Cinquante plus un / l’acquis et le défi

Et il signa à  la table de la démocratie balbutiante un pacte qui désignera notre pays au regard subjugué du monde. Nous serions, sinon, dans l’ancien et nouveau schéma du Sud Soudan avec son bilan macabre et à l’arrivée, une sécession arrachée ou négociée, mais tout de même une partition douloureuse. Quant à l’insurrection de 1991, c’est aussi une chance extrême que ses dégâts, quoique déjà importants, furent limités par le putsch du 26 mars. La rue était certes debout et n’entendait plus s’asseoir qu’au prix du pluralisme exigé. Mais en face, elle avait un pouvoir convaincu d’être victime d’une déstabilisation venue de l’extérieur et sa détermination à écraser le mouvement présageait d’une crise plus longue, plus sérieuse et plus ruineuse.

Il se dit que les vieilles nations se ressaisissent toujours. Dans notre cas, le postulat s’est vérifié. Ainsi donc, le Mali du cinquante et unième anniversaire est le fruit d’un compromis issu de deux grandes agressions à la paix, à l’unité et à la cohésion nationales. Le compromis sera-t-il toujours la réponse ? Notre capital social passe pour être très solide. Nous sommes un pays d’oncles et de tantes, de cousins et cousines, de neveux et de nièces, de voisins et voisines. Notre dénominateur commun est la culture de tolérance. Plus que les réalisations physiques, c’est cette philosophie de la convivialité qui nous singularise. Elle est notre force mais aussi notre faiblesse, si elle est pervertie.

Car, à ce moment-là, elle fera  de notre pays le plus grand pénitencier à ciel ouvert : la prison sociale ! Au nom de laquelle nous puisons dans les caisses de l’Etat. Au nom de laquelle l’impunité s’installe avec sa logique simple mais dévastatrice : les neveux d’abord, tout le reste ensuite. La troisième République aura été souvent prise à partie, par rapport aux deux précédentes Républiques, sur la question de la corruption notamment. Celle-ci est loin d’être un sujet d’importance marginale, la gestion rationnelle et intègre des ressources publiques étant un moteur du progrès. A fortiori celles d’un pays dont bien plus de la moitié vit au dessous du seuil absolu de pauvreté. A cet égard, le cinquante et unième 22 septembre ne nous débarrasse pas d’un inquiétant paradoxe.

C’est celui-ci : jamais le pays n’aura eu un tel dispositif  systémique contre la corruption. Les salaires sont payés à temps,  le budget de fonctionnement de l’Etat coule normalement, les impôts et les douanes font des recettes méritoires, l’informatisation de l’administration aidant, même le poussif Trésor public d’antan prend progressivement le pas. Dans notre pays, il n’y a jamais eu autant de routes, autant de salles de classes, autant de centres de santé que pendant les vingt ans de la démocratie. Pourtant malgré ces réalisations évidentes, – dont le troisième pont de Bamako est le principal avocat-, la perception reste répandue que jamais, élite ne s’est comportée aussi légèrement avec les deniers de son peuple. Le verdict ne peut pas tomber d’une chronique comme celle-là, bien entendu, car on compare des périodes différentes, celle de l’autoritarisme contre celle des libertés fondamentales, y compris la liberté d’expression et d’opinion.

On parle également de masses d’argent sans proportion commune d’une période à l’autre. Mais il est aussi vrai que la famille s’est délitée, que la société jadis sentinelle des valeurs est devenue celle des voleurs, que l’argent est la seule aune, même entre les enfants du même homme ou de la même femme. Les gosses savent que l’examen peut s’acheter.

Les ados savent qu’une infraction peut-être réparée au carrefour avec une pièce de 500 francs. Les justiciables savent qu’un procès n’est jamais perdu quand on y met le prix. Les tickets d’essence de l’Etat sont dans nos voitures à tous. Sans aller à la comparaison des grandes ères de gouvernance que notre pays a connues, nous devons alors reconnaître le gravissime problème d’éthique personne en même temps que de morale publique. Dans un cas comme dans l’autre une question de gouvernance. De la famille comme de l’Etat. Nul doute que la nation malienne submergée par une déferlante sans précédent de couches jeunes à l’accompagnement imprécis et coûteux, ne survivra pas là où la famille est morte et l’Etat désemparé.       

Adam Thiam

Le Républlicain 21/09/2011