KORIAN : Ou la peau sacrifiée pour plaire 

Au moment où des activistes, des féministes, des ONG et des organismes internationaux… s’investissent dans les programmes et projets d’autonomisation de la Femme, il est déplorable de constater que beaucoup de femmes souffrent pour se procurer des ennuis. La dépigmentation est malheureusement devenue aujourd’hui une sérieuse hypothèque à cette autonomisation.

 Korian, était une belle jeune dame quand j’ai fait sa connaissance.  Lasse d’attendre un époux en vadrouille à Bamako et qui ne se donnait même plus la peine de lui envoyer quelque chose pour nourrir leurs deux enfants, elle a pris son courage pour le rejoindre dans la capitale. Le couple habitait une villa inachevée de Hèrèmakono. 

Quand on croisait cette jeune dame, on était tout de suite frappé par sa beauté et surtout cette belle peau d’ébène dont l’éclat avait curieusement survécu aux durs travaux qu’elle a dû faire pour survivre au village. Korian n’avait pas besoin de toute une batterie de produits cosmétiques pour entretenir sa peau qui rehaussait l’éclat de sa beauté naturelle. Visiblement pris au dépourvu, l’époux indélicat va les abandonner une seconde fois. Elle apprendra par la suite qu’il vivait dans un site d’orpaillage dans la région de Kayes.

Avec deux enfants, difficile de tenir les deux bouts sans sources de revenus sûres. Elle a été tentée de s’engager dans une famille comme aide-ménagère. Mais, généralement, les familles ne veulent pas de mères pour ce bouleau. Elle a été donc contrainte de sortir tôt pour sillonner le quartier en quête de linges à laver.  

Courageuse et consciencieuse, elle se fit vite connaître au point que les femmes qui n’avaient pas d’aide-ménagère venaient la chercher chez elle.  Et l’une d’elle n’hésita même pas à la recommander à son entreprise qui cherchait une femme de nettoyage pour un nouveau bureau.  Le salaire était consistant et le revenu garanti à la fin du mois. Sans compter les pourboires qu’elle pouvait recevoir pour service rendu ici et là. Elle pouvait aussi continuer à faire le linge le week-end.

Au bout de deux ans, Korian avait suffisamment épargné pour s’investir dans la vente des fruits. Le hic, nous avons constaté que  le teint de la jeune dame avait progressivement changé. Comme si plus elle gagnait, plus elle était tentée de vouloir ressembler aux citadines en se blanchissant la peau. Et nous savons tous que la dépigmentation, même à l’aide des produits bas de gamme, peut vite se révéler une hypothèque sérieuse à la réussite sociale et économique. 

 Basculée dans l’enfer sans le savoir

Surtout pour une dame dont les charges sociales ne sont pas négligeables avec notamment deux enfants qu’elle avait réussi à scolariser dans une école publique. Avec l’âge, les effets des travaux pénibles de l’enfance et de l’adolescence se font vite ressentir. Combinés à ceux des produits utilisés pour se blanchir la peau, cela devient vite un cocktail fatal.

Korian a vite compris qu’elle n’avait plus la force de se réveiller tôt le matin pour aller nettoyer des bureaux et vendre les fruits le soir, souvent à des heures tardives de la nuit. Elle abandonna donc son poste d’agent de nettoyage pour le commerce des fruits. Le problème de la dépigmentation, est que plus la peau devient claire, plus il faut dépenser pour l’entretenir. Une charge difficile  à supporter pour une vendeuse de fruit qui porte aussi une lourde charge sociale sur ses frêles épaules. 

La dernière fois que j’ai vu Korian, je n’ai pas pu retenir les larmes. Elle était méconnaissable et essayait de couvrir maladroitement tout son corps parce que sa peau était tachetée de plaques de boutons. A l’étale des fruits, c’est sa fille qui la remplaçait quand elle revenait de l’école. Et comme je n’arrêtais pas de demander les nouvelles de sa Maman, elle finit par m’avouer qu’elle était gravement malade. Quand, je l’ai vu, j’ai vite compris que son problème était plus grave parce que la plaie sur le sein gauche avait tout l’air d’un cancer de la peau à une étape avancée. Selon elle, cela avait commencé comme une égratignure. 

Mais, comme la plaie ne cessait de s’aggraver lui causant une douleur atroce, elle avait cru qu’on lui avait jeté un mauvais sort. Et cela d’autant plus que sa relative réussite avait fait des jalouses parmi ses amies du village vivant dans la capitale. Tout comme elle se montrait intraitable avec les hommes qui voulaient profiter de l’éloignement de son époux pour jouer  avec elle. Belle à ravir, elle aurait pu tirer beaucoup de profits de son charme. Mais, bien éduquée sur des valeurs, elle était résolue à résister à toutes les avances tant qu’elle restait officiellement mariée.

Pendant qu’elle passait d’un guérisseur à un autre (plutôt des charlatans), le monstre la rongeait. Et heureusement que, grâce à des associations humanitaires, elle a été prise en charge à temps, évitant du coup une métastase. Korian a finalement été amputée du sein, mais elle est en vie comme si le sort lui offrait une seconde chance pour tirer les enseignements de ses erreurs. 

Aux dernières nouvelles, elle se remet progressivement aussi bien sur le plan sanitaire qu’au niveau de son petit commerce de fruits. A vouloir être une Blanche à tout prix, elle a risqué ses revenus et sa… vie !

«Chaque femme est une reine», dit le poète ! A condition bien sûr de ne pas céder au complexe poussant à sacrifier sa peau et, par la suite, sa vie, pour séduire, pour plaire !

BOLMOUSS