Abdoulaye Diop : «Il n’y a plus de base légale pour la France d’opérer sur le sol Malien»

Abdoulaye-Diop

Dans une interview accordée hier soir à la télévision nationale, le ministre des Affaires étrangères et de la Coopération internationale a expliqué en profondeur la décision du gouvernement de mettre fin aux accords de défense avec la France et ses partenaires européens. Toutefois, il rassure que notre pays continuera à coopérer avec toutes les nations qui le souhaitent mais dans le respect mutuel

Que faut-il comprendre par le communiqué du gouvernement rendu public lundi soir ?

Abdoulaye Diop : Le cadre juridique des relations entre le Mali et la France, en matière de coopération militaire est assis sur trois piliers. Donc, il y a trois accords. Il y a un premier accord qui date de 2013. Il a permis l’opération Serval au Mali, qui s’est transformée plus tard, pour couvrir les opérations de Barkhane. Ensuite, en 2014, on a signé un traité en matière de défense avec la France, mais qui concernait beaucoup plus la coopération militaire, la formation…Tout ce qui peut entrer dans le cadre d’une coopération d’État à État.

Plus tard, en mars 2020, on a signé un troisième accord avec la France, mais qui couvrait maintenant l’opération Takuba. Donc, il s’agit de pays européens que la France a conviés pour venir l’aider dans le cadre de la lutte antiterroriste. Ce sont les trois piliers de la coopération militaire qu’on a avec la France. Dans ce cadre là, il faut que les partenaires se parlent. En juin 2021, la France a décidé, après les événements de mai, de la rectification au Mali, de cesser les opérations conjointes avec l’Armée malienne.

De façon unilatérale, ils ont pris la décision que le Mali a apprise par voie de presse. Ce qui n’est pas normal. Quand on a un accord, ce sont des choses qui se discutent. C’était la première violation des accords.

En février 2022, la France a aussi déclaré, par voie de presse, qu’elle retirait la Force Barkhane du Mali, sans au moins discuter avec nos autorités comment ce retrait va se mettre en place et s’organiser au moment où nous sommes tous pleinement engagés dans le cadre de la lutte antiterroriste. C’est une deuxième grande violation que nous avons dénoncée publiquement. Pas que la France n’ait pas le droit de retirer ses forces, mais quand on a un accord avec un partenaire, le minimum c’est de s’asseoir et discuter.

Au-delà de tout ça, on a vu récemment, pendant que ce retrait est en train de s’organiser, qu’il y a beaucoup de violations. Le gouvernement a identifié près de 50 violations de notre espace aérien. Et pendant ce temps, à cause des opérations militaires qui sont en cours dans beaucoup de localités, le gouvernement a décidé de mettre en place une zone d’exclusion aérienne. C’est-à-dire une zone que seule l’armée de l’air malienne est autorisée à survoler. Pour les autres partenaires, ils ont des couloirs dédiés. Mais malgré cela, il y a des aéronefs qui rentrent et qui sortent.

Certains même éteignent leurs appareils pour ne pas être identifiés. Nous considérons tout cela comme de la provocation. C’est vous dire qu’il y a une série de violations, parce qu’on ne reconnaît même pas d’abord qu’il y a un gouvernement au Mali. Des militaires étrangers viennent et sortent sans même respecter la souveraineté du Mali. Alors que nous sommes dans un environnement très complexe. Donc, c’est l’ensemble de ces violations que nous avons mis ensemble.

Les derniers évènements étaient pratiquement de l’espionnage de l’armée régulière du Mali sur son propre territoire. Avant tout ça, je dois indiquer que le Mali avait déjà rappelé au partenaire français, comme au G5 Sahel qu’il y avait des dispositions de l’accord de 2013 qui couvrent le détachement français dans le cadre de Barkhane. Pour indiquer que cet accord, en particulier, violait la souveraineté du Mali. Parce qu’il y a des zones au niveau de notre territoire où l’armée de l’air malienne n’est pas autorisée. Il y a aussi des gens en opération qui peuvent commettre un certain nombre d’actes où il n’y a aucune responsabilité.

Donc, le Mali a estimé que sa souveraineté n’était pas respectée, qu’il fallait procéder à la relecture de cet accord de 2013, qui est vraiment le gros du problème. Nous avons saisi la partie française de nos amendements depuis le mois de décembre de l’année dernière. C’est deux mois après que nous avons reçu une réponse de la France en disant qu’on va mettre en place une équipe d’experts pour travailler ensemble. Nous avons estimé que c’était des manœuvres dilatoires parce que jusqu’à ce jour on n’a pas reçu une réponse de la France.

