A propos de notre article : « Accord d’Alger : Pour l’Oif, le Mali a signé pour un Etat fédéral » L’OIF dément, nous prouvons

Ridha BOUABID

Destinataires de cette mise au point : Michaelle Jean, Secrétaire générale de l’Oif, Adama Ouane, administrateur de ladite organisation, plusieurs autres responsables de la Francophonie et des participants à la rencontre du 4 juin.

Dans sa lettre qui ne nous est pas adressée mais dont nous nous sommes procuré copie, M. Bouabid balaie toute responsabilité de l’Oif en rappelant les propos sans ambiguïté de la Secrétaire générale en faveur de la paix, de l’intégrité territoriale et de la souveraineté du Mali. Puis à l’endroit sans doute de ses invités du 4 juin, il précise que sa note explicative du 10 juin à sa hiérarchie n’exprime que ses points de vue personnels.

Bouabid dont nous publions intégralement la note explicative du 10 juin ci-contre, laisse intactes nos interrogations et crée même de nouveaux espaces de doute. D’abord la question de la loyauté vis-à vis de son institution et de ses invités car il dit bien dans l’introduction de sa note à Michaelle Jean qu’il s’agit bien de discussions découlant de la session du 4 juin et mettant « en relief les aspects suivants ».

Ensuite, Bouabid recourt quand même aux guillemets là où on pense qu’il ne s’agit que de ses interprétations donnant ainsi l’impression de citer un document (celui que le Mali n’a pas vu et qui n’a de raison d’existe nulle part ni à Genève, ni à Paris, ni à Bruxelles, ni à New-York). Exemple : l’accord consacre une « reconnaissance de l’Etat et du territoire de l’Azawad comme une partie intégrante de l’Etat fédéral du Mali ».

De quel accord, cette affirmation mise en guillemets est-elle tirée ? Les limites de l’Azawad sont aussi précisées par Bouabid : Gao, Tombouctou, Kidal, Menaka, Taoudenit, Menaka et le Cercle de Doeuntza.

Il dit dans sa mise au point que tout cela n’engage pas la réunion du 4 juin. Soit. Mais comment peut-il faire une telle analyse à l’Oif qui dispose de l’accord ? Il ne peut avoir agi qu’en tant que représentant de l’Oif à Genève. Certaines de ses postures engagent l’institution. C’est ainsi dans le monde entier. Et c’est pourquoi nous avons délibérément cité l’Oif dans le titre de notre article d’hier.

Adam Thiam

Ci-dessous la note d’information rédigée par Ridha BOUABID

ORGANISATION INTERNATIONALE DE 
la francophonie 
NOTE D’INFORMATION 
Réf. : N°82/ RPG/AMB/AB/EF/CG

A l’attention de 
Madame la Secrétaire générale de la Francophonie 
Genève, le 10 juin 2015

Objet: Session d’information et d’échange de haut niveau sur la situation au Mali et au Sahel 
La session d’information et d’échange sur la situation au Mali et au Sahel, organisée le 4 juin dernier à Genève, objet de ma note N° 63 du 20 mai 2015 dont ci-joint un exemplaire, a donné lieu à des discussions qui ont mis en relief les points suivants:

Unité de la nation, diversité de ses composantes et décentralisation des pouvoirs 
La caractéristique principale de 1’« Accord pour la paix et la réconciliation au Mali» est d’avoir à la fois sauvegardé l’unité nationale, l’intégrité territoriale et le caractère fédéral et laïc de l’Etat malien, avec une concentration de tous les pouvoirs régaliens entre les mains du pouvoir central (notamment une armée unique), en échange d’une reconnaissance de l’Azawad comme une « entité géographique et politique spécifique, ayant sa personnalité propre et nécessitant une gouvernance construite sur les fondements de son histoire et de ses réalités sociale, économique et culturelle ».

L’Accord consacre une reconnaissance de « l’Etat et du territoire de l’ Azawad, comme partie intégrante de l’Etat fédéral du Mali », en spécifiant que ses «limites territoriales comprennent l’ensemble des régions administratives actuelles de Tombouctou, Gao, Kidal, Taoudénit, Ménaka ainsi que le cercle Douentza» et souligne le «respect de la diversité culturelle et linguistique et la valorisation de la contribution de toutes les composantes à la construction d’un futur commun ».

