Géopolitique: Les défis de l’Afrique

Une démographie galopante. En 1960, à l’époque des indépendances, l’Afrique comptait 273 millions d’habitants. En 1996, elle a dépassé les 700 millions. Au début du troisième millénaire, elle va atteindre le milliard, et les signes avant-coureurs d’un ralentissement de la croissance démographique sont visibles. Selon les dernières prévisions des Nations unies, l’Afrique compterait en 2025 entre 1,090 et 1,220 milliard d’habitants, ce qui traduirait un ralentissement de sa croissance et un relatif recul de la fécondité de huit (8) enfants vers six (6) enfants par femmes, la mortalité restant stable, compte tenu des ravages du sida. Mais c’est un effet ralenti puisque, si le nombre d’enfants par femme décroît, celui des femmes en âge de procréer continue à augmenter.

Or, la croissance démographique étant supérieure à la croissance économique, l’Afrique ne peut qu’amplifier son retard au lieu de le combler, d’autant plus que le nombre de personnes à charge par personne active s’accroît et qu’un Africain sur deux sera demain un urbain, même si l’espace rural n’est pas déserté pour autant. De ce point de vue, les calculs des Nations unies, qui fixent l’urbanisation en 2025 à 33%, paraissent sous-estimés car ils n’ont pas pris en compte les phénomènes de conurbation avec accumulation de la population à la périphérie des villes. On compte déjà vingt cinq (25) villes de plus de 1 million d’habitants au sud du Sahara et une de plus de 10 millions, Lagos. Jusqu’ici, la population urbaine triple en moyenne tous les vingt ans et on ne voit aucune décélération du phénomène.

L’agglomération de telles masses faciles à émouvoir et à exciter à la violence et pillage est d’autant plus difficile à gérer que ces foules sont à la fois jeunes et pauvres, et qu’elles ont devant les yeux l’image du luxe et de la corruption. Mais ces urbains peuvent être aussi demain les nouveaux commerçants, les nouveaux industriels ou les nouveaux créateurs d’une Afrique libérée de la tradition séculaire et recherchant dans l’association avec d’autres forces vives un partenariat que le groupe familial et le souci d’une carrière individuelle ne leur avaient pas permis d’expérimenter.

Une jeunesse insolente. Cette population africaine est  très jeune. 60% ont moins de vingt ans. Elle  n’a vécu ni la colonisation ni les soubresauts des indépendances. Elle a perdu en partie le respect des traditions, de la famille, des pouvoirs. Elle est immergée dans le bouillonnement des cultures urbaines faites de rencontres, de passions, de défonces. Elle voit et entend  tous les jours comment d’autres jeunes en Occident profitent des bienfaits de la consommation et des  ressources de la technologie. Elle veut sa part et ne reculera devant rien pour l’obtenir, comme le font sous ses yeux des dirigeants avides, des fonctionnaires corrompus, des privés inventifs et des golden boys maffieux.

D’où le  développement en Afrique, à rebours des traditions de l’hospitalité africaine, du banditisme et la criminalisation d’une partie de cette population qui décourage à la fois les touristes, les investisseurs… et les Africains eux-mêmes. Mais si la contestation sociale n’est pas seulement protestataire, cette jeunesse peut être aussi le ferment d’un renouveau de la politique et de la culture, d’avancées vers la modernité, d’intérêt pour les problèmes de l’environnement, de l’eau, de la santé, du désir d’exploiter la technologie et de faire connaitre ses savoir-faire au reste de la planète en bousculant les institutions fatiguées laissées par un XXe siècle improductif.

Une paupérisation rampante. On ne  reprendra pas ici les chiffres fournis par toutes les études qui montrent que, toutes choses égales, l’écart des niveaux de vie entre la population africaine et le monde occidental s’est accru en dépit de toutes les aides, des transferts de fonds des émigrés et des efforts des Africains eux-mêmes. Tant qu’il y aura un écart non seulement de niveau  de vie, mais de signes extérieurs de richesse entre les gouvernants africains et leurs gouvernés, le respect qui s’attache au chef, à sa force et donc à l’abondance de biens qui l’entourent n’est pas destiné à perdurer. Quand le chef est battu, toutes ses possessions sont mises à sac sans vergogne. L’information et la communication, souvent alimentées par la rumeur, font de tout possédant une victime en sursis. Mais c’est peut être aussi le réveil d’une population confrontée à l’ambivalence de l’institution étatique. Les salaires de la fonction publique n’expriment ni la productivité ni les bénéfices dégagés. L’Etat au service de ses serviteurs voit ceux- ci se servir sur lui. Il ne prélève rien sur la valeur ajoutée ni sur l’économie informelle. Et parfois, il n’assure pas les services minima (sécurité, électricité, voirie, justice…) pour lesquels il a été constitué. Si les prévisions de croissance du NEPAD  (7% par an) paraissent irréalistes, il n’est pas exclu que d’autres formes d’organisation plus décentralisées, dans laquelle l’Etat jouera moins un rôle de contrôle et plus un rôle d’incitateur, se mettent en place sous la pression de la nécessité et, par une productivité plus grande et une participation des populations, fassent progresser le revenu moyen du pays.

Jean GOUREVITCH