C’est avec l’ensemble de ces éléments que le gouvernement a décidé que ces dispositions de l’accord de 2013, le traité de coopération de 2014, le protocole additionnel de 2020 qui concerne l’opération Takuba que nous allons dénoncer l’ensemble de ces dispositifs.

Mais, on ne peut pas tous les dénoncer ensemble parce que juridiquement dénoncer veut dire qu’on met un terme à l’accord ou que l’accord cesse de produire ses effets à l’égard d’une partie qui est le Mali. Donc, la dénonciation, c’est vraiment mettre fin. Mais pour mettre fin à un accord, il y a toujours des procédures. Maintenant, on a deux lots d’accords.

Le premier qui est le traité de coopération en matière de défense de 2014 en son article 26 alinéa 4 indique une procédure de dénonciation qui dit que si je décide de dénoncer aujourd’hui, l’accord ne cesse de produire ses effets vis-à-vis du Mali que six mois après. Cela veut que dire le Mali a encore des obligations vis-à-vis de l’autre partie, mais, six mois après l’accord cesse de produire tout effet sur le Mali à compter du 2 mai 2022. C’est pour le traité de coopération en matière de défense signé en 2014.

Maintenant, l’autre deuxième élément que nous devons comprendre, c’est l’accord qui préside à l’opération Barkhane pour faire la lutte anti-terrorisme, mais aussi à l’opération Takuba. Ce traité ne prévoit aucune disposition par rapport à la dénonciation. 

Mais, le traité de Vienne sur le droit de traité dit clairement que même si une convention ne prévoit pas de façon expresse une procédure de dénonciation à travers les comportements d’une partie ou quand une partie procède aussi à des violations flagrantes comme nous l’avons indiqué : des mesures unilatérales qui ont été prises. Nous avons absolument le droit de mettre fin à ce traité, ce que nous avons fait. Donc, à compter du 2 mai l’accord qui concerne Barkhane et Takuba cesse de produire ses effets vis-à-vis du Mali.

Ce sont ces deux éléments que nous devons comprendre. Et ça veut dire qu’à partir de cet instant, il n’y a pas de base légale pour la France d’opérer sur le sol malien. Naturellement, ils sont en procédure de désengagement. Quoi qu’il en soit, quoi que tout ce qui se fait dans le territoire d’un état souverain doit être discuté et convenu avec l’État.

De façon tout à fait responsable, le gouvernement malien veillera à ce que les choses se fassent en bon ordre et dans le temps adéquat. Parce qu’on ne peut pas être dans une posture d’hostilité vis-à-vis du Mali à l’interne comme à l’extérieur et aussi pouvoir bénéficier de l‘ensemble des droits de circuler librement sur le territoire malien.

Le Mali a absolument le droit d’établir des zones d’interdiction et aussi d’établir de nouveaux protocoles pour des aéronefs étrangers pour circuler au dessus de notre territoire. En résumé, c’est ce qui s’est passé hier (lundi 2 mai 2022 Ndlr), c’est que le traité de coopération en matière de défense a été dénoncé par le Mali qui l’a exprimé de façon nette parce que la procédure veut qu’on fasse une notification à la France.

Hier nous avons reçu le chargé d’affaires français, cette notification à travers une note verbale qui est un document écrit leur a été remise pour indiquer l’ensemble des éléments d’informations. Ce traité de coopération en matière de défense, dans six mois, cessera de produire des effets vis-à-vis du Mali.

Maintenant, il a été déjà mis fin à l’accord qui concerne Barkhane et Takuba. C’est ce que nous essayons d’expliquer pour que nos concitoyens comprennent cela et que le Mali est en droit de le faire, vu les violations multiples par rapport à sa souveraineté et aux dispositions de ces accords parce qu’il y a des éléments dedans qui sont attentatoires à la souveraineté du Mali.

Nous souhaitons que les uns et les autres comprennent ce qui a été décidé par rapport à cela malgré le jargon juridique qui existe. Mais je crois que c’est ce qu’on doit retenir aujourd’hui et que notre pays avancera et nous devons faire confiance à nos Forces de défense et de sécurité pour assurer la sécurité du pays. Elles sont en pleine opération.

Le Mali continuera à garder la porte ouverte à la coopération avec toutes les nations qui le souhaitent mais dans le respect mutuel. Mais aussi dans le respect de la souveraineté de notre pays et de notre désir d’œuvrer à la paix, à la sécurité et à la tranquillité de nos compatriotes mais également à travailler avec l’ensemble de nos pays voisins qui inscrivent leurs actions dans ce cadre.

Source : L’Essor