COVID-19: au tour de l’Afrique?

Relativement épargné jusqu’ici par le coronavirus, le continent africain doit « se préparer au pire », selon le directeur général de l’OMS.

L’Afrique avait jusqu’ici été relativement épargnée par la crise du coronavirus qui bouleverse le monde.

Mais la hausse en flèche du nombre de cas sur le continent laisse maintenant présager une catastrophe. Si certains pays sont mieux préparés que d’autres pour faire face à la menace, beaucoup pourraient se retrouver d’ici peu avec un gros problème sur les bras, en raison de leurs systèmes de santé plus fragiles.

« L’évolution rapide de la COVID-19 en Afrique est profondément inquiétante et constitue un signal clair pour agir », a déclaré jeudi en conférence de presse la Dre Matshidiso Moeti, directrice régionale de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) pour l’Afrique. Guère plus rassurant, le directeur général de l’OMS, l’Éthiopien Tedros Adhanom Ghebreyesus, a pour sa part affirmé que le continent devait « se préparer au pire ».

Plus de 30 pays africains sur 54 seraient désormais touchés. On ne comptait que 140 cas et une dizaine de morts en début de semaine. Ce nombre est aujourd’hui monté à plus de 600 cas et 17 morts, le premier étant survenu mercredi au Burkina Faso.

La plupart des transmissions en Afrique viendraient de l’étranger, principalement de voyageurs et vacanciers venus d’Europe. Mais on recense aujourd’hui une douzaine de pays avec des transmissions locales, « ce qui est plus inquiétant », admet l’épidémiologiste Yap Boum II, directeur d’Épicentre Afrique, le centre de recherche de Médecins sans frontières à Yaoundé, au Cameroun.

Réactions en cascades

Touché sur le tard, le continent peut certes tirer des enseignements de la façon dont la Chine, l’Italie ou la France tentent de freiner l’épidémie. Plusieurs gouvernements ont réagi très précocement, avec des mesures variant selon les pays.

Le Nigeria, qui compte 200 millions d’habitants, a annoncé mercredi qu’il interdisait d’entrée tous les voyageurs en provenance des pays européens ou asiatiques infectés. Pays d’Afrique noire le plus touché jusqu’ici, l’Afrique du Sud a, pour sa part, considérablement durci sa politique de visas, tandis que l’Ouganda et le Mozambique imposent des mises en quarantaine aux voyageurs en provenance de pays infectés.

Depuis une semaine, le Maroc interdit de son côté tous les vols internationaux. Premier pays africain à avoir été contaminé, dès février, l’Égypte a par ailleurs annoncé qu’elle fermait tous ses bars, restaurants et clubs de gym, alors qu’au Sénégal ou en Côte d’Ivoire, on a fermé les écoles et interdit les rassemblements. Vendredi après-midi, enfin, la Tunisie est à son tour passée au confinement complet.

On peut se demander si les mesures de confinement et de distanciation sociale seront applicables dans des pays où la pauvreté induit souvent la promiscuité, qu’on pense bidonvilles, taxis collectifs et logements surpeuplés.

Mais le professeur Yap Boum II se réjouit, malgré tout, de la rapidité d’action observée jusqu’ici.

« Sur ce coup-là, on a eu l’occasion de voir venir, se réjouit l’épidémiologiste. On prend ces décisions maintenant, alors que les pays européens les ont prises après des milliers de cas. Ça peut permettre de limiter la transmission. Pour une fois, les derniers sont les premiers. »

Un manque de tout

Plusieurs hypothèses circulent pour tenter d’expliquer la propagation tardive du virus sur le continent africain.

Parmi celles-ci, la possibilité que le climat ait diminué la portée de l’épidémie, le virus ne survivant pas à un air sec et des températures élevées.

