« Médaille d’or du cinquantenaire » de 250 millions a ATT :Un coup d’Etat qui ne dit pas son nom


Mais à  qui la faute ? A Voltaire ou à Rousseau ? Nul ne méconnaît aujourd’hui les ambiguïtés qu’entretient le chef de l’Etat sur le fonctionnement normal des institutions de la République et sur l’avenir de la démocratie. Nul n’est non plus besoin d’être devin pour lire dans la pensée d’Amadou Toumani Touré pour savoir que le rouleau compresseur de sa farouche volonté de bousculer les bons principes et règles démocratiques afin de demeurer au pouvoir jusqu’à la fin de sa vie (et peut-être même continuer à le gérer outre-tombe) est en train d’être déroulé sur les agendas politiques futurs et, malheureusement, sur l’éthique et la loyauté. Mais tout le monde semble être dépassé par la rapidité de mise en branle des plans de guerre du Général- Président. Tel des oiseaux surpris par le clair de lune.

Singulièrement, les partis politiques sont comme hypnotisés, en tout cas groggy. On se souviendra longtemps, au moins jusqu’à l’élection présidentielle de 2012 si elle doit avoir lieu, de ce cri de cœur lancé à la classe politique nationale par le sémillant secrétaire général du Parena, Djiguiba Keïta dit PPR : « Partis politiques, ressaisissez- vous. 2012 est proche. » C’était au cours de la cérémonie de fonte du Pdr Dun Kafa Ton de Kalilou Samaké dans l’Urd de Soumaïla Cissé. PPR avait aussi fait vite de dénoncer « les manœuvres de déconcentration des vrais acteurs politiques » pour ensuite clamer que «… c’est après 2012 que le nouveau vainqueur pourra prendre en charge la reforme constitutionnelle.» Tout est dit là. Mais que valent nos partis politiques ? Peu de choses si l’on veut bien admettre l’évidence. Telle est la quadrature du cercle dans laquelle est prise la démocratie malienne.

Un gladiateur dans l’arène

Une quadrature du cercle qui se referme davantage sur eux au moment où est annoncée sans sourciller la date fatidique de la remise solennelle d’une médaille tout d’or à ATT au cours d’une cérémonie qui promet d’être un évènement- phare où il lui sera « réclamé un bonus de deux ans consistant en un prolongement de son mandat », et cela dans le cadre très provocateur d’une arène qui porte le nom du premier Président du Mali ! Comme pour dire : « Le gladiateur est là et il continuera d’être là ! » L’injure, au double plan historique et de la maturation démocratique, est suprême. Tout est pour dire : « Maliens, souffrez bien, le Mali restera sous les seules rênes courtes et capricieuses d’Amadou Toumani Touré. » Car il n’échappe à personne que les calculs sont bien faits. Trente mille personnes attendues pour la circonstance au Stade Modibo Keïta, c’est plus que la capacité de cette enceinte conçue pour 25 000 spectateurs au maximum les grands jours. Il s’agit donc de frapper les yeux et les esprits par une impression d’œuf rempli, de plein à craquer. Une sorte de remake des foules délirantes acclamant Hitler et scandant le nom du Führer nazi entrant triomphalement dans le stade bondé de Nuremberg, image typique d’une dictature populiste en marche. On le sait, toutes les dictatures au monde ont commencé dans l’euphorie et l’enthousiasme, et l’inconséquence populaire fait le reste.

Sinon, pour abriter 30 000 âmes le temps de crier à hue et à dia-ce serait le cas- pour réclamer une rallonge de deux ans du mandat d’ATT, le Stade du 26 mars était symboliquement le mieux indiqué pour justement la parade du héros du 26 mars 1991. Mais l’infrastructure de Yirimadio a une capacité d’accueil de 50 000 places, et pourrait donc laisser voir des vides causés par  20 000 absents même si les 30 000 personnes attendues venaient toutes à faire le déplacement.

