« Il n’y a pas d’avenir pour notre pays en dehors de la République et de la démocratie »

Vous êtes un homme qui a fait de la discrétion sa marque d’identité, toujours égal à lui-même. Est-ce que c’est une déformation professionnelle ?

Modibo Sidibé : Non. Ce n’est pas une déformation professionnelle. Je pense que chacun d’entre nous à ses marques, ses qualités. Je considère que ce qu’on a à faire, on doit bien le faire, comme il le faut. Je pense aussi que quand on occupe un certain nombre de fonctions, quand on s’occupe d’un certain nombre de questions, la discrétion est de mise.

Vous êtes un homme politique, mais avant tout, vous passez pour  un grand commis de l’Etat. Votre parcours est atypique à plus d’un titre, car pendant deux décennies, vous avez été au cœur de la République à des postes plus importants les uns que les autres. Qu’est-ce qui peut expliquer cette longévité institutionnelle ?

Je commencerai par rendre grâce à Allah, le Tout-Puissant, et à remercier ceux qui m’ont permis de servir à des niveaux aussi élevés. Je veux parler du président Amadou Toumani Touré et du président Alpha Oumar Konaré. Grand merci à eux pour cela, mais si succès il y a eu, c’est grâce aux équipes qui m’ont entouré. C’est grâce aux cadres, hommes et femmes, aux agents de l’Etat de façon générale, parfois en dehors de l’Etat, qui m’ont aidé ; qui m’ont accompagné pour partager ma vision des choses ; qui m’ont fait confiance et en qui j’ai confiance ; qui avaient un engagement pour notre pays. Ce qui nous a permis, dans le secteur de la santé, de la solidarité et des personnes âgées, de conduire des activités et de bâtir des systèmes qui, jusqu’à aujourd’hui, tiennent et sont améliorés. Et aussi au niveau du ministère des Affaires étrangères et de la Coopération internationale. Je tiens à remercier ces hommes et ces femmes, parce que ce sont des équipes qui ont travaillé à travers leur enthousiasme, leur engagement pour notre pays. Les ressources humaines, c’est véritablement une chance pour notre pays.

Avant votre longévité institutionnelle, quels étaient vos rapports avec le président ATT et Alpha Oumar Konaré  avant que ces gens là n’accèdent au pouvoir, parce que souvent on a l’impression qu’il y a arrangement quelque part ?

Non, il n’y a pas eu arrangement. Nous sommes des Maliens et nous nous connaissons. Beaucoup de gens se connaissent sans pourtant être au pouvoir. Evidemment, le fait d’être dans les postes de confiance et de travailler ensemble, amène à se connaître davantage et mieux. Donc, j’ai eu beaucoup de plaisir à servir avec le président Konaré qui est un grand homme. Et à servir le président Amadou Toumani Touré durant toutes ses années. Nous avons fait ce que nous avons pu faire. Il y a eu des avancées, des progrès remarquables, mais il y a des choses que je n’aurais pu penser qu’on pouvait réaliser. Comme sur tous les plans, il y a des choses qui ont bien marché, mais il y en a qui n’ont pas marché. À nous maintenant, quand nous parlons de reconstruction, de bien savoir ce qui a marché et d’avoir conscience de ce qui ne l’a pas été ou l’a été moins.

On dit de vous que vous êtes un cadre intègre et discret, mais vos détracteurs disent que vous êtes un homme docile qui n’est pas à même de s’opposer à sa hiérarchie, fusse-t-elle mauvaise.  Quelle est votre réponse ?

Ma réponse est très simple : si on me donne déjà les qualités d’homme intègre et discret, je crois que pour un cadre africain, un cadre malien, ce sont les meilleurs qualificatifs qu’on puisse recevoir. Et au regard de ces qualificatifs dont ils parlent et au regard des pratiques que vous venez d’évoquer, je pense que vous avez votre réponse.

À la chute du régime Amadou Toumani Touré, vous avez fait l’objet d’un acharnement sans précédent de la part de la junte de Kati, à l’époque. Vous avez été embastillé plusieurs fois, vous avez connu la clandestinité et certains ont même dit que vous avez fui le pays et qu’on vous aurait aperçu au Canada. Qu’en est-il exactement ? Pourquoi principalement vous, Modibo Sidibé ?

Je saurais à peine de répondre pourquoi personnellement moi. Mais, ce qui est certain, c’est que notre pays a vécu des moments extrêmement  difficiles à partir de mars 2012. Des moments très pénibles pour notre peuple. Des moments qui ont été vécus difficilement et beaucoup d’entre nous l’ont vécu dans leur chair. J’ai été de ceux-là. C’est vrai, j’ai été arrêté le soir même de ce qu’on appelle le putsch. Des gens m’ont appelé à une heure du matin en me disant de prendre mes dispositions, de partir de chez moi, sinon on va venir m’arrêter. Qu’il faut faire ceci, qu’il faut faire cela. J’ai dit que je n’irai nulle part, car je ne suis pas un criminel. Donc, je reste chez moi. Ils sont venus me chercher en tirant partout dans ma cour. Je suis sorti et j’ai été arrêté. Je suis resté avec d’autres personnes arrêtées pendant 5 ou 6 jours. Puis, on est revenu me dire que c’était pour ma sécurité qu’on m’avait  arrêté. J’ai dit : ah bon, très bien. Je remercie tous ceux qui ont fait le nécessaire, qui se sont mobilisés, jusqu’aux autorités politiques et religieuses et même en dehors du Mali.

Je remercie surtout les militants du mouvement Fare, à l’époque. Et ma deuxième arrestation, c’était le 6 avril 2012. Une date sur laquelle on devrait beaucoup se pencher au Mali, parce que c’est la date à laquelle certains ont cru devoir faire une  fâcheuse  déclaration d’indépendance. C’est le jour où il y a eu un accord avec le Cnrdre concernant le retour à l’ordre constitutionnel. C’est ce jour-là (le matin) que j’ai publié une tribune intitulée «Un Mali indivisible», dans laquelle j’ai passé en revue toutes les difficultés que nous connaissons. Et je disais qu’il n’y avait aucun mal, aucune difficulté particulière à pouvoir être aidé par des alliés de la Cédéao et de l’Union africaine et d’autres partenaires, appuyés par les forces armées du Mali pour reconquérir notre pays et rétablir notre souveraineté. Et aussi qu’il nous fallait nous réunir, aller au-delà de nos divisions. Ce qui a agité plus tard les débats de la transition. Cette tribune est parue le matin et dans l’après-midi, on est venu m’arrêter. Et le soir,  la même rengaine : c’était pour ma sécurité.

