CONCOURS ET RECRUTEMENTS AU MALI Une crédibilité toujours entachée par d’éternels soupçons de magouille

 

  • Recrutés sans volonté aucune pour servir à contrecœur

 Le renvoi d’une vingtaine de recrues de la Protection civile pour des problèmes de santé a suscité colère, désapprobation et indignation au sein de l’opinion nationale. Et les éclaircissements donnés par la direction générale, lors d’un point de presse animé le 29 mai 2019, n’ont pas levé les soupçons de magouilles et de discrimination. Et cela malgré que les recrues aient fait volte-face en présentant leurs excuses à la Direction générale de la protection civile. Ce qui, une fois de plus, met en cause la moralité autour des concours et processus de recrutement à la Fonction publique ainsi que dans les différents corps des Forces armées et de sécurité.

Papou avait tout pour réussir dans la vie. Fils unique d’une famille aisée, il est né avec une cuillère en or dans la bouche comme on le dit souvent. Sous prétexte qu’il était leur seul héritier, ses parents ne lui ont rien refusé.  Tous ces caprices étaient des ordres à exécuter. «Quand tu élèves ton fils au statut de Baba Commandant (Préfet), tu seras la première personne à qui il va réclamer l’impôt per capita», dit un adage manding mettant l’accent sur la rigueur de l’éducation.

Une manière de dire que, quel que soit ton amour pour ton enfant, on ne doit pas céder à tous ses caprices. Mais, les parents de Papou n’étaient pas certainement de cet avis. Des meilleures crèches aux prestigieuses écoles privées, aucun sacrifice n’était au-dessus de la réussite de leur progéniture. Malheureusement, pour ce dernier, le DEF a été une fin en soi.

Au lycée, les mauvaises fréquentations lui ont ouvert les portes de l’univers de la délinquance et il est vite devenu accroc au tabac, à la drogue, aux liqueurs fortes…Pour l’extraire de ce cercle, ses parents ont cru bon de l’envoyer étudier à l’extérieur. Mais, à deux reprises, il fut renvoyé pour insuffisance de résultats et violence…

Et on ne sait comment, mais les parents se sont débrouillés pour lui obtenir le baccalauréat, un Master en marketing et à lui faire passer le concours d’entrée dans un corps des forces armées et de sécurité sans visite médicale ni concours… C’était minimiser les effets dévastateurs du tabac, de la drogue et de l’alcool sur ce jeune qui ne pouvait pas marcher 100 mètres sans s’essouffler.

Et malheureusement, il est tombé sur Zambla, un instructeur incorruptible qui ne se fichait pas mal du statut social des uns et des autres.  Une semaine après le début de la formation, Papou fut foudroyé par une attaque cardiaque. Les efforts pour le réanimer n’ont pas suffit. A qui la faute ? Aux parents qui avaient soudoyé la chaîne de recrutement pour faire passer leur fils à un concours au mépris de ses aptitudes physiques. Ils pensaient lui offrir une carrière, un avenir… Mais, ils ont creusé sa tombe !

Kader est tout le contraire de Papou car il est né dans une famille très modeste et il a dû user ses culottes sur les bancs de l’école publique pour avoir le DEF, le BAC et un master en sciences sociales. Mais, impossible  d’avoir du boulot. Et il a dû faire des petits métiers pour épauler ses parents jusqu’à ce que l’un de ses copains lui file le tuyau pour être admis au concours de la police.

«Il est reproché beaucoup de choses aux policiers aujourd’hui. Des mauvaises pratiques liées au recrutement. N’est-ce pas qu’on investit de l’argent pour le fructifier ? Nous sommes nombreux dans cette situation. Nos parents se sont presque ruinés pour que nous puissions intégrer la police et d’autres corps. Et cela d’autant plus que les capacités physiques et les meilleures notes aux concours ne suffisent plus pour être admis. Quand on ne banque pas, on n’a peu de chances de passer parce qu’on perd sa place au profit de ceux qui ont les moyens. Et une fois en fonction, difficile d’ignorer ce sacrifice… C’est ce qui explique en partie cette course effrénée pour s’enrichir et être utile à sa famille», nous a-t-il expliqué il y a quelques années lors d’une investigation sur la corruption au sein des forces de sécurité.

 

Jamais de concours sans magouilles

On comprend alors aisément que le doute persiste sur ce qui vient de se passer au niveau de la protection civile. La Direction Générale n’aurait pas mieux fait pour saper le geste symbolique du président de la République qui vient de manifester la reconnaissance de la nation à un héros… En effet, le jeune Mamoudou Diarra, qui a sauvé 9 personnes lors de l’inondation, a commencé sa formation à la protection civile en fin mai dernier. Une bonne initiative aussitôt noyée dans un scandale.

En effet, le 20 mai 2019, la Protection civile a renvoyé du centre de formation de Markala (Ségou), une trentaine de recrues sans raisons convaincantes. Après au moins un mois de formation intensive, elles ont été jugées inaptes. Et pourtant, selon les témoignages des infortunés, ils ont reçu avec brio à tous les niveaux de tests et à toutes les épreuves auxquelles elles ont été soumises pour intégrer le camp de formation.

De quoi souffrent-t-ils ? Est-ce une manière d’écarter certaines personnes dépourvues de soutiens ? En tout cas, la vidéo enregistrée par les recrues concernées a eu un effet viral sur les réseaux sociaux suscitant colère et indignation dans l’opinion nationale.

