Samba Diarra, économiste et professeur d’enseignement supérieur : « Le Mali s’isolera davantage s’il crée sa monnaie à lui »

L’invité de cette semaine de votre hebdomadaire préféré d’analyses, d’enquêtes et d’informations générales, ‘’Ziré’’, est Samba Diarra, professeur d’enseignement supérieur, spécialiste des questions économiques et monétaires. Dans cet entretien réalisé le 10 février 2022, en partenariat avec le site www.afrikinfos-mali.com, Samba Diarra nous parle de la situation économique actuelle du pays, des sanctions de la CEDEAO et de l’UEMOA, de la création d’une monnaie nationale… Lisez donc l’entretien !

Ziré: Présentez-vous à nos chers lecteurs !

Samba Diarra : Je m’appelle Samba Diarra, je suis professeur d’enseignement supérieur, chargé de cours en économie. Je suis titulaire d’un DEA en Finance et Crédit que j’ai obtenu en Bulgarie. Je suis aussi macro-économiste, fonctionnaire de l’État et j’interviens beaucoup dans les universités privées au Mali.

Tout d’abord, comment voyez-vous la politique économique au Mali de façon générale ?

C’est vrai qu’il y a beaucoup de situations auxquelles le Mali fait face actuellement, il y a d’abord l’insécurité, mais aussi cette instabilité politique et économique engendrée par le double coup d’Etat. Mais, tout cela fait partie de la vie d’une grande nation qui connaît des hauts et des bas. Ce n’est pas une situation propre au Mali, toutes les grandes nations sont passées par là.

Cependant, de façon générale, je dirais que ça va sur le plan économique, en tout cas, il n’y a pas de feu à la demeure, ce, malgré les sanctions de la CEDEAO et l’UEMOA. Avec les autorités de la transition, il y a beaucoup d’efforts qui sont en cours et je pense personnellement qu’on va s’en sortir.

Au-delà de la crise, est-ce que vous trouvez l’économie du Mali assez stable dans sa globalité ?

Je trouve que nous avons une économie assez stable. Nous maîtrisons quand même les fondamentaux. Dans un pays en général, qu’est-ce qui ne va pas? Ce sont les échanges commerciaux, notamment les entrées et sorties ; le panier de la ménagère ; la balance commerciale ; la balance de payement tout cela est maîtrisé. Encore une fois, il n’y a pas de feu à la demeure.

Depuis le 09 janvier 2022, le Mali subit l’une des pires sanctions économiques imposée par la CEDEAO et l’UEMOA. Selon vous, quelles sont les conséquences concrètes de ces sanctions pour notre pays ? 

Très bien ! Je pense qu’il faut être précis à ce niveau pour que la population comprenne réellement ce qu’il se passe. En matière d’embargo, il y a deux termes : il y a l’embargo partiel et l’embargo total. Alors, peut-être le Mali est victime d’un embargo partiel, en tout cas c’est ce qui est dit en termes clairs. Quand on dit que les produits consommables de première nécessité, les produits pharmaceutiques sont exceptés, ça veut dire que c’est un embargo partiel.

Cependant, le terme embargo fait toujours peur et fait penser au blocus alors qu’il y a une nuance. Le blocus est administratif alors que l’embargo est strictement économique.

Pourtant ça a eu un impact direct sur les produits de première nécessité dont les prix ne cessent de grimper ?

Oui, il y a une certaine difficulté au niveau de la gestion de nos autorités, surtout il faut citer l’incompétence ou l’insouciance des commerçants. Je veux parler de la spéculation des produits. C’est un comportement qui est propre au Malien. Embargo ou pas, on sait toujours, par exemple, qu’à l’approche du mois de carême, les prix augmentent. Je suis d’accord que le cas actuel est certainement dû à l’embargo.

J’entends souvent des transporteurs des pays voisins se plaindre des pertes économiques, parce que les conséquences de ces sanctions contre notre pays se répercutent directement sur leurs économies, à travers des difficultés sur l’écoulement de leurs produits. Mais, je pense que le Mali doit rester droit dans ses bottes.

Vous avez brièvement parlé des autres pays. Justement, qu’en est-il pour les autres pays membres de la CEDEAO, surtout ceux qui ont une frontière commune avec le Mali ?

Tout le monde en souffre et tout le monde en souffrira. Cette sanction est un couteau à double tranchant. Elle a des conséquences pour le Mali et pour les autres. Les Sénégalais sont en train de crier partout, les Ivoiriens, les Guinéens peut-être un peu moins. Mais en réalité, il n’y a pas de gagnant, tout le monde y paye pour son compte.

À la suite de ces sanctions, le gouvernement a parlé de riposte. Selon vous, comment peut-on riposter à de telles mesures ?