Il y a eu une troisième arrestation, et une quatrième tentative qui n’a pas marché. Pour la cinquième fois, je me suis dit qu’il faut bien que j’écoute mes compagnons et ma famille qui s’inquiétaient beaucoup pour ma sécurité. Parce qu’il y a des choses qu’on ne comprenait pas du tout. Pourquoi cet acharnement ? Ce n’est pas à moi de répondre. Mais j’ai dit, en concédant à leur demande, que je ne sortirais pas du Mali, je resterais au Mali. Donc, celui qui m’a vu au Canada, il a dû voir une espèce de sosie, il n’a pas vu Modibo Sidibé. Je suis resté à Bamako et aux environs de Bamako en prenant les mesures sécuritaires qu’il faut pour ma personne.

Il a été dit qu’on aurait même trouvé des armes chez vous. Certains parlent de 400 millions Fcfa, de 44 voitures 4X4 trouvées dans votre champ. On ne vous savait pas aussi riche ?

Moi non plus ! Vous êtes modeste, parce qu’on n’a pas parlé de 400 millions Fcfa, on a parlé des milliards de Fcfa. Ma maison n’a pas été perquisitionnée. Dieu merci, mais elle a reçu des coups de balles le jour de ma première arrestation. Elle n’a pas été pillée. Il y a eu des tentatives pour venir voir, mais il n’y a rien eu. Pour le champ, je l’ai dit : je n’ai jamais possédé de champ, à plus forte raison d’y avoir des 4X4. Je ne sais plus de quoi ils parlent.

Ah bon ?

Ah oui, mais je vous le dis encore comme je l’ai dit aux autres : si quelqu’un peut me trouver ce champ tout de suite, je lui signerais tous les papiers y afférant avec tout le contenu : les 4X4 et le coffre contenant je ne sais combien de milliards de Fcfa.

Pendant cette période, certains de vos compagnons politiques ont pensé que vous avez manqué de courage, d’engagement avec le Fdr. Qu’est-ce que vous leur dites ?

Je ne sais pas ce qu’ils appellent manque de courage et d’engagement. Le Fdr, est-ce d’abord une bonne base ? Ce qui est important pour moi, ce sont les mouvements de soutien à Modibo Sidibé. Comme je le disais tout à l’heure, mes compagnons se sont battus, nous nous sommes battus avec eux. Nous sommes parmi les membres fondateurs du Fdr, nous nous sommes battus dans le Fdr ; nous avons respecté tous nos engagements, parce que nous sommes des républicains et des démocrates. Il n’y a pas de bon putsch, nous l’avons dit : il y a eu rupture de la démocratie et cela n’est pas acceptable. Ce combat, nous l’avons mené jusqu’à terme, et nous sommes sur ce rempart de la République et de la démocratie.

Modibo Sidibé, alors Premier ministre, votre gestion de l’Initiative riz a été décriée. Ce qui n’a pas manqué de ternir un tant soit peu votre image de cadre intègre. Qu’en dites-vous ?

Je ne sais pas si ça a terni ou pas mon image, mais moi, je suis très clair : je suis simple avec moi-même. L’Initiative riz, c’était une belle aventure. La preuve, elle continue aujourd’hui, même si on veut l’appeler autrement. C’était une belle et grande aventure. Il y a des gens qui sont de meilleurs spécialistes de l’agriculture et de la riziculture. Et aujourd’hui, je m’incline devant la mémoire de Mamadou Keïta qui était l’un des meilleurs spécialistes riz et qui a été rappelé par le Seigneur. Qu’il dorme en paix ! Sa famille peut être fière de lui. Nous avons travaillé avec d’autres pour voir quelle réponse trouver à la crise alimentaire de 2008. Une crise alimentaire doublée d’une crise financière  et accentuée par  une crise économique. Alors comment faire ? Nous nous sommes dit que nous sommes surpris par la crise alimentaire et du prix élevé du riz sur le marché. Et que tout ce que nous puissions faire, c’était peut-être de baisser les prix en jouant sur les taxes. Et comme la crise allait durer, qu’est-ce qu’il fallait aussi faire ? Un pays comme le Mali où les quatre modes de riziculture à peu près se retrouvent, où il y a tant d’espaces, où il y a tant d’hommes et de femmes. C’est ce qui nous a conduits à prendre cette initiative. Et comme on avait comme objectif, durant les 5 ans, d’avoir 10 millions de tonnes par an, c’était l’occasion. L’Initiative riz, c’était quoi ? C’est intensifier la production du riz par l’usage de l’engrais, de la semence, des graines. Comme les producteurs n’utilisaient pas assez d’engrais, car il était trop cher, on a cassé le prix. On a subventionné l’engrais en passant de 22 500 Fcfa à 12 500Fcfa à peu près. En ce qui concerne les semences sélectionnées, on a aussi redimensionné l’encadrement en recrutant des agents techniques et consorts. On a revu les parcours, mobilisé tout le monde pour qu’on puisse aller vers ça.

On a entendu toutes sortes de choses : 42 milliards Fcfa  sont partis en fumée ; il n’y a pas de résultats… Soyons clairs, il y a eu à peu près 34,5 milliards Fcfa dans l’Initiative riz durant la campagne 2008-2009. Sur ces 34,5 milliards Fcfa, 21 milliards et quelques millions constituent l’apport des producteurs. L’engrais est subventionné, mais ils achètent. C’est la même chose pour les semences, l’eau et pour un certain nombre de choses. Ils achètent et c’est ce qui fait les 21 milliards et quelques millions de Fcfa. Donc, c’est 13 milliards de Fcfa que l’Etat a apportés. Et sur les 13 milliards, 5 milliards ont été apportés directement par certains de nos partenaires comme le Canada, les Pays-Bas…Donc, on est bien loin des 42 milliards. Tous ces chiffres sont bien confirmés  par le Vérificateur général de la République.

