tant que mères, nous aimons et protégeons nos fils qui, dans les circonstances normales, nous vénèrent. En tant qu’épouses, nous aspirons à être aimées, écoutées et respectées de nos conjoints qui ne peuvent pas nous malmener impunément, sans réprobation de la société.

Il nous faut consolider ces liens sociaux, renégocier les rapports qui nous desservent à l’aide de nos moyens propres au lieu de nous nourrir de la révolte des femmes « libres et émancipées » du Nord.
Nous avons, en somme, en tant qu’Africaines et Maliennes, des atouts mais aussi nos propres raisons de nous révolter, de nous mobiliser et de militer pour nos droits sociaux, économiques et politiques. Ce sont ces raisons qu’il nous faut cerner en vue de développer nos propres arguments, de convaincre et de vaincre nos véritables ennemis que sont le manque de confiance en nous- mêmes et la dépendance à l’égard des autres. L’aliénation tourne au désastre social et au ravage psychologique lorsqu’elle devient une source permanente de tensions et de conflits avec nous- mêmes, et notre société au sein de laquelle l’homme devient l’ennemi désigné, , voire le bourreau. Tout se passe finalement comme si, au niveau domestique comme au niveau public, les femmes sont tout simplement invitées à s’engager dans une lutte sans merci pour le pouvoir politique et économique. Il est grand temps de sortir du ghetto théorique des féministes occidentales et du cycle de la violence symbolique.

L’autre subordination

Nul ne saurait douter de la légitimité  de la lutte des femmes africaines et maliennes pour leurs droits à condition que ce processus ne soit pas au service d’autres formes d’asservissement et que leurs exigences d’une amélioration veritable de la situation des femmes et des hommes soient parfaitement claires pour tous. Dans l’état actuel du Mali et de l’Afrique, une subordination- celle qui est dénoncée haut et fort quand il s’agit des rapports hommes/ femmes- en cache une autre : l’assujettissement de nos économies et de nos Etats à l’ordre des nantis.

Sans tomber dans l’apologie  des sociétés traditionnelles africaines, qui ne sauraient être ni parfaites, ni uniformes, ni statiques, il convient de lever le voile sur la dictature du marché et d’insister sur la face cachée du discours dominant sur les femmes africaines dans un ordre mondial qui secrète la pauvreté et exacerbe les conflits  à tous les niveaux. Il se pourrait qu’à l’instar de l’ajustement structurel, qui consiste à prêcher toujours plus d’austérité pour lutter contre la pauvreté, la libération des Africaines se confonde avec toujours plus d’aliénation et d’hégémonie culturelle.

Ce discours dominant que certaines d’entre nous ont intériorisé et manipulent sans précaution est, en fait, l’un des instruments les plus redoutables de la mondialisation qui, derrière des déclarations égalitaristes et pacifistes, ne fait que prolonger les guerres coloniales et la mainmise des possédants sur nos esprits et nos ressources. Elle est, en tant que telle, une agression dont la plupart d’entre nous ne sont pas malheureusement conscientes. Les victimes sont les milliers de femmes, pauvres qui meurent  en couche ou de maladies évitables et faciles à guérir mais qui les emportent tout simplement parce que ni elles, ni leurs familles  n’ont les moyens financiers de faire face aux frais médicaux, ni même au coût d’un kit médical quand il s’agit d’une opération chirurgicale. Un détour par nos hôpitaux édifierait sur la tragédie des femmes pauvres et les défis qui sont les leurs et les nôtres si nous voulons d’un développement social  responsable et durable.

Leur droit le plus fondamental est le droit à la vie que l’ordre néo-colonial bafoue, impunément. Chacun sait que la vie quotidienne de la grande majorité des femmes maliennes et africaines, notamment  celles du milieu rural, est une lutte permanente pour le revenu, la nourriture, le logement, l’éducation de leurs enfants, les soins de santé et l’eau potable. Le fait que les efforts de développement de ces quarante dernières années, en vue de satisfaire ces besoins essentiels, soient restés dans l’impasse, devrait nous interpeller en des termes autres que l’égalité formelle et mathématique  entre hommes et femmes. A quoi sert, du reste, d’être l’égal d’hommes exclus de la production, condamnés à sortir très tôt parce qu’ils n’ont pas le prix de condiments ?

