Situation actuelle à Tombouctou:Quelles perspectives? s’interroge un ressortissant

En effet, ces villes martyres furent laissées à elles-mêmes, entre alerte et repli stratégique, sevrées du droit à la protection et à l’assistance de la part des forces républicaines. Kidal, Gao et Tombouctou partagent désormais le triste et commun sort d’être cloitrées derrière un double rideau de plomb, coulé et formé par le MNLA, et de toile écrue, confectionné par les Salafistes. Des soldats défaits ont été sauvagement massacrés, l’administration a été pillée, les commerces détruits, des femmes et des filles violées.

La conscience populaire n’oubliera jamais, ne pardonnera jamais les crimes perpétrés à Aguel Hoc et à Gao. La banalité du mal dans laquelle se sont enfermés les hommes du MNLA est aussi l’expression d’un racisme primitif, rappelant à la conscience universelle que cette bassesse continue d’exister dans toutes ses dimensions. Banalité à prendre une âme noire, banalité à violer des femmes noires. Dût-il en disposer dans son acte «re» fondateur, le Mali de l’après conquête de son Septentrion ne devra jamais ménager ni le temps, ni les moyens pour amener ces criminels à une juste contrition.

Cette contribution sur Tombouctou revient sur la singulière position de la Cité par rapport aux enjeux de la double agression indépendantiste et jihadiste, comparativement à Gao et Kidal. Kidal continue d’entretenir un climat de dialogue avec les agresseurs, parce que, d’une part, elle porte les germes de la contestation et que, de l’autre, les vainqueurs du jour sont ses enfants. Quant à Gao, elle est dans une position d’affrontement ouvert face aux agresseurs, à travers ses mouvements d’autodéfense, Ganda Koy et Gandaizo. La Ville mystérieuse se découvre, ahurie, tenant la vedette dans un bouleversement historique et géographique qui couvait depuis très longtemps et auquel elle a obstinément refusé de faire front.

Le Mali reviendra-t-il à ses frontières de l’indépendance, incluant Kidal, Gao et Tombouctou? Pour le cas spécifique de Tombouctou, la seule à avoir échappé aux indépendantistes, quel avenir politique? Comment en est-on arrivé là? C’est à un certain nombre de pistes de réflexion que cette contribution s’essayera.

Dans la mémoire de la Cité mystérieuse, l’histoire se répète. Depuis l’an 1010, date de sa création, Tombouctou a connu les noces impériales mandingues, la cour dorée de Kankou Moussa, la drague sanglante des sorciers du Dendi, élite de l’armée songhaï, la saignée culturelle perpétrée par le Maroc et l’entrée en scène de la France colonisatrice. La cité s’est finalement retrouvée en communauté de destin dans la République du Mali. Dont acte.

La Médina, la vieille ville, est délimitée par trois sanctuaires, classés au patrimoine mondial de l’humanité par l’UNESCO, et dont les origines, chacun en ce qui le concerne, relèvent d’une véritable anthologie de la foi et de la sublime mention de Dieu. Djingareyber est le couronnement d’un règne et une œuvre de charité désintéressée. L’Empereur Kankou Moussa fit construire la mosquée de Djingareyber dans un style andalou, prenant corps dans du banco de Tombouctou et finissant entre les mains d’orfèvres juifs marocains, comme cadeau à Allah.

Sankoré est l’œuvre de la grandeur d’âme et la générosité d’une riche femme, croyante et dévote s’il en est, qui fit ériger la mosquée-université à ses frais et défendit que ses contemporains et la postérité le sachent jamais. Cheick Mohame Hamallah fit construire, au pas de charge, la mosquée de Sidi Yéhia en 1400. Il en scella la porte et retourna sur ses pas, prédisant l’arrivée du propriétaire des lieux. Quarante années plus tard, Sidi Yahia El Tadlissi arriva devant le sanctuaire et réclama les clés. Il en fut le premier imam.

Les trois grandes mosquées de Tombouctou, restaurées par l’imam Al-Aqib au XVIe siècle, témoignent de l’âge d’or de la capitale intellectuelle et spirituelle de la fin de la dynastie des Askia. Elles ont joué un rôle essentiel dans la diffusion de l’Islam en Afrique à une époque ancienne, en ce sens qu’elles constituaient les amphithéâtres de l’Université de Sankoré, dont l’apport à la civilisation universelle, quoique peu perceptible aujourd’hui, n’en reste pas moins important, à l’égal des universités Al-Azhar au Caire, Al-Kairouan en Tunisie et de l’Université de Cordoue, en Espagne.