Justement,  on a décrié un contrat de gré à gré de 12 milliards Fcfa, accordé à un opérateur de la place…

Aux opérateurs de la place et non à un opérateur de la place. Il y a eu plusieurs appels d’offres. L’Initiative riz a été lancée en avril 2008. Les textes permettent que dans les situations particulières, notamment d’urgence –moi, je vous le dis et tout le monde peut constater-, ces contrats soient passés. S’ils n’avaient pas été passés dans ces conditions avec tous les échecs d’appels d’offres, il n’y aurait pas eu simplement de production au Mali, parce qu’il n’y aurait pas d’engrais. Par conséquent, ces contrats ont été passés aussi pour que les agriculteurs les plus faibles, qui n’ont pas accès à un système financier et qui ne sont pas éligibles à cela, puissent accéder à l’engrais. Et en l’espace de 3 mois, ça a été livré. Je pense que si nous avons pu avoir du succès dans l’Initiative riz, c’est parce que la prévision était 1,6 millions tonnes de paddy et sur ces 1,6 millions de paddy, selon les rapports du ministère de l’Agriculture et les enquêtes concernant cela, nous avons 1,6 aussi, soit 99% de réussite. Mais il y a eu une enquête, qui a été faite par le CILS, qui estime à 1 million 300 mille tonnes de paddy ; ce qui fait 80% de réussite. Est-ce là un échec ? Deuxièmement, selon l’étude de performance qui a été effectuée par le Vérificateur général, lors des études d’insuffisance d’un projet qui est à sa première année, il a pu constater que les résultats de l’Initiative riz ont été globalement atteints. À Mopti, ils ont été à 106% des objectifs, et à Ségou, à près de 97% ; ce qui confirme le succès de l’Initiative riz. Je note au passage l’augmentation de la quantité des engrais, l’augmentation du nombre de producteurs. Les producteurs ont gagné de l’argent et il a été établi que leur revenu a été nettement amélioré.    

Sur la question des 12 milliards Fcfa de gré à gré,  qu’est-ce qui vous a empêché de faire un appel d’offre ?

Je vous ai dit qu’on a fait un appel d’offre. Vous savez, c’est une année qui était terrible pour nous parce que c’est l’année de la crise énergétique où le baril a atteint des niveaux insoupçonnés, et donc, tout avait enchaîné. C’est l’année au cours de laquelle on a trouvé, dans le cadre de la réforme du secteur du coton, l’interprofession qui devrait faire l’appel d’offre et tout ça n’était pas en place, comme il faut. Et si vous commandez de l’engrais, vous voulez avoir de bons prix et de bonnes livraisons, il faut le faire en novembre de l’année qui précède la saison qui vient. L’Initiative riz a été décidée au cours du 2ème trimestre de l’année. On est plus donc loin des débuts de la saison pluvieuse. Voilà les conditions d’urgence et d’exigences qui ont fait que cela a été passé de gré à gré et que le contrat a été entièrement exécuté. C’était un contrat pour couvrir 5 régions du Mali et ça a été livré exactement comme cela a été constaté dans les investigations faites par le Vérificateur général.    

Beaucoup de gens voyaient en vous un dauphin naturel du président ATT,  jusqu’à votre limogeage en 2011. Qu’est-ce qui a motivé le divorce entre deux hommes liés par 20 ans d’estime et de confiance mutuelle ?

Y a-t-il eu divorce ? Non, nous sommes des hommes d’Etat. Notre  connaissance, nos relations n’ont pas commencé avec le poste de Premier ministre. Et je vous renvoie à la Constitution du Mali. Le Premier ministre part à travers l’acceptation de sa démission par le président de la République. Notre Constitution est claire là-dessus. Il n’y a eu aucun divorce, il n’y a aucun problème entre le président de la République et moi-même en tant que Premier ministre. Il n’y a donc pas eu de divorce entre nous. Et du limogeage, je n’en parlerais pas non plus.

S’il n’y a pas eu de divorce, quelles sont vos relations à l’heure où je vous parle ?
Des relations excellentes !

Vous avez les nouvelles d’Amadou Toumani Touré ?
Mais, bien sûr !

Vous êtes désormais à la tête d’une formation politique, les Fare. Quel est le fondement de votre engagement politique ?

Il est clair. Aussi loin que ma mémoire remonte, c’était un moment difficile pour décider. Nous avons médité en suivant nos frères dans l’Association des étudiants stagiaires maliens en France, dans la Fédération d’étudiants d’Afrique francophone où j’y ai fait mes premières armes  syndicales et politiques. Evidemment, j’ai servi à des postes qu’on peut dire politiques, sans être politiques, c’est-à-dire appartenant à un parti politique. Et c’était rare. À l’issue de ma mission et de mon expérience,  j’ai considéré qu’à la veille de mars 2012, ce qui motive ma candidature, c’est que je suis dauphin. Je suis dauphin des Maliennes et des Maliens qui m’ont reçu chez eux et sur toute l’étendue du territoire du Mali. Dans toutes les régions, j’ai été faire ce que j’appelle «mes primaires» en tant que candidat indépendant, pour savoir si j’avais quelque chose à apporter à mon pays. Et c’est ça qui est à la base de mon engagement politique, parce qu’il nous fallait un renouveau démocratique. La situation et le désaveu étaient tels qu’on pouvait le sentir et notre démocratie avait besoin d’un second souffle. Et ce second souffle là, ne pouvait être apporté que par des gens qui ont la capacité de penser autrement les politiques et de les faire comprendre aux populations.

Mais, vous êtes également l’homme du système. Qu’est-ce qui prouve que vous qui avez servi dans l’appareil d’Etat, vous pouvez incarner ce renouveau là ?

Mon cher ami, j’ai servi dans l’appareil d’Etat, j’en ai tiré des enseignements et des expériences. J’ai tiré plus une confiance pour améliorer une entreprise de développement. Je vous dis encore une fois que j’étais dans un système politique, mais je n’étais pas dans un parti politique. Je n’ai pas milité dans un parti politique pour des raisons relatives à mon statut. Je pense que c’est bien aussi pour que je puisse conduire un certain nombre de choses. Aujourd’hui, je considère que l’expérience qu’on vient de vivre, de la naissance des Fare jusqu’à aujourd’hui, il y a quelque chose à apporter. Pour les Maliens eux-mêmes, ça a été un clash après les événements du 22 mars 2012 par rapport à la classe politique. Et là, aujourd’hui, nous nous disons que nous voulons être un parti politique de seconde génération qui veut ramener la politique à ce qu’elle doit être, qui veut ramener la politique au service des hommes.