Avec une architecture institutionnelle de type fédéral, le texte accorde aux populations de l’Azawad une large « autonomie politique, juridique, économique, et sécuritaire, et garantit une pleine représentation de son entité politique au sein des institutions fédérales ».

Enfin, reconnaissant le « retard considérable de l’ Azawad en terme de développement socioéconomique », l’Accord prévoit une large décentralisation des pouvoirs, accompagnée d’une décentralisation des personnels et des moyens budgétaires nécessaires.

Des mécanismes de développement seraient également mis en œuvre afm que le nord du pays se rapproche du niveau de développement du reste du Mali. Cela passera par exemple par la mise en place d’une « zone de développement particulière» et d’un « fonds de développement ». Ce processus devra bien entendu être accompagné de façon étroite par la communauté internationale qui s’est investie dans le Plan Cadre des Nations unies pour l’Aide au développement du Mali (pour la période 2015-2019) doté d’l,l milliard de dollars américains.

Nombreux points d’interrogation en matière sécuritaire

La question sécuritaire constitue l’un des principaux points d’achoppement des négociations. La revendication d’une armée de l’Azawad autonome a été catégoriquement rejetée par le gouvernement au nom du principe de l’unité et de la so.uveraineté nationale. Lors des dernières discussions d’Alger,

le gouvernement a cependant fait des concessions sur la question spécifique de la ville de Ménaka, contrôlée par des forces progouvernementales, Le nouvel arrangement sécuritaire qui était encore en négociation le 4 juin à Alger prévoit le retrait de Ménaka des éléments armés de la Plateforme (Pro gouvernementale ), et le redéploiement dans la ville des Forces armées maliennes, avec un positionnement d’une composante militaire et policière de la Minusma pour assurer la protection des populations civiles,

L’instabilité au nord du Mali s’inscrit dans le contexte plus large d’une instabilité de toute la région du Sahel. Les caractéristiques géographiques intangibles (immensité du territoire, trés faible densité démographique) ainsi que la situation socio et géopolitique (crise multiforme en Libye, afflux de migrants subsahariens, importation de pratiques religieuses étrangères à la tradition locale) aggravent le délitement de l’autorité centrale dans toute la zone, On assiste dés lors à l’explosion d’une « économie criminelle» (trafic de cocaïne vers l’Europe, trafic d’armes en provenance de Libye, trafic de cigarettes, de diamants et de pierre précieuses etc. ) et la prise de contrôle des territoires par des groupes extrémistes et mafias, Or, la sécurisation du Sahel est d’une importance absolument cruciale pour la sécurité et la stabilité de l’Afrique et bien au-delà, en raison de sa proximité de l’Europe et de la possibilité qu’il devienne une base logistique pour groupes terroristes,

Des réponses régionales aux défis interétatiques 
Sur le plan sécuritaire, l’un des orateurs a insisté sur le rôle qui devrait être joué par des forces armées africaines « mutualisées », suggérant la création de bases militaires panafricaines. Il a été avancé que la constitution d’une force panafricaine coûterait moins d’un milliard de dollars à comparer avec les sept milliards dépensés annuellement dans les opérations de maintien de la paix.

De manière plus générale, la nécessité d’apporter des réponses communes à des enjeux qui dépassent de loin les frontières des Etats-nations a été fortement soulignée, Le Sahel est un espace commun qui requiert la mutualisation des efforts et leur cohérence interne, A ce titre, l’un des orateurs a regretté le caractère fermé du Groupe des 5 pays du Sahel, cadre institutionnel de coordination et de suivi de la coopération dans la région, et composé à l ‘heure actuelle de la Mauritanie, du Mali, du Niger, du Burkina Faso et du Tchad, Cinq autres pays ont exprimé leur intérêt de rejoindre ce groupe, arguant de leur appartenance à la région du Sahel.

Par ailleurs, il a été souligné à diverses reprises que la nécessité d’une action conjointe ne se limite pas aux pays du Sahel, mais qu’elle doit impliquer la communauté internationale, Ainsi, une collaboration avec les pays les plus industrialisés serait tout à fait judicieuse en matiére de renseignement et de technologie, Une collaboration étroite dans le domaine militaire est également nécessaire au vu des problémes d’hétérogénéité des armées des pays du Sahel, ainsi que de l’origine diverse et de la qualité inégale du matériel dont elles disposent.