Au plan historique, il convient de retenir que Tombouctou incarnait la fierté et suscitait la convoitise de tous les régimes qui ont pris forme autour du tracé du Niger. Haut lieu de culture, la cité d’Ahmed Baba, de Mohamed Bagayoko, de Mohamed Aquit, d’Abou Alkassam Attouati, de Mohamed Tamba Tamba, pour ne citer qu’eux, fut, entre le 14ème et le 16ème siècle, le plus grand centre religieux, scientifique et littéraire au sud du Sahara. Tombouctou comptait à cette époque plus de 100 000 habitants, dont près de 25 000 étudiants venus de toutes les contrées du monde musulman à l’université de Sankoré, où des célèbres professeurs venus du Maroc, du Yémen et de l’Arabie, transmettaient la connaissance et le savoir-faire dans les domaines de la théologie, de la rhétorique, de la grammaire, de l’astronomie, de la mathématique, de la philosophie, etc.

Sur le plan social, les mosquées de Djingareyber, Sankoré et Sidi Yéhia ont constitué des repères historiques, géographiques et culturels pour les habitants de Tombouctou. Les quartiers de la Médina (Sankoré, Djingareyber et Badjindé) se sont structurés autour de ces mosquées. Les habitants sont des descendants des fondateurs de ces mosquées, des descendants de pieux visiteurs tombés sous le charme mystique de ces lieux. Les quartiers autour de la limite de la Médina n’en sont pas exclus. Bellafarandi, Abaradjou, Sareïkeyna, sont, au même titre, des habitats qui, avec leurs spécificités culturelles et historiques, célèbrent ensemble leur destinée dans l’Islam et partagent ces mosquées comme les cadres sacrés d’un intense ascétisme.

La fierté d’appartenir à une cité millénaire, la foi jamais ébranlée en Dieu, le socle d’une immense culture, la bénédiction d’hommes pieux et de femmes vertueuses, sont notre héritage moral et historique et constituent notre principal viatique à l’émergence d’une nation malienne à laquelle nous sommes conviés. L’indépendance, acquise en 1960, a consacré le projet de nation malienne. En effet, la nation n’est pas tant la raison qui la fonde que les moyens de sa réalisation. La nation est une dynamique de tous les jours. Si la nation se fonde sur le désir de vivre ensemble, la volonté de continuer à faire valoir l’héritage commun, l’adage d’Ernest Renan au sujet de la notion paraît assez résumer l’essentiel, auquel le Mali aurait dû s’atteler dès l’indépendance, à savoir que «l’existence d’une nation est un plébiscite de tous les jours». Il n’en fut rien dans le Mali de 1960 à nos jours, en tous cas pas vis-à-vis des régions du Nord en général et de Tombouctou, tout particulièrement.

Après 1960, trois structures viables sont venus modeler l’environnement de Tombouctou: le château d’eau, la centrale électrique et l’aéroport. Inaugurés entre 1960 et 1968, c’est peu de conclure qu’ils sont dus à la sollicitude patriotique de Mahamanane Alassane Haidara, Président de l’Assemblée Nationale et deuxième personnalité de l’Etat. Le coup d’Etat de 1968 sonna le glas du chapelet de bonnes intentions. Les militaires crurent faire payer à Tombouctou le même tribut qu’à Mahamane Alassane Haidara, emprisonné jusqu’à la veille de sa mort.  La junte au pouvoir commença par y ériger des prisons et y envoyer toutes sortes de détenus, politiques, de droit commun, grands criminels, etc.

Les autorités administratives et politiques ne bénéficièrent de la collaboration étroite du pouvoir central que dans la mesure où elles (armée et autres corps en uniforme) assuraient l’intégrité du territoire dans cette zone et où elles (politiques et administration) pouvaient rendre la ville utile à l’effort de séduction des hôtes de marque du pays, dans la perspective de retombées financières issues d’accords bilatéraux. Eh oui, Tombouctou est un nom magique, une cité plantureuse, de l’aubaine de laquelle un pays entier peut vivre. Le Président Abdou Diouf l’avait bien compris, lui qui, lors d’un passage dans la cité millénaire, s’exclama: «Si j’avais une ville comme Tombouctou, je n’aurais besoin ni de l’or ni du pétrole pour développer le Sénégal».