Et voilà  que la glorieuse épopée, qui a commencé en mars 1991 pour la transformation de la société malienne vers davantage de liberté et de démocratie, de justice sociale et de solidarité, de paix et sécurité individuelle et collective, n’est plus qu’une funeste construction oligarchique, qu’une marche à reculons délétère vers la tyrannie d’un homme et d’une clique bourrée aux as. Pourtant, quelles luttes ont été menées pour que mars 1991 soit : leur âpreté, les blessures qu’elles ont laissées dans les cœurs et les esprits des hommes, le sang qu’elles ont parfois versé ? De la marche audacieuse de ceux qu’on a appelé à l’époque les « Fous de la démocratie » le 15 octobre 1990 au renversement, six mois plus tard, du régime de Moussa Traoré et de son Udpm, les Maliens ont, en effet, payé un lourd tribut à la Révolution. Et ATT sait.

ATT a bien raison de s’essayer au dictateur

Mais en vouloir à ATT seul peut paraître injuste dans le cas du Mali. L’actuel président de la République a  même raison de s’essayer à la dictature. La faute, nous semble-t-il, est attribuable à 98% à l’ensemble des acteurs politiques nationaux qui ont toujours assisté en spectateurs stériles à la mise en œuvre méthodique et progressive des plans de sa confiscation du pouvoir. Le Mouvement démocratique des années 90 est aujourd’hui divisé et éparpillé en de partis et partis concurrents incapables de réussir une unité d’action. Ses responsables en sont donc forcément contraints de s’accommoder de la volonté du prince régnant. Ce sont, en effet, plus de 100 partis politiques qui se disputent l’échiquier national. Très certainement un recors en Afrique, voire dans le monde. Mais combien fonctionnent normalement ? Très peu. Des partis sans répondant à la base, donc sans électorat et sans vie politique effective, font régulièrement la concurrence à d’autres lilliputiens, tous partis politiques unipersonnels à responsabilité limitée. Leurs dirigeants à la langue bien pendue, toujours en proie au déchaînement des appétits du pouvoir, incapables de conduire une vraie force, manifestent tout le temps une propension à investir, jusqu’à l’embouteillage, les chemins des ministères, si ce n’est de Koulouba. Point de projet de société pour transformer la société malienne vers davantage de mieux-vivre, mais  des camarillas politiques plutôt soucieuses de passeports diplomatiques pour accéder à la nomenklatura.

Les braves émoussés

Il y a à  plaindre singulièrement les grands acteurs du 26 mars 1991. de Me Mountaga Tall à Ibrahim Boubacar Keïta, de Tiébilé Dramé à Dioncounda Traoré, de Soumeylou Boubèye Maïga à Victor Sy ou de Mohammedoun Dicko à Adama Samassékou, il y a comme des héros qui ont égaré leur boussole. Ou,  en tout cas, qui ont l’ardeur politique émoussée puisqu’il ne peut venir à l’esprit d’aucun Malien qu’ils ont vendu leurs âmes au diable. Non, nul ne peut leur faire cette gravissime injure. Toutefois, il nous faut bien nous demander si la victoire de mars 1991 ne les a pas sclérosés au point de les conduire à se vautrer dans cette sorte d’opulence mâtinée d’indolence qui tue l’homme politique réel.

Mais à  côté de ses hommes et de ceux de leur race dont on ne peut malheureusement pas pour l’heure préjuger de leur capacité à rebondir, il existe du bétail politique insatiable. Leur appétit est glouton et leurs ambitions mégalomanes, voire carrément paranoïaques. Ils font double jeu avec les aspirations des Maliens et leur fragilité joue le vilain tour à la démocratie. Politiciens immoraux, fourbes, hypocrites et faux, ils sont maintenant les vedettes de l’actualité au détriment de ceux que PPR appelle « vrais acteurs politiques. » Vous n’avez pas besoin de suivre mon regard pour les reconnaître. Ils n’ont pas créé leurs partis pour mobiliser et éduquer les citoyens en vue d’un objectif précis, mais pour s’assurer une place au gouvernement ou la direction d’un service public à grand budget. Certains ont même fondé leurs formations pour simplement signifier des divergences crypto personnelles avec tel ou tel anciens camarades.

Conséquence : la démocratie malienne est dans une terrible zone de turbulences, les instruments de navigation sont défectueux et l’appareil dérape vers : « Cap Perdition. » ATT n’aura qu’à ramasser les épaves le 05 février. En héros !

Amadou N’Fa Diallo

Le National 27/01/2011