On reste dans la présidentielle. Vous avez été 4ème avec 4,97% c’est un score qu’on peut qualifier de dérisoire pour un homme de votre trempe, non ?

Pour un homme de ma trempe, je dois vous dire que les circonstances et les conditions dans lesquelles cette présidentielle s’est déroulée, c’est un succès. Je vais vous dire pourquoi. On nous attendait dans les quatre premiers et nous sommes 4èmes. Deuxièmement, j’avais un parti politique qui n’avait que 6 mois d’existence. Troisièmement, on ne nous attendait même plus comme candidat, tellement qu’on nous a calomniés et traînés dans la boue. On nous a dit toutes sortes de choses. Nous, nous ne nous reconnaissons pas dans ça, car nous sommes à même de regarder notre peuple en face et discuter avec lui. Nous sommes là et le peuple nous l’a reconnu. Et vous savez aussi dans quelles conditions les élections se sont passées. Je ne reviendrais pas là-dessus, parce que j’ai pris l’engagement de respecter les résultats, quels qu’ils soient. Mais, comme je l’ai dit : il s’est passé des choses inacceptables et notre démocratie a intérêt à faire en sorte que les consultations électorales obéissent à la loi démocratique. À la loi de la transparence, sinon le vote des Maliens n’aura pas de sens.

Vos détracteurs disent que vous êtes un homme très distant des masses populaires, un homme déconnecté de leurs réalités. C’est peut-être un handicap pour un homme qui ambitionne de diriger le Mali un jour ?

(Rires). Décidemment, je ne sais pas ce qu’ils n’ont pas dit, mes détracteurs. Je rétorque heureusement que ce sont mes détracteurs qui me reconnaissent quelques valeurs. Parmi ces détracteurs, je suis sûr qu’il doit y avoir des hommes politiques. Allez m’en trouver un qui, pendant ses fonctions de 10 ans de ministre, même simplement directeur, est resté dans sa maison familiale, dans la grande famille dans un quartier populaire.

Vous voulez dire que pendant que vous étiez ministre, vous logiez en famille ?

Quand j’étais ministre, j’étais en famille, dans ma grande famille au Badialan. Tout le monde sait où se trouve la famille du capitaine Sidibé au Badialan. Une grande famille, une grande porte, une grande cour où je me trouvais avec mes mamans, mes tantes, mes frères et sœurs, mes cousins, mes cousines, neveux et nièces, en plein quartier populaire, sans gardien ni vigile, pendant près de 9 à 10 ans. J’ai déménagé en 2000-2001 chez moi à Faladié, dans un quartier populaire qui n’est pas un quartier résidentiel. Alors, où est ma distance avec la masse ? La tournée que je viens de faire à l’intérieur du pays, je la renouvelle encore parce que je suis en train de partir dans le Mali profond encore. Tout ceci pour vous dire que ces détracteurs là devraient peut-être changer de langage et se mettre au travail.

Lorsque je préparais cette émission, j’ai eu à échanger avec beaucoup de personnes. Je me suis rendu dans une mosquée d’un quartier que je ne vais pas citer ici. Là, un chef religieux m’a dit que vous avez fait plusieurs dons à la mosquée. Les citoyens lambdas, disons vos détracteurs, ne peuvent pas imaginer que Modibo Sidibé puisse être autant généreux…

Ils ne peuvent pas l’imaginer, pour la simple raison que moi, je ne fais pas pour qu’on en parle. Je le fais pour mes convictions et pour notre Seigneur, le reste ne m’intéresse pas.

Aux législatives, votre parti a obtenu 6 sièges sur les 147 que compte l’Assemblée nationale. Aujourd’hui, quelle est votre force politique ?

Au terme des législatives, nous avons eu 6 députés, mais il y a 5 députés qui nous ont quittés. Ils nous ont quittés parce que nous n’avions pas les mêmes points de vue au niveau du parti, concernant la majorité et l’opposition. Je vous ai dit tout à l’heure que nous voulons être une nouvelle génération de parti politique. Nous voulons réconcilier les Maliens avec les partis politiques, avec les institutions de la République, avec la démocratie et la République. À l’issue des élections, il y a eu une majorité, une opposition. Avant la tenue de ces élections, nous avons eu à dire que si le Tout-Puissant ne nous confiait pas le pays, celui à qui il allait le confier, nous ne nous ajouterons pas à lui. Nous le soutiendrons dans ce qui est bien pour le pays, dans ce qui est bien pour le peuple malien. Mais, nous dirons très clairement aussi ce qui n’est pas bon pour le peuple malien, quitte à lui d’utiliser tous les moyens démocratiques pour le faire. Parce que nous sommes convaincus que le rôle de l’opposition doit être justement la vigilance. Et deuxièmement, le rôle de l’opposition, puisque nous sommes en démocratie, c’est de se fortifier, c’est également de travailler aux alternatives politiques possibles pour les prochaines échéances. Voilà ce dans quoi nous étions. Nous avons fait un manifeste pour qu’il soit la base de l’adhésion de nous tous, Fare, à des valeurs, à des principes et qui pose le respect du jeu démocratique. Il y en a qui n’étaient pas dans cette direction là, alors ils nous ont quittés. Nous n’avons donc qu’un député à l’Assemblée nationale, l’honorable Bakary Woyo Doumbia.

Votre  alliance avec Oumar Mariko du parti Sadi en vue de la création d’un groupe parlementaire, Fare-Sadi, à l’Assemblée nationale a été perçue comme une incohérence dans votre démarche politique.Qu’est-ce qui peut créer le rapprochement entre deux hommes que tout séparent, à commencer d’abord par les positions pro-putsch de votre partenaire ?

Oumar Mariko, je le connais bien. C’est un jeune frère, je n’ai aucune accointance, aucune alliance avec lui. Il s’est trouvé que les députés Fare voulaient être dans la majorité comme Oumar Mariko et pensaient qu’un groupe parlementaire pouvait les y aider pour aller dans cette direction.

Vous n’aviez jamais donné votre aval ?

Non, on ne peut pas donner notre aval à cela et beaucoup de militants n’ont pas donné leur aval.

Et jusqu’à présent, le groupe parlementaire Fare-Sadi existe à l’Assemblée nationale ?