Les questions non traitées par l’accord de paix

L’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali constitue une avancée considérable dans la gestion de la crise malienne et une étape importante dans le processus de stabilisation progressive de la région sahélienne, Quand bien même il viendrait à être totalement mis en œuvre, cet accord ne couvre pas et ne règle pas deux aspects, pourtant fondamentaux, dont l’ombre règne sur la situation au Mali et au Sahel.

li s’agit d’abord de la crise libyenne, l’une des sources directes de la crise au Mali en 2012 et devenue vecteur essentiel de la situation particulièrement fragile au Sahel.

Il s’agit ensuite de la question de l’économie criminelle. Des solutions créatives vont devoir être imaginées pour convaincre les groupes contrôlant les trafics de toutes sortes qui prospérent dans cette région de renoncer à leurs gains immédiats et de grande ampleur, au profit d’hypothétiques bénéfices plus lointains qui découleraient du schéma de développement proposé dans l’accord,

Il pourrait être difficile d’espérer une solution globale et durable à la crise malienne, et plus largement à l’instabilité de la région sahélienne si ces deux questions majeures ne sont pas traitées el réglées durablement.

Des pistes d’action pour la Francophonie

Face à ce tableau, et comme contribution à l’effort international pour la mise en œuvre de l’Accord, l ‘OIF pourrait estimer utile de mettre en place un programme spécial de consolidation de la paix en faveur du Mali, Outre les interventions traditionnelles engagées par notre Organisation en faveur des pays en sortie de crise, une attention particulière pourrait être portée dans ce programme à certaines dimensions spécifiques au Mali :

Parmi celles-ci, la question de la très faible présence d’institutions éducatives dans le nord du pays qui représente les deux tiers du territoire -, résultat de la faible densité de population de cette zone, a été pointée du doigt. Faute de structures éducatives, l’éducation des enfants est confiée aux mosquées et institutions religieuses dont le contrôle échappe totalement à l’Etat central. L’un des orateurs a même utilisé l’expression de «bombe à retardement» et suggéré que, sur cette question de l’enseignement – qu’il soit dans le cadre éducatif ou religieux – l’Etat malien soit beaucoup plus vigilant et mette en place des mécanismes de contrôle plus étroits.

En partenariat avec d’autres organisations internationales, la Francophonie pourrait avoir un rôle à jouer pour contribuer à faire en sorte que les enfants du Nord-Mali ne soient pas laissés entre les seules mains d’institutions religieuses non agréées et leurs loisirs confinés aux programmes de télévision satellitaire du moyen orient, les seuls, semble-t-il, auxquels ils peuvent avoir accès gratuitement.

Une lelle action pourrait se faire entre autres au moyen de l’appui à la mise en place de structures scolaires adaptées, notamment des structures ambulantes, et de la formation du personnel éducatif, domaine dans lequel notre Organisation a développé une expertise reconnue. 
Par ailleurs, cette Représentation a eu un premier contact avec les responsables du Fonds Mondial pour l’Engagement de la Communauté et de la Résilience (GCERF)’, Ce fonds public-privé basé à Genève, cherche à promouvoir une approche préventive de la lutte contre le terrorisme, en subventionnant des actions de terrain dans le domaine de l’éducation, du rôle des femmes ou encore de l’accès à la culture, conduites par des communautés locales pour lutter contre l’extrémisme. Il est envisagé de discuter plus en détail la possibilité de partenariat sur ces thématiques qui rejoignent les priorités de la Francophonie et qui pourraient contribuer à répondre à de vrais besoins dans le contexte actuel du Mali et du Sahel.

Très haute considération. 
Ridha BOUABID

Copie à: 
Monsieur l’Administrateur 
Monsieur le Directeur de Cabinet 
Monsieur le Conseiller spécial 
Mesdames et Messieurs les Directeurs 
Mesdames et Messieurs les représentants d’UHS

Cf. ma note N°72 du 29 mai 2015

Source: Le Républicain-Mali 19/06/2015