La cité fut instruite à mettre en valeur sa tradition d’hospitalité et son art de créer la joie et l’ambiance, à se parer de ses atours historiques et culturels. Des générations entières d’enfants durent se métamorphoser en notables, arborant toute la gamme d’accoutrements traditionnels, pour offrir à l’hôte du jour le meilleur goût de la cité. Des centaines de jeunes filles et de jeunes garçons ne durent plus leur salut à l’école, aux yeux des directeurs et autres moniteurs, qu’à l’agilité de leurs jambes et leur propension au chant et à la danse, faisant sourdre de leurs personnes innocentes une plate vocation aux métiers de l’art, de la musique et de la danse. Comme dans un goulag, on les obligea à composer des chansons à la gloire des hôtes de marques successifs du Mali, lors de leur inévitable étape tombouctoutienne. De Yacoubou Gowon à Jacques Chirac, en passant par  Hassan II, Valéry Giscard d’Estaing, Rosalyn Carter, François Mitterrand, etc, Tombouctou se montra sous toutes les couleurs exprimées dans les cantiques à sa gloire, «la Ville aux 333 Saints», «la Perle du désert», et j’en oublie.

Notre appartenance commune à la République du Mali, le partage d’un drapeau commun, l’attachement à une devise commune devaient finalement laisser un goût bien amer au sein de la population. Tombouctou ne fut jamais exonérée du paiement d’aucun impôt, d’aucune taxe, alors que son économie précaire paya un tribut très lourde aux différentes sécheresses et resta handicapée par une pluviométrie chaque année davantage déficitaire. Mais jamais la ville ne fut traitée sur le même pied d’égalité que le Sud. Sans entrer dans le détail de tous les ratés, de toutes les promesses non tenues, il convient de revenir sur un certain nombre d’évènements qui constituèrent de grandes déceptions pour les populations.

Dans le cadre de l’administration, la ville est devenue le creuset de fonctionnaires pris en défaut de conformité à la déontologie ou soupçonnés de manque de civisme vis-à-vis de la junte. Il y a également le cas des fonctionnaires qui, sous le prétexte de l’éloignement, de la rigueur climatique ou d’autres raisons, refusèrent d’obéir aux ordres de mutation, sans aucun préjudice pour eux. Dans tous les cas, c’est l’administration qui sera malmenée, ravalant le sacerdoce du service public au rang de mépris, de mauvaise distribution de la justice, de conduite arrogante et méprisante. Les marches de protestation qui paralysèrent l’activité publique et sociale à Tombouctou, en juin et juillet 2011, dénonçant les abus et demandant le départ de la ville du substitut du Procureur de la République du Parquet (la justice, juste ciel!) de Tombouctou et du Directeur de l’hôpital régional de la ville (sous le serment d’Hippocrate) en disent long sur l’état d’une administration qui avait atteint ses seuils d’incompétence et de non opérabilité.

Si l’administration avait été plus présente, l’Antonov 24 d’Air Mali, le 22 février 1985, n’aurait pas brûlé à petit feu pendant près de 7 heures d’horloge, consumant avec lui 51 passagers, sans aucune intervention extérieure que celle de soldats maintenant autour du brasier un périmètre de sécurité. Et, pourtant, le pilote réalisa l’exploit historique de poser l’avion sur le fuselage. Les premiers badauds racontèrent, médusés, que durant les premières minutes qui suivirent l’atterrissage forcé, des passagers cognaient contre les parois des hublots pour appeler à l’aide. Si l’administration avait été plus présente le 26 février 2010, peut être aurait-elle pu éviter à vingt-six innocentes personnes de mourir en empruntant, à leurs risques bien sûr, un chemin de fortune. Mais il s’agissait d’un chantier et l’affluence record attendue aurait pu amener les représentants de l’Etat à prendre des mesures sécuritaires supplémentaires. Ils étaient sûrement allés en fête vers le Mali utile.