Nous avons fait cette querelle et nous avons dénoncé cette situation. Si vous avez même suivi les débats autour de la motion de censure, cette question est revenue. Nous, nous sommes dans l’opposition, alors que Sadi est dans la majorité. Donc, ça ne peut pas marcher. À un moment donné, j’ai appris qu’ils ont constitué un groupe qui va s’appeler «Alliance républicaine Sadi». Ils auraient écrit dans ce sens. Dans tous les cas, notre combat est clair : ne pas associer le nom des Fare à un parti, parce que nous sommes des républicains, nous sommes des démocrates. Nous ne pouvons pas être avec un  putschiste, il faut que cela soit clair. Et si dans notre pays nous voulons revenir aux règles et principes de la République, nous devons faire attention avec les partis politiques qui se réclament directement et ouvertement  des putschs, des coups d’Etat militaires, y compris dans l’enceinte de l’Assemblée nationale. Nous devrions y faire gaffe, parce que c’est un crime imprescriptible contre la Nation. Nous ne pouvons donc pas, en tout cas moi, Modibo Sidibé, républicain et démocrate, nous Fare fondamentalement républicains et démocrates, être en alliance avec un putschiste.

Mais aujourd’hui, ça pose un problème juridique. Vous êtes le président du parti et il y a des gens qui sont élus sous la bannière dudit parti, mais qui sont dans une autre alliance que vous ne partagez pas. Ils continuent de porter le nom des Fare, ça pose un véritable problème ?

C’est fini ça, c’est bien fini.

Après le premier tour de la présidentielle, votre parti a connu une crise jusqu’au Congrès de mars 2014 qui vous a porté à la tête des Fare. Est-ce qu’on peut dire aujourd’hui que vous êtes le seul capitaine à bord ?

(Rires).  Il n’y a de capitaine dans les Fare que la direction du parti et les instances du parti. Modibo Sidibé n’est que militant du parti, qui a reçu la confiance de ses pairs et qui dirige une instance collégiale. Le Congrès a été celui de la clarification qui restitue les Fare dans leur parcours républicain et démocratique. Parce que nous l’avons dit, si la politique et l’exercice du pouvoir ne répondent pas à une exigence d’éthique et de valeur, ça ne peut être que caricature. Nous ne sommes pas dans ça. Notre combat ne sera jamais dans ce cas. Notre Congrès a été clair, il a été net : nous nous réclamons de la Social-démocratie. Nous sommes dans l’opposition selon l’analyse que le Congrès a faite de la situation actuelle de notre pays. Nous sommes dans ce cheminement.

Alors, avec le départ des 5 députés et de Zoumana Mory qui a été l’un des piliers du parti à un moment donné, ça prouve que vous n’avez pas la maîtrise de l’appareil ?

Vous voulez trouver une cohérence : vous venez de me dire que peut-être je suis le nouveau capitaine, je vous dis non : c’est une direction. Vous me parlez de ceux-ci qui sont partis, ils sont partis, mais les Fare sont là. Je ne les ai pas entendus sur les raisons pour lesquelles ils sont partis, ils sont suffisamment grands pour le dire et l’expliciter, sans se gêner d’ailleurs.

Ils sont partis avec beaucoup de personnes…

Avec quelles personnes, j’aimerais bien le savoir ? Les Fare sont là et ils se battent. Ils sont en train de s’implanter. Nous voulons être une force politique, mais on ne convainc pas par le pouvoir de l’argent, c’est par les arguments. Nous voulons être une force politique qui tient ses engagements. Et les raisons du départ pour certains, c’est parce que les Fare tiennent leurs engagements.

La gestion d’un parti politique, surtout celui de l’opposition, demande beaucoup de sacrifices, notamment des moyens financiers. Sous votre direction au niveau des Fare, quelles seront les mesures que vous allez prendre finalement pour l’encrage national du parti ?

Nous avons discuté de cette question qui fait partie de la problématique des partis politiques. De façon criarde, il y a des gens qui pensent qu’un parti, pour grandir, doit être dans la majorité. Cela sous-entend qu’on a certains moyens. Mais, quels moyens ? Nous ne voulons pas de ces moyens-là, parce que nous combattons cette attitude en terme de bonne gouvernance. Si nous voulons des partis de militants, si  nous voulons être effectivement un parti de seconde génération, nous devons nous battre avec les moyens de bord, les moyens des militants. J’ai vu des gens se battre mais qui n’avaient pas grand-chose, qui mettaient les 500 Fcfa qu’ils avaient et prenaient 300 Fcfa pour pouvoir faire leurs activités. Nous allons mettre l’école de la démocratie en place au sein des Fare An Kan Wuli, parce que nous avons besoin de l’émergence d’une citoyenneté. Vous le savez bien, comme moi : il n’y a pas d’avenir pour notre pays en dehors de la République et de la démocratie.

Modibo Sidibé, vous semblez rejeter la majorité. Or, dans votre Déclaration de politique générale, en tant que Premier ministre en  2007, vous avez appelé à des majorités de progrès, parce que, pour vous, des majorités de progrès étaient possibles dans ce pays. Qu’est-ce qui a changé entre-temps pour que vous soyez si sévère envers la majorité ?

Monsieur Barry, rien n’a changé. Je ne vois pas en quoi je suis sévère envers la majorité. Je ne suis tout simplement pas d’accord avec la majorité. En 2007, dans ma Déclaration de politique générale, c’est une erreur aussi parce qu’on pense que les deux mandats, c’était le consensus. Je suis désolé, le consensus, c’était le premier mandat. Le second mandat, moi, j’étais un chef de gouvernement qui avait une opposition. Il y avait le Rpm qui était dans l’opposition, ainsi que le parti Sadi et le Paréna.

Mais oui,  jusqu’à quand ?

Moi, je n’ai quitté le  gouvernement que quand le Rpm a rejoint la majorité présidentielle ; que quand le Paréna a rejoint la majorité présidentielle et que quand le parti Sadi est resté dans l’opposition. Mais déjà, dans le consensus, tous ceux-ci y étaient. Alors qu’est-ce que j’ai dit à cette occasion là ? J’ai dit que je saluais le choix de l’opposition d’être dans cette posture, car cela honore notre démocratie. Mais les gens qui y sont, j’ai d’eux l’image de leur combat et de leur engagement. Et c’est sûr et certain que sur des questions fondamentales pour notre pays, pour notre peuple, nous serons en mesure de constituer autour de ces questions des majorités de progrès pour notre pays, non pas les inviter à être dans la majorité. Donc aujourd’hui, nous, nous sommes dans l’opposition ; nous ne sommes pas dans la majorité. Parce que nous n’avons pas la même vision pour le pays, nous n’avons pas le même projet politique pour notre pays. Nous sommes désolés, ce que nous voyons de nos jours n’est pas la bonne direction pour notre pays.

