CHRONIQUE:Pourquoi devient-on terroriste ?

Comme les frères Kouachi étaient orphelins et peu éduqués, il est tentant d’attribuer leur dérive terroriste à leur condition sociale. Mais l’ancien leader d’Al-Qaeda, Oussama ben Laden, était, lui, un homme éduqué d’une famille richissime. Tous les terroristes ne sont pas des défavorisés. Beaucoup de chercheurs se sont intéressés à cette question et concluent que le terroriste moyen n’est pas plus défavorisé que le citoyen lambda.

Mieux (pire ?) que cela, les terroristes les plus éduqués sont aussi les plus efficaces.

De par leurs origines, les frères Kouachi ont peut-être été victimes de discriminations, notamment de la part d’employeurs. Ces expériences d’injustice peuvent contribuer à la radicalisation comme moyen de vengeance ou pour retrouver une dignité et un sens à sa vie. Plus généralement, les études montrent que les attentats terroristes commis par des citoyens sont plus fréquents dans les pays où des minorités sont victimes de discriminations. Il y a très peu d’attentats dans les pays ethniquement homogènes, ou dans les pays où les minorités ne sont pas discriminées.

Autre motif, revendiqué par les frères Kouachi, la religion. Le contexte religieux français a-t-il pu contribuer au terrorisme ? La France est l’un des pays les plus laïcs du monde. Les dessinateurs de Charlie Hebdo se placent dans cette tradition, particulièrement contre l’islam qu’ils perçoivent comme une sérieuse menace. En refusant de censurer les dessinateurs de Charlie, en interdisant le port du voile, la France affirme sa laïcité et, en même temps, s’attire les foudres des fondamentalistes musulmans.

Face à l’acte de barbarie commis par les frères Kouachi, la France, bien sûr, veut garder la tête haute : je persiste et signe, je ne vais pas céder aux menaces des terroristes ! «Je suis Charlie !» Mais cette indignation spontanée ne doit pas clore la réflexion sur la question de la liberté religieuse. Il est simpliste de réduire le débat à une opposition entre liberté et obscurantisme, dichotomie préférée des laïcs. Il s’agit aussi de plusieurs libertés qui s’affrontent. En effet, la France dit oui à la liberté de caricaturer le prophète Mahomet et non à la liberté de porter le voile.

Or, justement, la liberté religieuse est importante pour comprendre le terrorisme religieux. Le Pakistan est l’un des pays du monde où la liberté religieuse est la plus restreinte et où le terrorisme religieux est très actif. Ainsi, il est interdit aux membres de la secte musulmane ahmadi de s’appeler musulmans ou d’appeler leurs lieux de prière des mosquées. Les actes terroristes entre les différentes sectes musulmanes au Pakistan sont monnaie courante (1). Plus généralement, la recherche montre que, là où la liberté religieuse est la plus développée, le terrorisme religieux est presque absent. Au contraire, le terrorisme se concentre dans les pays, comme le Pakistan, où les gouvernements essaient de contrôler étroitement la pratique religieuse. Ainsi, on devient plus souvent un terroriste quand on n’est pas libre de pratiquer sa religion.

Cela dit, il n’est pas du tout certain que la discrimination et le manque de liberté religieuse soient des causes directes du terrorisme. Ainsi, l’exemple du Pakistan suggère que le conflit historique entre factions religieuses peut causer à la fois des restrictions sur la liberté religieuse et du terrorisme religieux. La recherche sur le terrorisme n’en est qu’à ses balbutiements et les vraies causes de ce phénomène restent mystérieuses. Ce qu’on sait jusqu’à présent suggère cependant que lutter contre les discriminations et promouvoir la liberté religieuse peut, peut-être, réduire la menace terroriste.

Ioana MARINESCU (professeure d’économie à la Harris School of Public Policy de l’université de Chicago)

Libération.fr 2015-01-26 22:40:30