Et pourtant…

Il est vrai que Tombouctou est un endroit où les conditions climatiques sont rigoureuses, un endroit enclavé, mais de vrais serviteurs de l’Etat y ont bravé ces aléas et posé des actes que la postérité retient aujourd’hui, maintenant leurs auteurs au Panthéon de notre histoire. En 1983, le Capitaine Souleymane Mariko, Maire de la Commune, entreprit de sortir de terre le canal, comblé depuis l’âge des temps, reliant le port de Kabara et les vestiges des berges du Niger à Sankoré. Les esprits rayonnent encore du souvenir de cette année, où les populations bénéficièrent d’une source d’eau pour leurs usages domestiques et où des pirogues, en nuées, approvisionnèrent la ville en fruits, légumes, poteries et poissons. Depuis, les berges de Sankoré Goumoy ne devinrent humides de nouveau qu’en 2008, lorsque la Lybie du Colonel Kadhafi fit entreprendre le surcreusement du canal.

Le Commandant Lamine Diabira, alors Gouverneur de Tombouctou, fit niveler le tracé de la route Douentza – Tombouctou, baptisé route Lamine Diabira. D’une praticabilité pénible, et impraticable une bonne partie de l’année, elle existe toujours, mais jamais aucune autre autorité ne prit sur elle l’initiative d’en améliorer la cuirasse afin de rendre son parcours plus confortable et moins dangereux. L’Union européenne, dont les chefs de délégations successifs sont littéralement tombés sous le charme des régions du nord, accordera, heureusement, le financement de la route Goma-Coura – Tombouctou, 51 années après l’indépendance.

L’après 1991 marque la chute du régime militaire et l’avènement de la démocratie pluraliste. Pour Tombouctou, les jours passent et se ressemblent, jusqu’à l’attribution au Mali de l’organisation de la coupe d’Afrique des Nations 2002. Le coût de l’investissement était de plus de 150 milliards de francs CFA. Le projet suscita un réel engouement au nord, où les habitants voyaient une occasion de se doter d’investissements sportifs. Finalement, pas un franc ne fut investi, ni à Kidal, ni à Gao, ni à Tombouctou. Aucune aire gazonnée ne fut plantée, pas un empan de goudron réalisé, pas un mur CAN élevé, là où d’autres régions ont bénéficié de villages CAN entiers. La cité vécut la CAN 2002 comme elle a vécu la Coupe du Monde 2000 au Brésil, sur le petit écran. La caricature populaire y alla de son meilleur pinceau pour précipiter une énorme lettre «i» dans les eaux du lac Débo, celui du Mali, représentant les régions du Nord dont la République avait définitivement rompu l’attelage.

L’affaire dite «Air Cocaïne», même exprimée en termes mesurés, reste un ballet de superlatifs de la criminalité. Un colis de 10 tonnes de pure drogue, livré dans un Boeing 737, avec emballage perdu, au centre du Septentrion malien. L’affaire Air Cocaïne, quoiqu’on puisse y dire, quelques mots qu’on puisse utiliser, illustre, en filigrane, l’extrême imposture d’un régime. Le tracé original du pinceau, sur le déroulement exact de l’affaire, restera à jamais un secret. Toutefois, elle aura mis à nu ce jusqu’où certains de nos cadres politiques et militaires étaient prêts à aller pour s’assurer une postérité aisée sur le dos du peuple.

Le problème de la mal gouvernance et du déficit d’administration a été exacerbé par l’exclusion des populations locales des affaires relevant de compétences historiques.  En 1988, l’UNESCO procéda à l’inscription sur la liste du Patrimoine universel des mosquées de Djingareyber, de Sankoré et de Sidi Yahia, ainsi que de 16 cimetières et mausolées de Tombouctou.  L’authenticité de la ville, son originalité architecturale, ses pratiques culturelles et religieuses, ses traditions orales, ses corps de métier et les aspects de sa splendeur, ses dunes, son  quai, ses mares, sa nappe phréatique devaient désormais faire l’objet de protection et de mise en valeur permanente. Les objectifs historiques de la Mission culturelle d Tombouctou étaient de deux ordres, inventorier les fonds des bibliothèques privées des manuscrits et parvenir à la renaissance intellectuelle et culturelle de Tombouctou, cité historique.

