Beaucoup de talents, peu de résultats Le cruel paradoxe du football malien

 

Déjà éliminé de la compétition, le Bénin, qui est loin d’être un foudre de guerre en matière de football, avait fait  le déplacement de Bamako pour un simple  baroud d’honneur. Le regret pour les aficionados maliens du ballon rond n’en est que plus grand. Dommage pour Seydou Kéïta qui, au soir de sa carrière, aurait bien voulu, à défaut d’offrir la Coupe d’Afrique à son pays, propulser le Mali sur l’orbite mondial à travers une participation à une phase finale de la Coupe du monde.

Une qualification historique à une phase finale de la Coupe du monde, de surcroît au Brésil, allait incontestablement  mettre du baume au cœur des Maliens sérieusement meurtri par la grave crise que le pays traverse. Techniquement, les Aigles se sont, une fois de plus, signalés par leur manque de réalisme à la finition, gâchant systématiquement de nombreuses occasions de but qu’ils se sont offertes. Le démon de l’individualisme, qui s’était emparé de certains attaquants, n’était pas fait pour arranger les choses. La fébrilité défensive (gardien et défenseurs) et des erreurs de coaching on fini par sceller le sort des Aigles qui n’en finissent plus de condamner leurs supporteurs au supplice de Tantale et eux-mêmes à celui de Sisyphe. Et de faire du Mali un pays de paradoxe dans le domaine footballistique.

En effet, voilà un pays  qui a donné à l’Afrique son premier ballon d’or en la personne de Salif Kéïta Domingo, mais qui, paradoxalement, court depuis des lustres après un sacre continental. Un pays dont les joueurs font les beaux jours des plus grandes équipes du monde, à l’image de Seydou Kéïta qui a gagné tous les titres prestigieux avec le Barça, ce grand club plus que centenaire  qui n’est plus à présenter. Ou, plus récemment, Cheick Tidiane Diabaté qui vient d’offrir à Bordeaux la Coupe de France en marquant, à lui tout seul, deux des trois buts de la victoire. Il est vrai qu’une constellation de stars ne fait pas forcément une bonne équipe. Un team ça se construit.

Devant tant de rendez-vous manqués et de déconvenues faut-il croire alors à la malédiction du Père Bouvier ?

Le Révérend père Georges Bouvier, ce missionnaire français présent dans notre pays depuis le temps colonial, à côté sa piété, s’est distingué par sa passion pour le football et son amour, sa générosité, son dévouement pour la cause des jeunes à l’époque. Il serait même à l’origine de la réussite sociale de pas mal de jeunes d’alors. On raconte même qu’il serait mort noyé en voulant sauver un jeune garçon lors d’un camp de boy-scout. En reconnaissance de ses nobles actions, son nom sera donné en 1954 au stade de N’Tomicorobougou rénové. Après l’indépendance, ce stade sera rebaptisé Stade Mamadou Konaté.

Ce fait est le départ de la légende de la malédiction du Père Bouvier qui aurait entrepris une vengeance d’outre-tombe devant tant d’ingratitude à l’endroit de sa mémoire, selon une croyance populaire mais tenace. On est en plein dans la superstition.

Mais à cause des tuiles qui tombent  régulièrement sur notre sport-roi, difficile de résister au charme de l’irrationnel. D’autant que chaque fois qu’une configuration favorable se dessine dans le ciel du football malien, soulevant une montagne d’optimisme et d’enthousiasme chez les irréductibles supporteurs des Aigles, patatras, c’est un grain de sable qui s’immisce dans la machine et tout  tombe à terre. Notre niveau le plus élevé  de participation à une phase finale de Coupe d’Afrique remonte à la CAN de Yaoundé 1972, qui a vu le Mali s’incliner en finale devant les Diables Rouges du Congo Brazzaville, sur le score de 3 buts à 2.

Faut-il alors rebaptiser le Stade Mamadou Konaté au risque de voir le Mali traité de nation superstitieuse ? Que non, surtout si l’on sait qu’à côté de Modibo Kéïta, Mamadou Konaté est l’un des pères de la nation malienne et surtout le premier député noir à siéger à l’Assemblée française. A défaut, l’on pourrait bien rebaptiser le Stade du 26 Mars en lui adjoignant le nom du Révérend Père Georges Bouvier. L’on pourrait ainsi voir à l’entrée du stade de Yirimadio une plaque géante sur laquelle il est inscrit : « STADE BOUVIER DU 26 MARS » si cela peut aider à apaiser l’ectoplasme du saint homme et permettre, du coup, au football malien d’avancer et d’engranger enfin un trophée continental et, pourquoi pas, se hisser sur le toit du monde.

Mais en attendant, il ne serait pas superfétatoire de faire un diagnostic sans complaisance de notre sport-roi en recensant les maux qui le minent afin de lui appliquer une thérapeutique de choc. Des maux dominés par l’instabilité du poste d’entraineur, trop de passion et d’intérêts particuliers qui gravitent autour du football malien et qui finissent par l’étouffer. Rien de solide ne peut se construire dans cette situation. De Stambouli à Patrice Quarteron en passant par Henri Kasperzack, Stephen Keshi et Alain Giresse combien de sélectionneurs sont passés à la trappe en si peu de temps ? Cette fois-ci, c’est Patrice Quarteron qui a eu l’inélégance  d’abandonner ses poulains au milieu du gué et  en plein contrat. Il  se défend en se déchargeant sur la Fédération Malienne de Football en accusant celle-ci de tous les péchés d’Israël.

Toujours est-il qu’il est difficile de démentir que la FMF, à l’instar de nombre d’instances  footballistiques sous divers cieux, est une petite mafia où les intérêts particuliers prennent le pas sur l’intérêt général  et le bien du football tout court. Le cancer qui a gangrené l’ensemble du corps social au Mali y a certainement envoyé ses métastases. Au demeurant, le  football malien n’est-il pas à l’image du Mali, d’une manière générale, un pays qui  ploie  sous ses gigantesques potentialités économiques  alors que l’écrasante majorité des Maliens vivent en dessous seuil de pauvreté ? Quel paradoxe !

Yaya Sidibé       

Le 22 Septembre 2013-06-20 00:22:37