Contribution : Et si c’était au mali ?

En politique, la violence est le refus de la démocratie, c’est-à-dire le rejet des règles établies par la société pour se pérenniser dans la justice et la liberté. Les incendies, les casses, les meurtres ne sont pas la violence mais des conséquences de la violence. La passion politique est spécifique. Elle est la plus évitable et la plus prévisible de toutes les passions. En analysant la violence de ces derniers mois au Burkina Faso, on se rend aisément compte qu’elle est un phénomène d’accumulation. Pendant des années, des femmes et des hommes se sont emmurés dans un silence tout de larmes, dû à des brimades, aux impunités en tous genres, à des mesures politiques injustes…. Puis, tout d’un coup, tel un volcan, le mur se brise, libérant un magma de lave incontrôlable et dévastateur. Seule la haine devint le flambeau qui éclaire et brûle.

Ce qui se passe au Burkina doit nous éclairer, nous inspirer, nous faire consolider les bases de la non violence. Dans le domaine de l’accumulation des rancœurs, de la haine aveugle, des injustices trop criardes, la société malienne sans atteindre le niveau de « stockage » burkinabé n’en a pas moins pour actionner les leviers d’un bouleversement ou allumer la mèche d’une explosion sociale. Il y a  lieu de le savoir, de l’avoir constamment à l’esprit, d’œuvrer chacun et tous pour l’éviter par nos actes. Et si c’était au Mali ? Cette réflexion que nous proposons est le fruit de notre modeste volonté à briser les sujets tabous, en évitant la politique de l’autruche. Nous devons être à même de nous interroger ouvertement et publiquement sur les grandes questions de la vie de la nation dans cette phase importante de son évolution démocratique.

C’est, je le trouve, le seul moyen pour nous de conjurer certains maux. Alors ; et si c’était au Mali ? Que se passera-t-il si un matin, un groupe de «  marsouins » se mettait à tirer sur tout ce qui bouge, dans toutes les directions, à piller les commerces, à semer désordre et désolation ? Posons-nous  cette question pour découvrir, ou plus exactement, pour nous avouer nos insuffisances ; les regarder en face, sans fard et avec courage. Quand on peut contraindre tout un peuple, on ne saurait laisser des individus prétendre à une quelconque liberté de choix de leur assurance car n’étant ni mûrs, ni capables de savoir ce qui est bien ou mal pour eux. Il est heureux de vouloir créer les fondations d’une solidarité ; mais, il serait bien  meilleur de ne point imposer des mesures impopulaires et de faire preuve d’une grande capacité d’écoute sans faux fuyant.

Nos gouvernants seront sages de surseoir à la retenue sur les salaires ; sauf, pour ceux qui exprimeront leur adhésion à l’initiative. Mais c’est la détermination de la CSTM et Alliés qui conditionnera la future réaction gouvernementale. N’oublions  pas que certains marcheurs faisaient allusion au Code de la famille. Don acte. L’appel du Mouvement des Diplômés sans Emploi du Mali dont l’acronyme est  (MODEM) mais qu’il serait plutôt indiqué de désigner comme les « Madèmew » (ceux qui n’ont pas été aidés) demandant au Président de la République de démissionner dans 7 jours est une première sous l’ère ATT et doit être prise au sérieux. Le mouvement est il parrainé ? Qui est derrière ? La rapidité avec laquelle certains montèrent en grade, parfois contre les règles de l’Armée, mais disposant désormais d’une influence certaine  sur la  marche de l’Etat et la vie de la nation (car tout repose sur un seul Homme le Général) n’a point fait  que des heureux au sein de la grande muette. La nomination au grade de Général du célébrissime Ami National, qui n’a pas fait l’école de guerre continue de susciter des grondements même avec le prolongement d’un an de service.