L’un des phares de la promotion culturelle et scientifique à Tombouctou est l’Institut des Hautes Etudes et Recherches Islamiques Ahmed Baba (IHERI – AB). Fondé en 1973, sous l’appellation de Centre de Documentation et de Recherches Ahmed Baba ou CEDRAB, le centre prit le nom d’IHERI – AB avec une mission scientifique de promotion, de conservation, de recherche et de reconnaissance des manuscrits comme patrimoine africain. Le nouvel institut aurait dû être préférablement érigé à Zégoua, car, comme cela a malheureusement été le cas, le gouvernement de la République du Mali en confier la gestion à un Directeur qui portera le double handicap de n’avoir aucune affinité avec les autochtones propriétaires des bibliothèques et pour qui la langue arabe était totalement inaccessible, à la vue et à l’ouïe. De sources sûres, Kadhafi, jusqu’à sa mort, n’en serait pas revenu que le Directeur de l’IHERIE – AB ne puisse échanger en arabe avec lui, ainsi qu’il en a d’ailleurs fait la douloureuse remarque lors d’une de ses visites. L’IHERI – AB n’est pas un comptoir d’achat ni les bibliothèques privées des boutiques.

Tombouctou est une ville religieuse et culturelle par excellence. Elle se distingue par un certain nombre de valeurs. Elle a été désignée Capitale de la culture islamique, zone Afrique, en 2006, où elle a également abrité la grande prière en marge du Maouloud et bien d’autres événements religieux et culturels. Au cours d’une de ces rencontres, celle des ulémas d’Afrique, Tombouctou, par la voix de feu Baba Mahmoud, Imam de Sidi Yahia, a demandé que soit inscrite parmi les résolutions la demande d’un statut particulier pour la ville, en vue de préserver son héritage culturel. Il n’y sera jamais donné suite, car, disait-on, nous étions dans une république laïque.  Laïque comme la France, où Marine Le Pen assimile les fidèles musulmans à des hordes de nazis, où Brigitte Bardot a consacré sa vie à dénoncer la barbarie et la sauvagerie des musulmans et où Sarkozy regrette une seule chose, dénonce une seule erreur, que l’Europe n’ait pas proclamé son caractère chrétien.

Pendant ce temps, à Tombouctou, c’est la porte ouverte à la dégradation des mœurs et à la dépravation.  Des bars ouvrent, les débits de boisson prolifèrent, des salles clandestines de jeu font irruption dans «Tombouctou by night», suscitant ces derniers temps une immense clameur d’indignation de la part des chefs coutumiers, des leaders de la société civile et des imams.

Le Comité pour la correction des mœurs et la réhabilitation des valeurs culturelles

Des représentants de toutes les classes d’âge, de toutes les couches de la société, créent alors le Comité pour la Correction des Mœurs et la réhabilitation des valeurs culturelles. Expression du dépit des habitants face à la dérive des valeurs sociétales, le Comité prend contact avec les chefs de quartier, les imams et toutes les notabilités, ainsi qu’avec les autorités administratives et politiques. Il organisera des assemblées générales populaires dans les quartiers, pour expliquer ses objectifs et recueillir des témoignages.

Ces assemblées furent le cadre d’un véritable tribunal, où des mères de famille, au bord de la crise de nerf, dénoncèrent le comportement singulièrement déviant de leur progéniture, le travestissement des usages et le sort peu enviable des spectateurs ahuris, laissés à eux-mêmes, devant les scènes d’orgies qui se déroulent permanemment à Tombouctou, à la face du Ciel.

Les chefs et leaders religieux se félicitèrent que la ville toute entière adhère à la démarche. Il fut ainsi organisé une grande Assemblée générale, le 12 juin 2010, sur la dune Sankoré, au cours de laquelle des résolutions furent prises concernant le comportement vestimentaire des jeunes filles et des jeunes garçons, les extravagances au cours des mariages, le respect de la douleur des ayants-droit durant les funérailles et l’organisation de certaines manifestations, notamment le rejet de l’organisation de Miss ORTM. Le conseil municipal délibéra sur la suspension de la manifestation et informa le Directeur de la station ORTM de Tombouctou, ainsi que la délégation du Comité syndical, qui acceptèrent de se ranger à la décision communale. Mais le représentant de l’Etat, le Gouverneur, décida du maintien du concours au motif que Tombouctou ne pouvait rester en marge de la République. Pour ca, oui!!!