Qu’est-ce que vous voyez ?

Ce que nous voyons d’abord.

Le pays avance ?

Non. Je ne crois pas que le pays avance. Je ne suis pas le seul à le constater. Le contenu de la motion de censure de l’opposition est très clair à cet égard. Je ne vois pas qu’on s’occupe des questions fondamentales des Maliens. Il faut qu’on gère autrement les affaires publiques ; il faut qu’on gère autrement la question du nord : c’est une question urgente.

Il y a les négociations à Alger. Pourriez-vous nous dire quel est le cap défini par notre gouvernement ?  Quel est aussi le contenu des termes de références du gouvernement ? Et en quoi et autour de quoi les Maliens pourraient se rassembler pour soutenir une telle démarche allant dans cette direction de dialogue ?

L’accord de Ouaga est là. Nous sommes d’accord avec cet accord et nous avons appelé à son application. Il est important qu’on se consacre à son application maintenant et tout de suite. Puisque le cadre est déjà fait : la souveraineté, l’indépendance, la République laïque, l’unité nationale.

Ce sont des principes qui ne sont pas négociables aujourd’hui ?

C’est ce que j’ai dit, l’accord de Ouaga a posé ces principes là et il serait heureux que le Mali puisse respecter cela. Mais, à l’intérieur de cela, que faut-il faire pour que la paix revienne, pour que les Maliens se retrouvent, pour que le Mali de nouveau puisse envisager son avenir dans son unité, dans son intégrité et dans le renouvellement, dans la refondation à la fois de ses institutions  et aussi de sa Nation ? Parce que nous en avons les moyens. Donc aujourd’hui, ce que nous voyons, c’est que cela ne correspond pas à ça : la relance économique tarde à se mettre en place, les mesures qui doivent aller dans ce sens tardent aussi.

Mais est-ce que cela n’est pas dû au fait que le pays sort d’une très longue crise. La relance économique ne peut pas se faire au bout de quelques jours ou de quelques mois ?

Quand vous parlez de relance économique, quand vous parlez de sortie de crise, tout le monde sait qu’on sortait de la crise. Ça n’a pas empêché le Mali d’avoir un taux de croissance parfois même faible. Ce qui faisait dire à certains d’ailleurs qu’il y avait des fondamentaux dans notre pays. Malgré tout ce qui n’était pas bien, il y avait de bonnes choses aussi. Nous tous, qui étions en course à la présidentielle, avions proposé des projets à notre peuple, nous savions que ces moments étaient difficiles, nous savions que ces moments seraient difficiles en raison de la gravité de la situation, en raison de la faible fondation posée. On veut faire la réforme de l’Etat, oui, on est d’accord ! Nous, on l’avait dit. Il faut un Etat juste, un Etat fort avec des institutions solides qui puissent garantir l’avenir de la Nation. Pourriez-vous nous dire aujourd’hui quel est le contenu de la réforme de l’Etat ? Quels sont les éléments posés pour aller dans cette direction là ? On sait que ce n’est pas l’œuvre d’un jour, mais encore faut-il le clarifier, l’entamer pour que les Maliens puissent y adhérer et se l’approprier. La relance de l’économie, c’est un ensemble de mesures et d’actions. Encore faut-il qu’il soit là. Voilà les difficultés qu’il y a aujourd’hui. Nous disons, pour notre part, qu’il faut que le gouvernement s’occupe  de ça, au lieu de s’occuper des affaires qui malheureusement n’apportent rien au pays en ce moment.

Pensez-vous que l’opposition est telle que vous l’avez rêvée, une opposition modérée et républicaine ?

Elle est une opposition républicaine parce qu’elle est parlementaire, extra-parlementaire, mais parce qu’elle n’a pas des attitudes insurrectionnelles… Elle est modérée en ce sens, pour ma part, qu’elle est plurielle. Il faut qu’on se mette bien d’accord là-dessus : l’opposition est plurielle. Dans notre démarche modérée, comme l’a demandé notre dernier Congrès, nous ne ferons rien qui sorte du cadre républicain et démocratique. Mais nous ferons tout dans ce cadre là, lorsque des questions essentielles nous semblent être en cause. Nous le disons, parce qu’on peut désavouer un certain nombre d’éléments de politique comme je viens de le faire, comme on peut approuver d’autres éléments de politique. Par exemple, les Fare ont fait un communiqué pour saluer le président de la République à l’issue du Conseil supérieur de l’agriculture, parce qu’ils ont reconduit les dispositifs de l’Initiative riz. Les subventions et les intrants ont même baissé de 12.500 Fcfa à 11.000 Fcfa. Nous avons appelé le président pour le féliciter, parce que tout ce qui peut faire booster l’économie, le fondement, c’est d’abord l’agriculture. Donc, nous, nous soutiendrons tout ce qui va dans ce sens. Nous sommes heureux de constater qu’il y a quelques actions qui vont dans ce sens.

Récemment, lors d’une tournée dans une  Commune du District de Bamako, vous êtes monté au créneau en disant ceci : les menaces ne nous feront pas taire. Qu’est-ce qui vous a poussé à sortir  de votre silence habituel qu’on vous connaît ?

Nous avons entendu les pouvoirs publics et certains politiques dire tout l’intérêt de l’exigence même de l’opposition. Nous sommes d’accord avec eux, mais la majorité, comme je l’ai dit, ne doit pas diaboliser l’opposition et cette dernière ne doit pas être l’empêcheuse de gérer les affaires de la Nation pour la majorité. Comment pouvez-vous expliquer que dès que l’opposition prend position sur une question et dès qu’elle critique une question, au lieu que cette question soit considérée, on s’en empare d’elle pour en  faire un objet de débats publics. Dès lors, on voit des attaques personnelles, des insultes, des injures, voire des menaces. C’est pourquoi j’ai dit que ces menaces ne nous feront pas taire, les attaques personnelles ne nous feront pas taire.

Bon nombre d’observateurs voient en l’opposition malienne, une opposition qui manque d’âme au-delà des déclarations communes. Elle est en manque de cohésion. Et chaque leader semble avoir son agenda propre à lui. Quelle est votre réaction ?