Yap Boum II n’écarte pas cette possibilité. Mais compte tenu du très peu d’informations dont on dispose sur la COVID-19, il préfère rester prudent. « Vous savez, on a aussi des grippes en Afrique, dit-il. Il faudra voir comment la situation évolue dans les prochaines semaines, alors qu’on entre tranquillement dans la saison des pluies. »

Ce qui est certain, dit-il, c’est que dans nombre de pays africains, le système de santé ne serait sans doute « pas assez robuste » si les cas sévères venaient à se multiplier. Manque de lits, de kits de dépistage, de ventilateurs…

Cette inquiétude est d’autant plus grande que des millions d’Africains, porteurs du VIH, sont encore plus vulnérables en termes de résistance immunitaire.

Les gens qui auront besoin de ventilateurs, c’est là qu’on sera coincés. En France, je ne sais pas combien de ventilateurs sont disponibles. Peut-être des milliers ? Or, je ne suis pas sûr qu’à Yaoundé on ait plus de 10 respirateurs…

Yap Boum II

« Si effectivement l’épidémie arrive à grandir, le point critique sera la prise en charge et la réanimation en soins intensifs. »

Responsable des programmes de Médecins sans frontières pour le Burkina Faso, le Cameroun, le Niger et le Nigeria, Dorian Job souligne par ailleurs qu’il ne faut pas sous-estimer l’impact des mesures de restriction pour les patients souffrant d’autres pathologies, comme le paludisme, la diarrhée ou la tuberculose.

« La concentration de l’attention sur la COVID-19 risque de minorer les autres aspects de santé, de limiter l’accès aux soins et aux médicaments », lance le docteur, établi à Dakar.

De l’optimisme… ou pas

Malgré l’inquiétude, on joue l’optimisme. Outre le fait qu’il compte sur une population majoritairement jeune – potentiellement plus résistante –, le continent n’en est pas à sa première épidémie.

Certains pays en particulier, comme l’Ouganda ou la République démocratique du Congo (RDC), ont beaucoup appris de leur combat contre le virus Ebola. Or, M. Job estime que cette expérience leur donnerait de meilleurs « réflexes » en matière de santé publique.

« Il est clair que les pays africains ont plus d’expérience en matière de gestion des urgences sanitaires, explique l’expert. On va plus vite et plus facilement vers la simplification des protocoles et standards médicaux, ce qui pourrait permettre une réponse plus rapide dans une situation comme celle-ci. Je ne serais pas surpris, en réalité, que de nouvelles solutions de réponse à cette épidémie de coronavirus viennent du continent africain. »

Codécouvreur du virus Ebola en 1976, Jean-Jacques Muyembe Tanfum ne semble pas aussi convaincu.

Le virologue congolais confiait jeudi au journal Le Monde qu’en dépit des connaissances acquises dans la lutte contre l’Ebola, la RDC était tout sauf prête à affronter la COVID-19. Il évoquait un taux de mortalité « avoisinant les 10 % ».

On le saura bien assez vite…

Le confinement ? On verra bien…

Un lecteur de La Presse, Denis Morin, nous écrit d’Abene, petite ville du Sénégal située à 30 km de la frontière gambienne. Le Québécois, qui est marié depuis 20 ans à une Sénégalaise, constate que si la population observe certaines précautions, il n’est pas si facile de rompre avec ses habitudes.

« Ici, lorsqu’on va à la banque, il y a un agent qui nous met du Purrel dans les mains en entrant. On ne se serre plus la main. On fait du coude. Les jeunes sont très au courant grâce à l’internet… Pour ce qui est du confinement, je crois qu’il faudrait qu’il y ait un très grand nombre de décès pour que ça arrive, et même là, je ne suis pas certain. La plupart des gens vivent au jour le jour. La plupart qui n’ont pas de frigo, donc vont tous les jours dans des marchés bondés. On mange par groupes de six et plus dans de grands bols. Ici, au Sénégal, il y a toujours de la place pour quelqu’un qui cherche à manger, les familles sont tissées très serrées et on se visite beaucoup… »

JEAN-CHRISTOPHE LAURENCE
LA PRESSE

Publié le 21 mars 2020 à 6h00