Depuis bientôt quelques années, Taoudéni, la tristement célèbre prison mouroir, a mué dans la conscience populaire, au gré de l’actualité, en un synonyme d’espoir et d’Eldorado. On ne parle plus du bagne de Taoudéni, on parle de son bassin. Oui, le bassin de Taoudéni recélerait des réserves pétrolières et gazières insoupçonnées. Tous les grands acteurs de l’exploitation pétrolière se bousculent dans la capitale malienne. SONATRACH, ENI, AGIP, TEXACO se partagent les blocs. Normal que cela suscite des convoitises, révise des plans, remette en cause des découpages, mais pour des desseins inavoués. Quelle est la part des populations de Tombouctou? Quels bénéfices peuvent-elles escompter d’une éventuelle coulée de l’or noir à Taoudéni? Quelques services sociaux de base sont stipulés dans l’accord d’établissement face aux milliards de dollars qui vont s’enfuir?

Toute évolution relève d’une implacable dialectique. La descente aux enfers du nord Mali a eu finalement son épilogue. Kidal, Gao et Tombouctou sont sous un double rideau de plomb et un voilage en textile opaque. Le MNLA et son avorton arabo-berbère, le FNLA, n’ont ni la foi ni la carrure pour déterminer notre avenir. Quant aux Salafistes, nous refusons leur burqua pour nos femmes, parce que ce n’est pas notre vêtement, pas plus que nous ne laisserons nos barbes en crinière, ce n’est pas notre idéal d’apparence. Pour autant, nous sommes musulmans et ne recevrons de leçon de confession de personne.

Tombouctou est condamnée à l’action. La réaction de l’élite intellectuelle et des cadres politiques se partage entre la résignation des locaux et la récupération de leurs frères installés à Bamako. Les premiers ont été incapables de puiser dans l’histoire des éléments pour s’assumer et s’affirmer, pour prendre leur destin en main. Ils préférèrent se réfugier dans la prière et l’incantation, appelant le feu du Ciel sur la tête des Salafistes. Il n’est pas sûr que Dieu agrée une telle requête, les Salafistes n’incarnant pas le Diable ni eux les Anges. Quant à l’élite intellectuelle à Bamako, réunie au sein d’associations et de collectifs, elle affiche une image pathétique. La plupart n’étant pas de Tombouctou, il ne sied pas de leur faire la guerre pour leur tardive irruption sur la scène de la justice. Pour ceux d’entre eux qui sont ressortissants de Tombouctou et ont occupé de hauts postes de responsabilité, ils y sont entrés et en sont sortis sur la pointe des pieds, sans que jamais la moindre action ne fusse posée en faveur de Tombouctou, à l’instar de Mahamane Alassane Haidara offrant un aéroport, un marché et une adduction moderne à la Cité, entre 1960 et 1968.

Il faudra quand même se résigner à une vérité historique. Rien ne sera plus jamais comme avant à Tombouctou. La variation des clichés successifs d’une société donnée peut s’étaler sur des siècles, des décennies ou quelques années. Mais la dernière en date est survenue à Tombouctou en 2012, à la suite de l’occupation de la ville par des Islamistes. Le réveil a été brutal pour tout le monde, les uns et les autres étant enfermés dans des fortifications d’assurance et de sécurité garanties par nos 333 Saints. Il reste à la ville à camper sur sa position de voir bouter l’envahisseur dehors et le retour au statu quo ante ou, alors, engager Tombouctou aujourd’hui à entrer dans sa propre histoire, à composer avec l’existant et à faire entendre sa voix. La première position suppose que l’armée malienne sorte de ses propres contradictions et que les autorités de la transition se servent d’abord, pour leur confort personnel, dans le contingent annoncé de la CEDEAO. La seconde consiste à affronter les Salafistes de front, en mettant en avant nos meilleures compétences en matière de Coran et de Sunna. Il nous faut leur imposer le retour de nos frères chrétiens, qui sont à Tombouctou chez eux. Il nous faut faire valoir notre point de vue par rapport aux droits des femmes et de la petite fille, à l’instruction, à l’activité et à la décision, etc.

Les Salafistes ne doivent pas faire peur à Tombouctou. La Charia est faite pour les croyants. Y en a-t-il plus que nous? La vocation de la Charia est de dissuader. Nul doute que, lorsqu’il sera établi que la sanction contre les malversations financières, la consommation d’alcool et les outrages aux mœurs sera l’amputation d’une main ou la flagellation publique, la société retrouve la morale et le sens civique. Si nous désespérons de jamais devoir en arriver là, alors cessons de jouer aux hypocrites. Nous ne serions plus membres plus de la communauté du Prophète Mohamed (PSL).

Abdel – Kader HAIDARA

Gestionnaire des Ressources Humaines

Bamako

Le 22 Septembre 10/05/2012