(Rire…) Écoutez, on a toujours dit que la meilleure défense, c’est l’attaque. De quelle riposte parle-t-on et comment d’ailleurs ? J’ai même entendu le Premier ministre dire qu’ils vont porté plainte, où est-ce qu’ils vont porté plainte et contre qui ? La CEDEAO est juge et partie, donc je ne sais pas comment le Mali pourrait porter plainte et prétendre avoir une réponse favorable.

Le problème dans cette affaire est qu’il y a certains pays qui ne sont pas membres de l’UEMOA, mais qui s’appuient sur elle. Ni le Ghana, ni le Nigéria ne sont membres de l’UEMOA. Donc, dès le départ, les cartes ont été très mal distribuées. En réalité, l’UEMOA a fauté, parce qu’elle n’a pas ce droit de voter l’embargo contre le Mali. Ils sont en contradiction flagrante avec le droit.

Comme réponse à ces sanctions de la CEDEAO et de l’UEMOA, le Mali a décidé de fermer ses frontières avec certains pays de la sous-région. Quel impact cela pourrait-il avoir sur les échanges commerciaux ?

Bon, écoutez, c’est ce qu’on dit officiellement, mais tout le monde sait que les camions continuent à traverser les différentes frontières sans problème majeur. En réalité les mouvements se poursuivent. C’est dans la même situation que Toguna Agro-Industrie a mis 500 camions à la disposition de l’État. Ça veut dire que les frontières ne sont pas fermées.

Concrètement, est-ce que le soutien des pays amis suffit-il au Mali pour faire face à ces sanctions ?

Non ! En réalité tout cela n’est pas la solution. La solution c’est d’amorcer le dialogue. Certes, ce soutien peut amoindrir les pertes, mais ça ne peut pas compenser le tout. Ça reste une crise et il faut trouver une solution de sortie de la situation. Il faut éviter de l’arrogance, car ça ne nous rapporte rien.

Au-delà de la CEDEAO, les autorités du Mali ont engagé un autre bras de fer avec la France, doit-on réellement craindre des conséquences économiques à ce niveau aussi ?

Non ! À mon avis, il n’y a pas d’autres conséquences économiques à craindre à ce niveau. Beaucoup pensent que la France nous tient par le cordon monétaire, notamment le francs CFA alors qu’elle ne peut même pas prendre des mesures spécifiques contre le Mali sur le plan économique. Parce qu’il y a un ensemble de quatorze (14) pays qui se retrouvent sur cette monnaie qui est le CFA, dont six pays en Afrique centrale et huit en Afrique de l’Ouest. Donc, le Mali n’est pas le seul pays dont la monnaie se trouve gérée en France.

Certains Maliens recommandent la création d’une monnaie nationale. Selon vous, cela est-il possible aujourd’hui ?

C’est une question extrêmement pertinente qu’il faut expliquer aux gens. Je vais être très franc et je pense que beaucoup ne savent pas de quoi ils parlent. En réalité la monnaie ne se créer pas comme ça du jour au lendemain. Non ! J’ai même entendu un humoriste dire que ‘’quand on a dit que le Mali crée sa monnaie, le président ivoirien, Alassane Dramane Ouattara, a eu la diarrhée’’. Mais écoutez, ce n’est pas aussi simple que ça.

Mais pourquoi pas ? Quels sont les points de blocage ou les risques ?

Tout d’abord, créer une monnaie demande beaucoup d’efforts, de préalables, d’enquêtes et de moyens également. Il faut passer par des périodes d’expérimentation, ce qui peut prendre beaucoup d’années. Il faut aussi penser à l’équilibre financier vis-à-vis de nos pays voisins. Il ne faut pas qu’on se leurre, nous sommes à une transition et la transition ne peut pas prendre de telles décisions.

Pourtant cette question de monnaie restera d’actualité même après la transition.

Oui ! Mais, il faut aller au-delà de simple discours ou l’effet d’émotion. Pour créer une monnaie, il y a beaucoup de paramètres à prendre en compte. Et le Mali dans sa position géographique actuelle, s’isolera davantage s’il crée sa monnaie à lui. Je pense que dans l’État actuel des choses, le Mali n’a pas intérêt à s’isoler sur la question de la monnaie.

Au regard de la situation actuelle au plan économique, quelle proposition faites-vous aux autorités ?

Déjà, il y a une bonne nouvelle sur le plan sécuritaire. L’armée est en train de montrer un bon visage. Et la relance économique a un lien direct avec l’insécurité. Une fois cela réglé, l’économie va respirer. Il faut garder de l’espoir, nous sommes une grande nation et une nation bénie. Tous les pays du monde ont connu des difficultés et se sont relevés après, le Mali aussi s’en remettra.

Entretien réalisé par Amadou Kodio

Source : Ziré