À qui profitera la conférence des « amis de la Libye » ?

 

À l’occasion de la conférence des « amis de la Libye » qui se tient ce jeudi à Paris, une soixantaine de délégations sont attendues à l’Élysée afin de discuter de l’avenir du pays après la fuite de Mouammar Kadhafi. Et qu’importent les dissensions passées entre partisans et adversaires de l’intervention de l’Otan en Libye, le président français a souhaité une large participation de la communauté internationale à l’accompagnement de la transition politique en cours à Tripoli.

Voici un tour d’horizon des principaux États qui participent à l’événement, dont la présence relève sans doute autant de leur intérêt pour la démocratie libyenne naissante que pour les futurs contrats juteux qui se profilent à l’horizon…

La France et le Royaume-Uni

Ce sont les deux grands gagnants du conflit libyen. Locomotives de l’intervention armée, initiateurs de la résolution 1973 ayant autorisé le recours à la force contre les troupes de Kadhafi, ils sont à l’initiative de cette première conférence chargée d’orchestrer la transition démocratique du pays.

Leur soutien inconditionnel au Conseil national de transition (CNT) devrait – sans surprise – leur permettre d’avoir une longueur d’avance dans la course aux contrats pétroliers et gaziers qui s’annonce… La Libye est l’un des plus grands pays pétroliers de la planète : elle détient 3,5 % des réserves mondiales de brut.

« Le principal acheteur de pétrole libyen en 2010 était l’Italie (28 %), suivi de la France (15 %). Le marché est donc crucial pour l’Hexagone, souligne Pierre Vermeren, historien et professeur à la Sorbonne Paris-I. Quant au Royaume-Uni, l’image de leader qui lui a collé au corps durant tout le conflit a permis au pays de s’imposer comme une puissance militaire forte. Et surtout comme une puissance indépendante et non plus sous la coupe des États-Unis. En s’alliant à la France, le Royaume-Uni s’est affranchi de son image de suiveur des Américains. »

Les États-Unis

Aux côtés de la France et du Royaume-Uni, le gouvernement de Barack Obama a rapidement soutenu l’intervention armée en Libye. Les premiers raids aériens conjoints remontent au 19 mars.

« Il était important pour les Américains de se placer du côté des révolutions arabes, explique Pierre Vermeren. Les États-Unis sont très impliqués dans la région d’un point de vue stratégique, mais aussi sécuritaire, en raison de la présence d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi). Ils doivent absolument conserver la Libye comme allié. »

L’Allemagne

La présence de la chancelière allemande Angela Merkel à la conférence de jeudi est plus surprenante lorsque l’on sait que son pays s’est abstenu lors du vote de la résolution 1973 autorisant le recours à la force et que l’Allemagne a ensuite refusé de participer aux opérations de l’Otan. Mais exit les rancœurs de la France, décidée à faire table rase du passé : « Nous nous retrouvons côte à côte pour aider les Libyens à construire la Libye de demain », a déclaré lundi le ministre français des Affaires étrangères, Alain Juppé.

« Si l’Allemagne a changé de positionnement, c’est parce qu’elle y voit également de nombreux contrats avantageux : le pays est l’un des principaux fournisseurs de biens d’équipements industriels dans le monde, analyse Pierre Vermeren. Équiper une Libye en pleine reconstruction est une mine d’or pour eux ».

L’Italie

Peu enclin à s’engager dans le conflit libyen, le président du Conseil italien Silvio Berlusconi a néanmoins répondu favorablement aux demandes d’aides financière du CNT ces dernières semaines. Le 25 août, devançant les autres pays européens, l’Italie a même promis le déblocage d' »une première tranche » de 350 millions d’euros en sa faveur.

« Avant l’insurrection, l’Italie était devenue le premier partenaire commercial de la Libye », reprend Pierre Vermeren. Plus de 180 entreprises italiennes y étaient installées. Les analystes estiment aujourd’hui que les entreprises pétrolières Total et Eni pourraient être les grandes gagnantes de la redistribution des principaux contrats pétroliers signés avec le nouveau régime.

Les pays du Golfe

Qatar et Émirats arabes unis

Le Qatar et les Émirats ont été les seuls pays arabes à participer aux opérations militaires engagées en Libye dans le cadre de la résolution 1973 du Conseil de sécurité de l’ONU. Ils ont aussi été parmi les premiers à reconnaître le CNT comme autorité légitime en Libye.

« Les élites dirigeantes du Qatar ont toujours voulu compenser les faiblesses structurelles du pays (taille réduite, faible population, vulnérabilité stratégique) par une diplomatie d’ouverture, relève l’historien. Surtout, le pays est lié à la France avec laquelle il a signé de nombreux contrats d’armement. Son alliance avec Paris est très stratégique. »

2.   Arabie saoudite (présence à confirmer)

L’Arabie saoudite n’a pas voulu entrer en guerre contre la Libye, un pays musulman. Elle n’a pas tenu non plus à faire partie d’une coalition occidentale avec les États-Unis. Pour autant, elle n’a jamais clairement soutenu le régime de Mouammar Kadhafi.

« Quoi qu’il en soit, l’Arabie saoudite est un peu perdante aujourd’hui. C’est un pays qui a toujours été réticent aux changements qui ont eu lieu dans les pays arabes, relève Pierre Vermeren. Elle perd surtout un allié de poids dans l’OPEP (Organisation des pays exportateurs de pétrole, NDLR). »

La Chine et la Russie

Ce sont les deux invitées surprises de la conférence. La Chine, qui n’a pas officiellement reconnu le CNT, sera représentée par son vice-ministre des Affaires étrangères, en tant qu' »observateur », a annoncé mercredi la diplomatie chinoise. Pékin était opposé aux frappes contre la Libye mais, rompant avec sa tradition de non-ingérence, les autorités chinoises ont finalement noué des contacts avec le CNT en juin, avant de qualifier l’organe politique des opposants libyens d’ »interlocuteur important ».

De son côté, la Russie, alliée traditionnelle du régime de Kadhafi, vient tout juste de reconnaître le CNT comme « autorité au pouvoir » en Libye, dans un communiqué publié ce jeudi par le ministère russe des Affaires étrangères. Il s’agit d’un revirement diplomatique de taille à quelques heures de l’ouverture de la conférence internationale sur l’avenir de la Libye, puisque Moscou avait refusé de reconnaître la légitimité du CNT au mois de juillet.

Ces deux pays vont devoir batailler ferme pour se relancer dans la course aux contrats pétroliers. Pourtant, partenaires de premier plan de la Libye avant la guerre, « Pékin et Moscou pourraient bien avoir perdu la course à l’or noir, du moins pour le moment », souligne Pierre Vermeren.

• Algérie

Le ministre des Affaires étrangères algérien Mourad Medelci, dont le pays a des relations tendues avec le CNT, représentera son pays à la Conférence internationale sur la Libye à Paris. Alger est accusé par le CNT de soutenir le chef déchu Mouammar Kadhafi.

La semaine dernière, l’Algérie a autorisé une trentaine de membres de la famille de Kadhafi, dont trois de ses enfants et sa seconde épouse, à entrer dans le pays, pour des raisons « strictement humanitaires ». Le CNT réclame leur retour pour les juger.

Selon le quotidien algérien El Watan de jeudi, Kadhafi se trouverait d’ailleurs dans la ville frontière de Ghadamès d’où il tenterait de négocier avec les autorités algériennes pour les rejoindre


Charlotte BOITIAUX

France 24 01/09/2011