Chronique du vendredi : La sanction de l’autocratie

 

D’abord, les Américains que son fameux ticket cherchait à imiter avaient, mercredi, diplomatiquement désavoué son projet, quelques heures avant que les Français qui devaient être fiers de son prêche de Benghazi ne s’étranglent, incapables de croire qu’une reforme d’une si grande importance n’ait pas fait l’objet de concertations suffisantes. Wade a ensuite perdu la face et enlevé à son ministre porte-parole la dignité de son poste, peut-être la dignité tout court car le président, à l’opposé de la superbe affichée depuis la semaine dernière, dut retirer son projet. Avec l’argument qu’il n’a plié que sous le conseil des autorités religieuses. Parce que le peuple ne compte pas et ne compte jamais dans les démocraties bananières qui bourgeonnent, hélas, avec la complaisance sélective de la communauté internationale.

Laquelle n’est vraiment pas en train d’utiliser rationnellement l’argent des contribuables internationaux ou aider réellement l’Afrique en fermant les yeux sur la qualité de la gouvernance et en privilégiant le cosmétique des semblants d’élections  pourvu que le recours à la machette soit limité. Troisième défaite de Wade enfin : son schéma visait l’avenir mais les émeutes d’hier en font déjà un homme obligé de parer au plus pressé, de sauver les meubles et de sortir par la gouttière, lui qui, il y a dix ans, incarnait l’espérance au-delà de l’espoir. On peut y ajouter une quatrième défaite qui se lit dans le désarroi de cette jeune internaute dakaroise réagissant à la désillusion des années Wade et à la violence policière de la journée d’hier : « je suis meurtrie de voir la dignité humaine bafouée et l’esclavagisme que nous autres africains vivons ».

Elle parle malheureusement de l’esclavage qu’endure le peuple africain du fait de ses dirigeants, avant de rappeler que la seule gouvernance qui vaut pour ceux-ci c’est celle du « profit personnel,  de l’hypocrisie, et du non respect des citoyens ». « Où sont donc passés les « hommes valeureux comme Césaire et Senghor », se demande-t-elle ? Elle n’aura jamais la réponse à sa question parce que le débat, la concertation, le dialogue et les processus d’appropriation sont un luxe pour un peuple qui applaudit à tout, qu’on peut mener en bateau autant qu’on veut, surtout s’il est précédé de besogneux représentants qu’une poignée de dollars suffit à transformer en laudateurs.

Ce n’est pas notre conviction mais plutôt la doctrine que l’on observe presque partout dans les démocraties post-bauliennes qui ont développé deux spécialités : contourner les critères qui peuvent empêcher de déclencher de l’aide budgétaire étrangère et bloquer l’égalité de chances. Il ne faut pas chercher plus loin l’origine de la récession économique, sociale et morale du continent dans la majeure partie de ses pays contrairement à la dynamique de progrès en Asie du Sud, à l’image du Vietnam aujourd’hui émergent et pour lequel pourtant certains de nos dirigeants ont organisé, voici quatre décennies, des sit-ins devant l’ambassade locale des Usa. Wade en est là, dans la posture pitoyable du lutteur vaincu. Mais il ne peut s’en prendre qu’à lui-même.

L’Afrique est témoin de la patience de son peuple qui aura tout subi et tout accepté. Mais au delà du Sénégal, ce que les peuples africains imposent aujourd’hui et très heureusement, c’est le procès de l’autisme et de l’autocratie. Ces tares qui, à force de prendre les collaborateurs pour des  coursiers, les larbins pour des experts et son nombril pour le pays, empêchent  par la répression de la contradiction et la traque permanente des contre-pouvoirs à ne pas voir venir l’étincelle qui met le feu à la poudre.     

Adam Thiam

Le Républicain 24/06/2011