Dictature en marche:Chronique d’une confiscation progressive du pouvoir

ATT apparaît désormais comme un as de la technique du fait accompli. Ses faits et gestes de tous les jours suffisent à démontrer ses velléités de confiscation du pouvoir. L’homme, en effet, n’a jamais su brider ses ambitions. On raconte que déjà au milieu des années 80, il prépare un coup d’Etat contre Moussa Traoré, une conjuration qui n’aura pas le temps d’aller jusqu’au bout, des évènements et  signes funestes ayant contrarié fortement le projet. ATT ne sera pas inquiété, les marabouts ont nuitamment et longuement adressé avant des supplications à la seigneurie divine au cas où… Mais ce ne fut que partie remise, il faut au jeune officier parachutiste le pouvoir parce que le Ciel l’a déjà gravé sur les Tablettes protégées et les astres l’ont attesté.

Arrive 1991 qui débute sur les charges que portent régulièrement les mouvements et associations démocratiques au régime du général Moussa Traoré. Une opportunité qui tombe comme mars en carême et qu’il sied bien de saisir. Et voilà la nuit du 25 au 26 mars 1991. L’armée, sans coup férir, s’empare du président de la République. Mais à vaincre sans péril, on triomphe sans gloire. Tel est le tableau de la nouvelle situation. Mais  Moussa Traoré entre les mains de ses jeunots galonnés n’est pas la peinture achevée du décor. Le pouvoir semble errer, quelque part, à Bamako- Coura, à la Bourse du travail. Là, les civils insurgés cogitent, imperturbables, fiers qu’ils sont de la victoire qu’ils viennent de remporter sur le pouvoir déchu. Dans la matinée, arrive un jeune lieutenant, qui exécute un garde à vous impeccable. Professeur Ali Nouhoum Diallo, figure de proue de la lutte démocratique témoigne.

Le jeune lieutenant demande :

* Qui est le professeur Abderahmane Baba Touré ?
* C’est moi, répond Abderahmane avec son humilité habituelle.

Le jeune lieutenant :

* Le Lieutenant colonel Amadou Toumani Touré vous invite à vous rendre à la Maison du Peuple.

Abderahmane : Qui est celui-là ?

Le jeune lieutenant, visiblement surpris :

* Je vous dis : le Lieutenant colonel Amadou Toumani Touré, Président du C.R.N !

Abderahmane : – Encore une fois, qui c’est celui-là ? Et quel est ce machin qu’il préside ?

Le président de l’Alliance pour la Démocratie au Mali (A.DE.MA) et numéro deux de la Coordination des Associations et organisations Démocratiques, réalisant l’embarras, le désarroi même du jeune lieutenant, lui dit :

* Tenez, mon lieutenant, je vais vous aider. Allez dire à celui qui vous a envoyé de répondre à deux questions : 1-Qui vient de prendre le pouvoir au Mali ?2- A l’heure où nous sommes, où se trouve le pouvoir ? A la Bourse du travail où se trouve le Mouvement démocratique ou à la maison du Peuple où se trouve votre employeur ? Selon les réponses données, je saurais qui est le Lieutenant colonel Amadou Toumani Touré et qu’est-ce que c’est le C.R.N.

Bref, l’émissaire s’en retourna. Et, bientôt, le C.R.N. arrive à la Bourse du travail. Professeur Ali Nouhoum Diallo témoigne toujours : « Après une heure ou deux d’entretien entre le C.R.N. et la Coordination des Associations et Organisations Démocratiques, Messieurs Bakary Karambé et Amadou Toumani Touré, entourés de leurs collègues, apparaissent au balcon. L’Hôte et le Maître des lieux prennent la parole. Ce sont les mots du Lieutenant Colonel qui étaient attendus :

– Oui ! Le pouvoir se trouve, au moment où nous sommes, à la Bourse du travail. C’est bien le Mouvement Démocratique qui a pris le pouvoir. Nous, militaires, n’avons fait qu’apporter notre toute petite pierre. »

Le pouvoir transitoire se met aussitôt en place. Lieutenant colonel Amadou Toumani Touré est le président du C.T.S.P (Comité transitoire pour le salut du Peuple). Montesquieu vient en rêve à ATT : «  L’homme, toujours plus avide de pouvoir à mesure qu’il en a davantage, et qui ne désire tout que parce qu’il possède beaucoup. » Le héros du 26 mars ne comprend pas le sens des propos du père de L’Esprit des lois. Dr. Soumana Sacko est appelé de l’extérieur pour venir assumer les fonctions de Premier ministre. Neuf jours après la chute de Moussa Traoré, le il converse pour la première fois, le 04 avril vers 20 heures, avec ATT. Celui-ci lui fait une proposition « que je ne dévoilerai pas ici, que j’ai refusée tout net : je suis venu pour la période de transition, le reste ne m’intéresse pas du tout. » écrira Zou dans les colonnes de Jeune Afrique. La roue de l’histoire continue à tourner.

En 1994, alors que la Transition a pris fin depuis bientôt deux ans, ATT, jeune président de la République retraitée, veut garder son logement au camp para de Djicoroni. Le contact avec les troupes est rassurant et opportun. Le nouveau maître de céans ne l’entend pas de cette oreille. Une sombre affaire de documents secrets envenime en plus les relations entre les deux officiers. Alpha Oumar Konaré, président de la République en exercice, doit trancher. Les précieux documents resteront en la possession d’Amadou Toumani Touré, mais il doit quitter le camp para. Il en gardera une rancune morbide. Vint l’élection présidentielle de 1997.

ATT tient à être candidat. Il a fallu l’assiéger par une armada de sages pour tempérer son ardeur. Il patientera donc, la mort dans l’âme. En 2001, il tient pour certitude absolue que s’il n’est pas candidat à l’élection présidentielle de 2002, l’armée fera un coup d’Etat. Dans tous les cas, il ne tient pas à laisser n’importe qui prendre le Mali. Et voilà tous les potentiels candidats à cette compétition majeure disqualifiés en un tour de langue. Dans le meilleur cas, qu’ils patientent- bon sang- lui, Amadou Toumani Touré, vient juste pour un mandat, le temps de réconcilier la classe politique avec elle-même d’une part et d’autre part avec l’armée. Intention noble vite prise à défaut de sincérité. Pour être candidat, il sera admis à la retraite anticipée dans un de ces tours de contournement de la loi électorale qui ne doit plus avoir lieu. Un pas, un autre pas, encore un autre pas : c’est une marche cadencée vers un pouvoir éternel. Pourvu que quelqu’un puise le disputer à Dieu.

L’année 2007 sera celle du «Takokélen », victoire- éclair sur d’autres candidats humiliés. Comme ils ne pèsent toujours pas d’un poids suffisant et qu’ils sont encore de braves « n’importe qui », eh bien, allons pour une prolongation au pouvoir. Le 19 janvier 2011, une pétition est lancée pour une prolongation de mandat présidentiel de deux ans : parce qu’il y a encore de poulaillers à construire, parce qu’il y a à curer le fleuve Niger, parce qu’il ne faut plus qu’un seul Malien puisse encore souffrir de migraine. Tout cela est, disons-le, parce que les démocrates ont cessé d’être jaloux de leur démocratie. Voyons !

Amadou N’Fa Diallo

Le National 07/02/2011