Diallo Fadima Touré, malienne du Canada : « Sur le plan sécuritaire au Mali, je trouve que les lignes  bougent…»

Diallo Fadima Touré, malienne du Canada

De la condition qui a prévalu à l’élaboration d’un manifeste pour la sortie de crise en 2019 à l’analyse de la situation sécuritaire actuelle au Mali, l’ex-ministre du Logement, de l’Urbanisme et des Affaires foncières dans le deuxième gouvernement Cheick Modibo Diarra, Diallo Fadima Touré, se livre dans un entretien accordé à la Diaspora. Installée au Canada depuis bien avant sa nomination, cette valeur sûre de la scène politique malienne brosse l’évolution de la situation dans son pays. Une interview riche en enseignement.

Bonne lecture ! 

DiasporAction : Parlez-nous un peu du manifeste du Canada pour le Mali ; c’est quoi exactement ?

Fadima Touré : Vous vous souvenez quand l’ancien PM Soumeylou Boubèye Maïga avait déclaré qu’il financerait toute initiative tendant à trouver des voies de solutions pour la sortie de crise du Mali ? Eh bien, j’ai saisi l’occasion et Yacouba Doumbia et moi avons mis les petits plats dans les grands pour demander un don à l’ambassade (payer la salle) ; le reste s’est passé comme par magie. Lassine Traoré du Haut conseil des Maliens du Canada, avec son répertoire, a invité la communauté. Je me suis chargée de la diffusion auprès des Canadiens et d’autres personnes africaines ou pas car pour le Manifeste, chacun a sa solution pour la sortie de crise malienne. Plus de 75 personnes se sont présentées. Je salue ici Ismaël Traoré, notre doyen, et son épouse Juanita Traoré, la première femme noire juge à la Cour du Québec, malienne par alliance.

Nous avons travaillé d’arrachepied sur des textes que j’avais élaborés en courtes phrases sur les maux qui rongent notre société. De 72 articles, après des dizaines de rencontres hebdomadaires sans relâche nous, avons fait consensus sur une quarantaine d’articles au final qui a donné le MCM et son Préambule.

Les Maliens du Canada se sont regroupés pour traiter ce manifeste en faveur du retour effectif de la sécurité, de la paix et de l’entente.  De son élaboration en juillet 2019 à aujourd’hui, quels sont les résultats obtenus ? Etes-vous satisfaite ?

Je me permets d’ouvrir une petite parenthèse. Comme vous le savez, nous n’avons pas de capacité à trouver des équipements de combat et nous ne sommes pas des militaires. Alors, notre rôle dans la sécurisation est par ricochet. Je vais vous énumérer un certain nombre d’actions non exhaustives qui concourent à l’apaisement social et économique.

D’abord se faire connaître et se faire entendre : nous sommes reconnus juridiquement par le Canada et le Québec. Nous avons mis sur la table de Radio-Canada et de tous les membres des deux paliers de gouvernement qui sont susceptibles d’influence quelconque une copie du MCM. Le Président IBK à l’époque en avait via notre ambassade. Nous avons renouvelé quand le régime. Je rappelle que le MCM est apolitique.

De plus, les textes du MCM ont nourri les documents du Dialogue national, partie canadienne. En passant, le Canada a pu être sélectionné grâce aux actions pressantes du CSDM à travers notre compatriote membre du MCM, Soumaïla B. Coulibaly.

Nous avons contribué à améliorer le sort des femmes déplacées de Faladiè avec l’appui à la gestion du CECI et celui en don important d’un Américain qui se fait même appeler « Maki Tall » via Erica Pomérance, membre fondatrice du MCM.

Nous avons fourni des livres à certains établissements scolaires de Bamako et de la région de Kayes grâce au don du club Rotary, via Eliane Monnier Hubert, membre du CA du MCM.

Nous avons des promesses de la mise à notre disposition de 300 hectares à Kolongotomou, dans la zone de l’Office du Niger via le Haut Conseil des Maliens du Canada.

Nous avons participé activement comme partenaire au Festival Nuits de Tombouctou dont le promoteur est notre compatriote, membre du MCM  Shindouk, Mohamed Lamine Ould Najim, de la deuxième à la troisième édition 2022 où l’on a fait valoir notre pays et son indivisibilité.

Nous avons des séries de contes en voies d’être publiés en bamanankan grâce à notre compatriote membre du MCM demeurant en Arabie Saoudite, Fatoumata Diakité.

Nous fermons assez régulièrement nos rencontres avec une lecture ou interprétation du Kurunkanfuga.

Depuis janvier nous avons instauré des cotisations et notre compte commence à être garni. Ce qui est un signe d’autonomie future.