Je l’ai dit tout à l’heure, l’opposition est plurielle. L’Urd est dans l’opposition, c’est un parti politique qui a son idéologie, ses aspirations, mais nous ne sommes pas l’Urd. Le Paréna est dans l’opposition, nous ne sommes pas le Paréna. Nous sommes les Fare et nous avons notre projet politique.

L’opposition doit avoir une plate-forme commune, non ?

L’opposition doit avoir une plate-forme politique, on l’a dit et répété. La motion de censure, c’est dans une plate-forme commune. Nous, quand on faisait nos appréciations sur certains aspects de la politique, d’autres ne le faisaient pas. D’autres étaient dans une autre déclaration, mais nous, nous n’y étions pas. Il faut qu’on accepte ce fait là. L’opposition n’est pas  monolithique. Pourquoi voulez-vous une cohésion forcément et sur tous les points. Si demain l’opposition estime qu’elle a des affaires à conduire qui réclament nous tous, on se retrouvera autour de cela et on le fera. Mais, en dehors de ça, nous avons chacun notre point de vue, que ça soit des agendas ou non. Mais ce ne sont pas des agendas personnels, ce sont des agendas de partis politiques.

Par exemple il y a certains leaders de partis politiques appartenant à l’opposition qui, aujourd’hui, sont prêts à intégrer un gouvernement d’union nationale si le président venait à leur faire appel. Est-ce que vous êtes de ceux-là ?

Ah bon, vous savez qu’il y a des partis de l’opposition qui sont prêts à faire cela ?

Oui, qui sont prêts à intégrer le gouvernement d’union nationale !

Nous, nous avons été clairs, très clairs. Quand on échange sur ça, on se demande pourquoi faire. Les questions de personnes ne sont pas importantes, elles le sont quand on est choisi en fonction de ce qu’on  a décidé de faire, de l’impulsion qu’on a décidé de donner. On a bien dit que nous avions peur que cela ne produise pas l’effet escompté. La preuve, on a eu des crises successives avec des gouvernements d’union nationale : gouvernement de ceci, de cela. La question n’est pas celle-là. Dans quelle situation se trouve le pays ? Pourquoi le pays se trouve dans cette situation ? Que faut-il faire ? Voilà les questions essentielles. Nous l’avons dit, qu’on ne nous traite pas d’apatrides. On est dans l’opposition, c’est pour cela qu’on entend pas mal de choses, mais on ne nous fera pas taire. Nous ne décernons à personne, ne reconnaissons à personne le pouvoir de distribuer le satisfecit ou les certificats de patriotisme pour soutenir un régime. Nous ne sommes pas pour un régime. Nous l’avons dit et nous avons été très clairs : notre combat, c’est le peuple malien ; notre combat, c’est le Mali. S’il y a des choses qui vont dans l’intérêt du Mali exclusivement et du peuple malien, nous sommes là.  Nous sommes aussi ce rempart du Mali, mais ce rempart ne servira pas d’abri à aucune mauvaise gouvernance et qui compromettrait l’avenir du Mali.

Le Premier ministre Moussa Mara, dans sa Déclaration de politique générale, a dit ceci : le pays a été géré par des bandits ces dernières années. Vous qui avez été, on peut le dire ainsi, l’homme de sérail, qu’est-ce que vous lui direz,  vous qui avez été Premier ministre, ministre de la Santé, ministre des Affaires étrangères ?

Alors, qu’il puisse me dire si un pays qui a été géré par des bandits, il peut trouver à parler de croissance avec des chiffres. Il peut se permettre de dire que les fondamentaux sont là. Je voudrais bien lui dire, s’agissant du qualificatif (bandits) qu’il a eu à utiliser, que nous sommes un pays de mesure, notre peuple attache beaucoup d’importance aux valeurs de respect.

La polémique autour de la question de l’avion acheté par le président ATT vous vise en tant que Secrétaire général de la présidence, à l’époque. Le Boeing 727 appartient-il réellement au Mali ?

Vous en doutez ?

C’est une question qu’on est en droit de se poser ?

Vous êtes en droit de vous la poser, mais vous avez vu des huissiers  débarquer à Bamako pour saisir l’avion, ou ailleurs sur un aéroport américain, européen, asiatique. Et pourtant, l’avion s’est rendu sur tous ces aéroports. Le titre de propriété de l’avion existe. Je prends un exemple, j’ai entendu dans les débats de l’Assemblée nationale qu’on a exhibé un document de l’Anac. On dit  qu’il n’y a pas d’assurance, et l’assurance qui est dessus ? Il est tout simplement dit que si ça passe sous le régime militaire, cette assurance ne sera plus valable ; donc, c’est qu’il y a une assurance. Vous, vous assurez votre véhicule, vous savez quelles pièces on vous demande, à plus forte raison un avion !

Le Boeing 727 a des documents en bonne et due forme ?

Le Boeing 727 a des documents. La question n’est pas là, sans quoi je ne saurais même pourquoi je vais vous répondre. Parce que la question qui est posée, ce n’est pas l’achat du Boeing de l’époque, car ça n’a soulevé aucun problème, ça n’a posé de problème à qui que ce soit. Le problème est que les Maliennes et les Maliens trouvent inopportun, dans le contexte actuel, qu’on achète un nouvel avion. Deuxièmement, il faut noter les conditions lugubres dans lesquelles l’avion a été acheté. Troisièmement, il est inopportun parce qu’on a déjà un avion. Pour prouver son opportunité, il faut qu’on dise ceci ou cela. La question, c’est bien l’opportunité de l’achat d’un avion. Comme il y a un audit que le gouvernement a accepté avec le Fmi, attendons la suite de cet audit et on verra bien.

C’était un avion fiable ?