Accusée de magouille, la Direction générale s’est défendue lors d’une conférence de presse organisée le 29 mai 2019. Ainsi, on apprenait que le processus de recrutement était particulier cette année car il a été «décentralisé». Les visites médicales se sont donc déroulées dans les régions et les recrues directement transférées au Centre de formation de Markala.

Et que, contrairement à ce qu’elles ont soutenu, les recrues n’ont jamais fait un mois de formation. Elles seraient arrivées à Markala le 30 mars et les formateurs le 09 avril 2019. Et pendant que la visite se poursuivait les recrues s’attelaient aux travaux d’assainissement du centre. Quand les résultats sont sortis, sur les 500 recrues 22 ont été jugées inaptes à la formation militaire et la hiérarchie aurait été informée. Selon la Direction générale de la Protection civile, il s’agit des pathologies qui peuvent «infecter les autres recrues ou porter atteinte à la vie de la recrue». C’est pourquoi «des éléments malades ont été remplacés».

Et, coup de tonnerre quelques jours après, quand les recrues concernées ont fait une nouvelle vidéo, par l’entremise de leur porte-parole Maminata Diawara, pour faire leur mea-culpa et présenter leurs excuses à la Direction générale. Un renversement de situation qui n’est pas encore venu à bout de la polémique suscitée par la première vidéo.

Cette affaire a suscité l’émoi et la colère parce qu’il y a toujours un parfum de magouille autour des recrutements au Mali. Et comme on le dit souvent, il n’y pas de fumée sans feu. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que la Direction Générale est sur la sellette pour des présumées malversations. Sauf que cette fois-ci, la couleuvre est difficile à avaler pour les patriotes.

 

Recrutés sans volonté aucune pour servir à contrecœur

En intégrant Mamoudou Diarra dans la Protection sociale, le président IBK a non seulement prouvé que la nation est reconnaissante à ses dignes fils et filles, mais il a aussi en partie restitué à la protection sa noblesse sacerdotale : sauver des vies !

C’est pourquoi ce corps (pas plus que l’ensemble des forces armées et de sécurité) doit être un modèle de passion et de compétence avérée. Comment ces agents peuvent se hisser à hauteur de souhait si l’argent et le statut social l’emportent sur la volonté et la compétence de servir son pays en sauvant des vies ?

Le plus souvent, nos forces de sécurité maquillent leur inefficacité par le manque d’équipements, de moyens logistiques… Certes, mais quand on intègre un métier sans conviction ni engouement (juste pour ne plus chômer), mêmes des équipements les plus sophistiqués ne suffiront pas à faire de vous de meilleurs agents à cheval sur leur serment !

Avant cette affaire au niveau de la Protection civile, en février 2019, l’opinion avait suivi effarée la démission du Directeur général de l’ENA suite à l’annulation du concours qu’il avait organisé. Il avait ensuite chargé le Premier ministre Soumeylou Boubèye Maïga avant d’être attaqué à son tour par le ministre porte-parole du gouvernement. Mais, à l’analyse, la majorité des observateurs donnaient raison au Pr. Amadou Kéita dont le seul tort aurait été de refuser des ingérences politiques dans la proclamation des résultats.

Et cela d’autant plus que c’est en «raison de sa réputation de cadre compétent et intègre qui a le sens du service public» que le choix du Premier Abdoulaye Idrissa Maïga (AIM) s’était porté sur lui comme Directeur général de l’Ecole Nationale d’Administration (ENA) de Bamako. Et en 2017, il a organisé le concours d’entrée à l’ENA en toute indépendance, donc de façon clean car assuré par AIM d’avoir les coudées franches et de ne tenir compte d’aucune intervention que d’autres pourraient lui imputer en faisant du trafic d’influence.

 

La moralité et la crédibilité entachées par l’opacité des pratiques mafieuses

Et curieusement, cette année, le concours avait été annulé par SBM au motif qu’il a des preuves que des actes de corruption ont entaché sa régularité. Et cela avant même que le Jury du concours n’ait terminé ses travaux. Qui sont les corrupteurs, qui sont les candidats qui ont bénéficié de cette corruption… ? Autant de questions du Directeur général et de l’opinion qui sont restées sans réponses au niveau de la Primature. Au lieu d’annuler le concours, pourquoi ne pas juste extraire les bénéficiaires de cette pratique mafieuse ?

Malheureusement, la corruption et le népotisme ont perverti le processus de recrutement non seulement à la Fonction publique mais, pis, au niveau des Forces armées et de sécurité (police, gendarmerie, garde nationale, armée, douane)…

Depuis des décennies, il est même instauré au vu et au su de tous une loi des quotas au niveau du recrutement dans ces différents corps. Ceux qui ont droit à ces quotas sont biens connus. Et ils les utilisent pour en tirer des dividendes politiques, pour faire plaisir au tour d’eux ou les vendent aux plus offrants… Il y a deux ou trois ans, il fallait débourser entre  1 et 2 millions (sinon plus) pour réussir au concours d’entrée à la douane.

Ce n’est qu’un secret de Polichinelle. Comme beaucoup d’autres mauvaises pratiques qui font que les examens, concours ont perdu toute crédibilité aux yeux des Maliens !

Hamady Tamba