Dans le document, vous avez demandé que le Canada soit impliqué davantage, de concert avec les autres membres de la communauté internationale pour éviter toute partition du Mali ou toute solution qui n’aurait pas l’assentiment des populations. Vous voudriez dire quoi concrètement par rapport à cela ? Est-ce toujours d’actualité ?

Vous savez, on dirait que nous étions des devins car aujourd’hui l’étranglement se situe exactement au niveau de l’incompréhension de l’OTAN des actions sécuritaires entreprises par le gouvernent en place qui est cependant appuyé fortement par la population. Toutefois, jusqu’ici, nous n’avons pas connaissance de prises de position du Canada, autre que d’être membre de cette organisation, contre le Mali. Nous veillons.

Il était également question d’associer les Maliens du Canada à toute décision pouvant influer sur leur séjour dans ce pays d’accueil. Actuellement, vous n’êtes pas confrontés à un problème de séjour ou à un autre problème particulier ?       

Comme je l’ai dit précédemment, le Canada n’a pris aucune mesure allant à l’encontre de notre existence ici. Il est certes difficile pour nos parents de nous rendre visite mais cela n’est pas propre aux Maliens. L’immigration canadienne est débordée par les conséquences de deux ans d’arrêt de la pandémie et aussi par la priorité accordée aux dossiers des réfugiés ukrainiens. Ce phénomène n’est pas nouveau, nous avons vu le cas des haïtiens refoulés des USA. À cette époque aussi, le Canada a donné la priorité aux dossiers des Haïtiens.

Nous veillons. Sans faire de politique, nous saurons nous mobiliser pour faire avancer les idées du MCM.

Pour revenir à l’aspect sécurité. Quelle analyse faites-vous de la situation sécuritaire du Mali de 2019 à nos jours ?

Je trouve au moins que les lignes bougent car nos vaillants soldats et hauts dirigeants nous rassurent sur l’acquisition d’équipements, la bravoure des soldats et la détermination des dirigeants à donner leur vie pour que nous retrouvions notre dignité. La dignité est sacrée pour les Maliens. Toutefois, je demeure convaincue qu’il est nécessaire d’aller aux négociations avec toutes les parties quand le pays sera en position de force.

Je vais vous dire quelque chose qui va vous surprendre. Je ne suis pas contre le fédéralisme. Si cela peut épargner des vies humaines pourquoi pas ? El Hadj Oumar a installé ses fils à la tête des royaumes qu’il a conquis, chacun des fils s’organisait librement. Des fois ils se jouaient des tours à la limite méchants. Il suffira de circoncire les contours et bien définir les rôles de chaque entité, appelez-la Khalifa, bloc, ou canton peu importe. Les autres veulent nous décimer, ne prêtons pas le flanc longtemps.

Avez-vous un aperçu général sur la marche de la transition au Mali ?

À titre personnel, j’approuve sans ambages la Transition actuelle. Vous savez qu’un article ancien du MCM disait de se séparer de l’hégémonie française ? C’est pour cela que je parle là en mon nom personnel. Nous sommes sur une voie certes noble, mais glissant car les adversaires sont nombreux et perfides. Nous avons besoin de solidarité, d’union sacrée à l’interne comme avec les Maliens établis ailleurs avec des alliances circonstancielles. Je pense que c’est ce que la Transition essaye de faire. Toutefois, si l’on ne prenne garde la déstabilisation de nos alliés stratégiques et géographiques pourrait nous faire baisser les armes. C’est cela qu’il faut craindre sinon je pense que le peuple a compris, la jeunesse est active. Si les femmes s’impliquent davantage, nous atteindrons facilement notre unité.

Un conseil à l’endroit des autorités de la transition plus particulièrement au président Assimi Goïta ?

Assimi Goïta, notre Président est très grand pour recevoir un conseil de moi, assise au fin fond de l’île Bizard à Montréal. Alors, pour remuer la langue, je dirai simplement de ne pas accepter que dans la nouvelle Constitution du Mali, on ramène des idées pour écarter les Maliens ayant des passeports de leurs pays d’accueil. C’est là où je m’oppose à Salif Keïta et à Mabel Boubou qui pensent que nous sommes des anti-Maliens, interprété grossièrement.

Imagine que mon arrière-petit-fils qui sera toujours vu ici au Canada comme un noir même si, à part ma fille, tous ses autres parents sont différents. Ce petit-fils décide de retourner au Mali et qu’il ne puisse pas accéder à la position dirigeante politique de son choix ! Que va-t-il devenir ?  J’aimerais réellement que l’on n’ouvre pas cette porte dangereuse de la discrimination chez nous.

Nous sommes des panafricains et des afro- descendants. Modibo Keïta avait dans ses rangs intégrés beaucoup de panafricains.

Soyons solidaires et aimons le Mali davantage.

Réalisée par AB Kouyaté