Cet avion a transporté le président malien jusqu’en août 2013. Je ne sais pas de quoi il s’agit. Par conséquent, il faut arrêter tout cela. Ce qui nous intéresse, ce n’est pas cet avion. Ce qui nous intéresse, c’est l’avion qui a été acheté. Pourquoi cet avion en ce moment là ? À quel coût et comment ? On nous dit 20 milliards de Fcfa, on nous dit 17 milliards de Fcfa, on nous parle d’intermédiaires, de commissions. Comme il y a l’audit avec le Fmi, on verra bien. Je dis que rien ne sert de se rabattre en arrière, il faut essayer de justifier ses propres actions. Que les gens assument les actes qu’ils posent. Je le rappelle, j’ai entendu les gens parler de la vente de la Sotelma ; que l’Etat malien a obtenu plus de 10 fois la somme de 20 milliards de Fcfa ; qu’il il y a eu plus de 180 milliards, soit 4% du Pib. Si ça a été placé dans les comptes de la Bcéao au compte du Trésor national, qui a été représenter la Nation toute entière pour lever les fonds en vue de l’achat du nouvel avion présidentiel ? Vous devez vous souvenir du Programme d’action à la croissance, qui déroulait l’utilisation de  l’ensemble des ressources qui étaient ressorties de là. Je crois que personne n’a trouvé à redire de cette manière là.

Sur la question du Boeing 727 acheté sous ATT, on a vu le Premier ministre Moussa Mara dire qu’il y a un doute sur les documents concernant l’appartenance de l’avion. Voulez-vous dire qu’il a menti ?

Je n’aime pas utiliser ce type de terme. Je suis clair : une enquête judiciaire a été ouverte. Vous le savez,  les papiers sont déposés dans le cadre de cette enquête et d’autres papiers. Ils n’ont qu’à voir la suite de ça. En fait, il y a un acte notarié, d’autres actes et papiers. Moi, je dis encore une fois que la question n’est pas ça, car cet avion est la propriété du Mali depuis 2005 jusqu’à la date d’aujourd’hui. Vous avez vu quelqu’un venir réclamer cet avion ? Il faut arrêter cela et s’occuper de ce qu’il y a à faire et des vraies directions que notre pays doit prendre.

Le rejet de la motion de censure que l’opposition malienne avait faite n’est-il pas un désaveu pour elle ?

Est-ce que vous pensez que l’opposition, avec la motion de censure, allait avoir les 98 voix, sans les 70 et quelques voix de la majorité présidentielle ? La motion de censure, si elle était pertinente, la majorité n’avait qu’à sanctionner son gouvernement. Nous pensons que la motion est un moyen démocratique et républicain de focaliser les débats sur les questions sur lesquelles on veut que le gouvernement donne des informations.  

C’était juste une opération de communication ?

Pas une opération de communication, pas un marketing politique, c’est une communication de consolidation de notre démocratie en vue de faire comprendre aux populations maliennes les éléments constatés par l’opposition et ce que dit le gouvernement. Il faut que le peuple soit informé. Vous savez, on a intérêt à reprendre les débats, à faire les débats dans les espaces publics comme il le faut : notre démocratie en a fortement besoin. Une motion de censure, il faut l’accepter comme telle ; ça fait partie du jeu républicain et démocratique. Ce n’est pas la première motion, c’est plutôt la troisième motion de l’ère démocratique de notre pays et de notre République. J’espère qu’il y a en aura d’autres.

Parlons de Kidal où la visite du Premier ministre Moussa Mara a mis le feu aux poudres le 17 mai 2014, avec en toile de fond la débâcle de l’armée malienne. Avec la polémique autour de la question qui a donné l’ordre de tirer, qui ne l’a pas donné,  quel est votre point de vue?

Je crois que nous avons été très clairs par rapport à cette visite. Il est certainement louable pour le Premier ministre de se rendre sur l’ensemble des parties du territoire malien, mais à l’évidence, les conditions, le moment et l’environnement  n’étaient pas propices à cette visite à Kidal. Les conséquences sont là et nous les déplorons tous aujourd’hui. Nous nous inclinons devant la mémoire de ceux qui ont perdu la vie pendant cette œuvre. Nous souhaitons prompt rétablissement aux blessés. Nous disons aujourd’hui qu’il faut remettre l’armée en confiance ; qu’il faut remettre en confiance notre administration. Vous avez dit tout à l’heure que les choses avancent. Nous voulons la paix, parce que vous le savez, notre peuple n’a rien à avoir avec ceux qui n’ont pour projet politique que le sang, la fureur et la ruine.

L’état actuel de l’armée malienne peut-il être interprété comme la résultante de l’échec des politiques mises en œuvre par les gouvernements successifs à la tête du Mali ?

Je ne prendrais pas ce raccourci, car la situation est hautement plus complexe que ça. On ne peut pas  diagnostiquer l’état de l’armée à partir de là. Ce qu’il nous faut faire, c’est un vrai diagnostic parce que nous avons besoin de réconcilier notre armée ; nous avons besoin de la refonder. Nous avons dit que ce diagnostic, ce n’est pas à l’armée seule de le faire. Il appartient à la Nation et à l’armée de le faire ensemble, parce que c’est un instrument de défense de la Nation. Nous devons le faire et savoir comment nous devrons bâtir un outil de défense adapté aux menaces actuelles. Une armée qui sera en mesure de couvrir le pays, d’être en relation avec les éléments de la sous-région et les pays du Champ et travailler également avec les partenaires stratégiques d’autres continents qui ont d’autres capacités. Par conséquent, pour ma part, le travail de l’Eutm, que je salue, est absolument nécessaire. La vraie refondation, la vraie reconstruction, il faudra bien qu’on s’y attelle et ça commence par un diagnostic partagé de l’armée et de la Nation.

Quelles sont vos relations avec l’ancien président Alpha Oumar Konaré ?

Comme toujours, de très bonnes relations.

Le président Ibrahim Boubacar Keïta ?

Nous nous connaissons, surtout que j’ai été dans le même gouvernement que lui.

Et avec Amadou Toumani Touré ?

De très bonnes relations.

Soumaïla Cissé ?

On a de bons rapports.

Vous êtes le président des Fare et le Mali est à un tournant critique de son histoire. Quels mots avez-vous pour vos compatriotes en guise de conclusion ?

Nous avons déjà dit que nous avons fait notre diagnostic et il a été confirmé : notre pays doit rentrer dans une transition. C’est pourquoi nous avons proposé le projet «Mali Horizon 2030», pour que tous les fondamentaux en matière d’infrastructures socio-éducatives, notamment la nécessité de bâtir un véritable capital humain, puissent être mis en œuvre de manière à permettre à ceux qui ont 20, 25 ans aujourd’hui, d’être à l’avant-garde du développement du continent africain en 2030. Que Dieu bénisse le Mali et nous donne une bonne saison de pluie ! Je vous remercie.

Transcrit par Kassim TRAORE
Source: Le Reporter Mag
20:33:09 2014-08-02