TRIBUNE LIBRE : Faut-il mourir pour le Mali ?

Après avoir consacré, à un titre ou à un autre, l’acte de décès d’une des rares démocraties d’Afrique de l’Ouest, ces politiciens, toutes affiliations partisanes confondues, semblent n’avoir cure du martyre des populations et de la brutale descente vers les abymes d’une des nations les plus prégnantes du continent.

Confortablement installés dans le « Mali utile », Bamako et ses environs pour être précis, nos politiciens semblent, en dépit de leurs cris d’orfraie, indifférents à l’occupation des deux tiers du territoire par des tenants d’une idéologie médiévale et d’une peste salafiste importées d’Algérie, mais aussi, par ricochet, de Libye, notamment à cause de l’incroyable légèreté des « stratèges » occidentaux engoncés dans leurs certitudes.

Du haut de leur présumée infaillibilité, et en dépit des mises en garde de pays africains, Européens et Américains ont planifié la chute et, sans doute, la liquidation sans autre forme de procès de Kadhafi, sans prendre la réelle mesure des répercussions telluriques de l’opération dans les pays du Sahel.

Comme soudain frappés de presbytie, les différents chefs de « partis » maliens, boudés par les électeurs (le taux de participation aux différents scrutins a rarement franchi le seuil des 50 % depuis l’instauration du pluralisme politique au Mali), semblent avoir choisi, contre l’évidence, de placer la charrue devant les bœufs.

Même par vents mauvais, ils préfèrent courir de manière frénétique après un pouvoir fantomatique, un fauteuil présidentiel évanescent et un palais de Koulouba pourtant réduit à l’état de ruines, le 22 mars dernier, par un quarteron d’officiers subalternes enragés et leur cohorte prétorienne. A croire que vivre en plein Sahel ne prémunit pas contre les mirages…

Pourquoi s’en cacher, en faisant sienne la philosophie des trois singes ornant nombre de salons subsahariens (ne rien voir, ne rien entendre, ne rien dire, prescrivent les fameux primates), la classe politique a franchi le Rubicon. Et mis les doigts dans un engrenage qui risque de sonner le glas de la République.

Par action ou par omission, cette classe politique a entériné le renversement d’un chef d’Etat élu qui, en dépit des erreurs qu’il a pu commettre, était à la veille de tirer sa révérence. Pas plus qu’on ne tire sur une ambulance, on ne doit se prêter au jeu trouble pouvant conduire à la chute d’un homme qui, conformément à la Constitution, s’apprêtait à sortir de scène dans une région où les présidences à vie sont encore légion.

Pour avoir confondu vitesse et précipitation, le microcosme politique bamakois porte donc sa part de responsabilité dans l’irruption tonitruante du capitaine Amadou Sanogo dans le débat citoyen. Il est d’ailleurs symptomatique que les leaders politiques, qui ont (soit dit en passant), dans un bel élan unanime, entériné fin 2011 un code de la famille rétrograde, se soient alignés derrière le Haut conseil islamique (HCI).

Nombre de dirigeants « républicains » étaient aux premières loges lors d’un récent meeting de cette organisation dans un stade de Bamako. Visage présentable d’un fondamentalisme musulman endogène, « porteur » et héraut du nouveau code de la famille, le HCI peut, il est vrai, réunir 60 000 partisans là où les rassemblements des formations politiques sont dramatiquement clairsemés.

Conséquence de cette situation : on est obligé de passer par des contorsions politiciennes et par des arrangements spécieux pour donner au Mali les apparences d’un Etat. Hors de tout cadre constitutionnel, le premier magistrat du pays n’a de président que le titre. Arc-bouté sur ses privilèges, le Premier ministre, qui a fait étalage de son incompétence, est reconduit dans ses fonctions après avoir obstinément refusé de rendre le tablier. Depuis, les CV d’apprentis-ministres affluent sur son bureau, comme si un gouvernement était extensible à l’infini.

Reclus dans son QG de Kati, à proximité de Bamako, le capitaine Sanogo savoure, sans doute avec délectation, sa victoire. Il continue de tirer les ficelles du jeu, alternant la politique de la carotte (devant ses interlocuteurs étrangers) et du bâton (comme en témoignent le récent massacre de parachutistes fidèles à l’ancien président Amadou Toumani Touré, la longue liste de « disparus », la recrudescence des ratonnades, notamment contre les journalistes, la systématisation de la torture, dénoncée par Amnesty International et Human Right Watch).

Les officiers pro-putschistes refusent toute présence militaire étrangère sur le territoire national, si ce n’est pour aider à la libération des provinces septentrionales de ses occupants… Dans ces conditions, peut-on raisonnablement demander à des soldats togolais, nigériens ou nigérians de mourir pour le Mali ?

Comment persuader les Tchadiens, dont le pays n’est pas membre de la Cédéao, d’aller au front, le sourire aux lèvres, alors que la classe politique locale joue, jusqu’à la caricature, la carte de l’irresponsabilité ? Et que dire des Occidentaux, Français en tête, qui, en dépit de leur responsabilité dans le capharnaüm actuel, se pressent à petits pas ?

A l’évidence, le Mali, pays des grands empires, n’est pas au bout de ses peines. Sans doute est-ce pour cela que les forces obscures contrôlant son Septentrion semblent, en dépit du déluge de feu qu’on leur promet, ne pas avoir perdu de leur sérénité…

Par Francis Kpatindé

L’Indicateur du Renouveau

21 Août 2012