A la différence des conflits armés, dont les victimes se comptent par centaines, la guerre économique tue hommes, femmes et enfants en silence, loin des caméras.
« Nous, femmes du monde »

« Nous, femmes du monde », le cri de ralliement que nous entonnons , depuis la première conférence mondiale sur la femme (Mexico, 1975) et que l’on ose à peine interroger, prône un idéal féminin qui est monolithique et particulièrement mystificateur quand il s’agit de l’Afrique subsaharienne. L’ordre économique, social et politique auquel nous sommes conviées nous distrait d’une lutte qui serait historiquement et politiquement plus justifiée et plus responsable. L’ordre des nantis est, en effet, fondé sur la perception de soi, non pas en tant qu’être social qui a des droits ainsi que des responsabilités, mais en tant qu’individu, libre de toute contrainte. Cet idéal constitue une rupture par rapport aux formes d’existence et de perception de soi, qui ont fait jusqu’ici la cohésion et la force de nos sociétés.

L’approche alternative qui devrait nous permettre aujourd’hui, en tant que femmes, africaines et maliennes, de renégocier notre place dans nos sociétés en mutation rapide et dans le monde (qui se veut un village global) implique le renouvellement de la réflexion à trois niveaux interdépendants : la famille, l’Etat et le monde. La nature des rapports hommes/ femmes dépend davantage de la lecture  qui est faite de ces trois espaces vitaux  et de la manière dont on a envie qu’ils s’interpénètrent. La théorie selon laquelle les femmes sont confinées à la maison est difficilement vérifiable dans nos sociétés agraires où le champ et le marché où elles s’activent se situent à l’extérieur.

La déification du pouvoir économique et financier à ces trois niveaux- famille, Etat, monde- où la compétition  et le bien possédé l’emportent sur la solidarité vraie, est à l’origine de l’effritement actuel du lien social dont les rapports hommes/ femmes. Les uns et les autres sont poussés à s’entredéchirer pour des biens et des services qui sont inaccessibles pour le plus grand nombre. L’Etat post-colonial, qui a rarement su négocier dans l’intérêt du peuple, préfère cautionner la thèse de la violence masculine au lieu de se demander les raisons pour lesquelles hommes et femmes sont aux abois.

L’affrontement, la violence et les divorces interviennent la plupart du temps dans des situations où l’homme, comme les autres membres de sa communauté, perd ses repères, se sent remis en question et fragilisé. Les bas salaires, le chômage et la pauvreté, qui sont les corollaires de programmes d’ajustement structurel qui exacerbent la tendance à l’agressivité ainsi que d’autres comportements de destruction du tissu social et d’autodestruction (alcool, tabac, drogue…).

L’indispensable alliance

Le dialogue suppose un minimum d’indulgence envers l’autre et la confiance réciproque quant à notre aptitude à changer. De même que dès l’enfance, la petite apprend à devenir une femme, le petit garçon apprend à devenir un homme, dans une perspective n’est pas toujours de tout repos. Il est supposé pouvoir faire face aux situations difficiles à l’abri desquelles il doit mettre femme et enfants. La libération de la femme, en termes de rupture et d’opposition au sexe opposé, dans un contexte où l’homme perd ses repères, est souvent vécu par ce denier comme une blessure narcissique que nous devons soigner à travers une thérapie sociale appropriée. La grille de lecture à laquelle les Etats africains et la plupart des Associations et Ong féminines  continuent de se référer dans l’analyse de la situation de la femme n’est, en fait, plus d’actualité ni utile. Les maîtres du monde qui veillent au grain sur l’orientation et la santé de nos économies de manière à ce qu’elles servent d’abord leurs propres intérêts savent que pour transformer le monde, il faut changer les femmes. Pour y parvenir, ils bousculent les frontières, toutes les frontières. Le modèle de l’individu sexué, « non- genré », débarrassé de  toute spécificité culturelle, est en fait l’enjeu caché d’un certain mouvement de libération des femmes. Les mêmes milieux qui excellent dans le double langage plaident cependant pour la diversité culturelle.

Pour le Mali et l’Afrique, retenons en guise de conclusion que le véritable défi réside dans l’égal accès de tous- hommes et femmes- à des ressources qui restent pour l’instant confisquées du fait de l’indifférence des riches et de la myopie politique de l’élite africaine. D’où le bien- fondé du renouveau politique économique et culturel. Il exige une nouvelle éducation civique et éthique des femmes et des hommes afin qu’ils s’imprègnent des termes et des enjeux d’une mondialisation dont l’Afrique est la grande perdante.

ADT

Le National 03/03/2011