Le motif pourrait être tout trouvé « pour mettre de l’ordre dans le pays ». Les réformes auxquelles nous n’adhérons pas ne sont pas une priorité. Seule la confection d’une liste électorale fiable et consensuelle  doit être à l’ordre du jour. Les exemples sont faits pour servir et non pour orner l’avenir. Le Bénin, autrefois vitrine de la démocratie, est devenu un boiteux pays démocratique. Ces genres de plaies se cicatrisent difficilement.

Les tensions sectorielles seraient superbement ignorées, si elles n’étaient qu’inventions des journalistes : grève illimitée aux Affaires Etrangères, dans l’enseignement supérieur,  j’en passe. Il nous revient que le Général Président soit prêt à tout pour ne pas rater sa sortie. Pour raté, c’est plutôt raté. Puisqu’au départ, les « récompenses politiques » et à l’arrivée un timing inopportun des réformettes proposées laisseront des traces. Nombreux furent les hommes d’affaires, des commerçants, des politiques et hauts gradés de l’Armée qui ont battu campagne comme ferait tontine. Ils ont presque tous eu leur part. Résultat : une corruption de plus en plus rampante et généralisée.

Le limogeage des DAF et DFM à coup de renfort médiatique soutenu n’est que poudre aux yeux. Nous savons tous que les contrôleurs financiers des différentes DAF sont entretenus au sens propre comme au figuré. Le constat pour la simple forme, du laisser aller, de l’enrichissement illicite, est établi. On tape du poing sur la table, on monte dessus, on descend en dessous. On peut même porter la table. Il fut un moment, où être militant du mouvement citoyen était « l’assurance tout risque » ou être issu de ses émanations. Maintenant cela seul ne suffit plus : il faut  avoir des relations solides, très solides. Un parapluie sur lequel les lourdes grêles de la loi  s’abîment.

Comment comprendre le maintien de certains directeurs nationaux ? Cela en dit long sur la supposée  volonté du Général de lutter contre la mauvaise gestion. Ha ! J’oubliais qu’il avait dit qu’il n’humiliera jamais un chef de famille. Où sont alors les principes  d’ordre général et impersonnel au fondement de la Loi, de l’Etat ? Où est passé le principe d’imputabilité, donc de responsabilité individuelle au titre de la préservation des intérêts généraux de la collectivité ? Face aux intérêts de la collectivité, l’individu passe au second plan. Où en sommes-nous aujourd’hui ?

Il ne suffit pas de chanter l’existence du  vérificateur général, il faut que les Maliens sentent que tout le monde, petit comme grand, respecte les lois. Les petites gesticulations qui consistent à se réunir en Conseil de Ministres pour prononcer quelques révocations tapageuses, laissèrent les  Maliens sur leur faim.

Bamako est un gros village où tout est su dans la minute qui suit. Avec un tel pouvoir, il faut s’attendre à tout. Tout ce que nous venons de dire n’échappe à personne dans le pays ; au peuple comme au tenant du pouvoir. Personne n’est dupe. Ceux qui font semblant de suivre ne suivent pas. Ceux qui font semblant de suivre font semblant d’ignorer qu’ils ne suivent pas. Tout le monde triche avec tout le monde. L’Etat, en premier,  avec l’Assurance Maladie Obligatoire (AMO) qui ne servira à nouveau qu’à engraisser d’autres plutôt qu’à insuffler une vie nouvelle à un système de santé boiteux. Nous pensons que la situation actuelle dans laquelle s’enfonce chaque jour davantage le régime porte les germes de sa propre perte. Notre pays n’est pas à l’abri  de la fièvre sociale  du genre burkinabé. Pour l’éviter c’est simple, il faut que ceux qui sont au pouvoir aient la seule sagesse : savoir conserver le Nord c’est-à-dire le bon sens.

Revoir la taille de l’équipe gouvernementale avec comme mission essentielle la bonne tenue des élections générales de 2012. Toute autre démarche est suicidaire. Et n’oublions pas que « quand un homme se noie, il peut s’accrocher au premier serpent qui passe », même au Mali.

OUMAR SACKO ADEMA BAROU

Le Républicain 06/05/2011