Nombre record de migrants dans le monde, échec des réponses politiques

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Le nombre de migrants dans le monde n’a jamais été aussi élevé. Le HCR les évalue à plus de 100 millions, entre les réfugiés, les déplacés internes, les migrants irréguliers et les demandeurs d’asile.

Les réponses sont toutefois loin d’être adaptées, estime le Centre pour la migration mixte (MMC) dans son rapport sur l’année 2022.

Au contraire, l’ONG dit observer une augmentation des morts et des disparus le long des routes migratoires, la marchandisation des réfugiés et des migrants, ainsi qu’un nombre plus grand de refoulements violents et d’expulsions.

On voit de plus en plus de conflits, de plus en plus d’instabilité politique, de plus en plus de guerres civiles, ce qui provoque des déplacements, explique Martin Hofmann, conseiller principal au Centre international pour le développement de la politique migratoire, à Vienne. Ce n’est pas seulement en Europe, il y a une tendance mondiale.

S’ajoute à cela l’impact des changements climatiques et des événements météorologiques extrêmes, qui sont maintenant le premier facteur de déplacement à l’échelle mondiale.

En 2021, dernière année compilée, il y a eu près de 24 millions de déplacements internes dus aux désastres naturels (surtout des tempêtes et des inondations) contre 14 millions à cause des conflits. Cette année, la sécheresse chronique dans la Corne de l’Afrique, qui touche 20 millions de personnes, et les inondations au Pakistan, qui en ont forcé 33 millions d’autres à fuir temporairement leur foyer, s’inscrivent dans cette tendance.

Des hommes, dans l'eau jusqu'au cou, tirent un radeau de fortune.

Un tiers du Pakistan a subi des inondations catastrophiques qui ont fait plus de 1500 morts.

PHOTO : GETTY IMAGES / AFP / SHAHID SAEED MIRZA

En 2022, l’invasion de l’Ukraine a causé l’un des plus grands et plus soudains déplacements de personnes depuis la Deuxième Guerre mondiale. Pendant les premiers jours de la guerre, plus de 200 000 personnes traversaient quotidiennement les frontières des pays voisins. À ce jour, elles sont près de 8 millions à avoir fui l’Ukraine. De plus, 6,3 millions d’Ukrainiens ont dû quitter leur demeure et se déplacer à l’intérieur du pays.

Le nombre de déplacements causés par l’invasion de l’Ukraine est supérieur à celui provoqué par la guerre en Syrie, en 2015, ou au nombre de Vénézuéliens ayant quitté leur pays.

Par ailleurs, les conflits et la violence continuent d’être une source majeure de déplacement dans plusieurs pays africains, dont le Burkina Faso, le Cameroun, la République centrafricaine et l’Éthiopie. Dans plusieurs cas, ces conflits sont causés par le stress environnemental et les désastres naturels, qui provoquent des luttes pour les ressources.

C’est justement en Afrique que se trouve le plus grand nombre de personnes relevant de la compétence du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (les réfugiés, déplacés, demandeurs d’asile, etc.). Elles sont 38,2 millions, soit 40 % du total mondial.

Suivent les Amériques, avec 18 % des personnes déplacées à l’échelle mondiale, dont près du quart sont des Vénézuéliens.

À cause de la pandémie, les conditions se sont détériorées dans les pays où ils avaient trouvé refuge. En conséquence, un nombre croissant de Vénézuéliens prennent la route du nord. Juste au mois d’octobre, 22 000 d’entre eux ont été interceptés à la frontière du Mexique et des États-Unis.

Normalisation des extrêmes

Aux frontières sud de l’Europe, en Grèce, en Italie ou à Chypre, des dizaines de milliers de migrants irréguliers attendent pendant des mois dans des camps insalubres que leur dossier soit finalement traité par des autorités de l’immigration débordées et peu pressées de les accepter sur leur territoire.

Cela fait partie d’une normalisation des extrêmes que dénonce le Mixed Migration Centre : des politiques, actions et attitudes qui étaient considérées comme inacceptables il y a quelques années sont de plus en plus normalisées et intégrées.

Ainsi, dans plusieurs pays, les réfugiés et migrants, y compris les enfants, sont séparés, isolés et détenus. Au Mexique, 206 885 personnes ont été détenues entre janvier et juillet 2022. Aux États-Unis, où les autorités ont effectué un nombre record d’interceptions à la frontière avec le Mexique, 30 000 migrants étaient détenus à la fin novembre. Au Canada, environ 8000 migrants sont emprisonnés chaque année.

Des migrants tiennent des pancartes, où il est écrit « stop killing us » (arrêtez de nous tuer).

Au moins 23 personnes sont mortes après avoir tenté de pénétrer par la force dans l’enclave espagnole de Melilla à partir du territoire marocain. À la suite de l’incident, des migrants ont manifesté à Rabat, le 28 juin 2022.

PHOTO : GETTY IMAGES

On recense annuellement des centaines, sinon des milliers de morts de migrants. Que ce soit dans le désert à la frontière des États-Unis et du Mexique, dans la jungle du Darién, entre la Colombie et le Panama, ou en tentant d’escalader la clôture qui sépare le Maroc de l’enclave espagnole de Melilla.

D’autres se noient en tentant de traverser la Méditerranée ou la Manche. Les opérations de sauvetage en mer menées par les ONG se heurtent d’ailleurs à de plus en plus d’obstacles, comme le harcèlement du personnel et des refus d’autoriser des navires ayant secouru des migrants de débarquer leurs passagers.

« Il y a un manque d’humanité dans la gestion de certaines catégories d’êtres humains qui est vraiment terrifiant. »

— Une citation de  Roberto Forin, directeur adjoint du Mixed Migration Centre, à Genève

En 2022, les migrants ont fait face à un environnement de plus en plus hostile. Dans des pays comme le Liban et la Turquie, qui ont accueilli des millions de réfugiés syriens, l’inflation rend la vie plus difficile pour les migrants, qui y ont été la cible d’un nombre croissant d’attaques violentes. Même chose en Amérique latine, où les réfugiés vénézuéliens doivent composer avec l’hostilité croissante d’une partie de la population.

Quelles solutions?

Les flux migratoires ne sont pas près de s’arrêter, au contraire. Il faut donc trouver des solutions pour répondre aux défis qu’ils représentent, estime le Mixed Migration Centre.

Le traitement réservé aux Ukrainiens ayant fui l’invasion russe démontre bien qu’il est possible de faire les choses autrement. Les Ukrainiens ont été accueillis à bras ouverts par plusieurs pays européens qui leur ont immédiatement accordé une protection temporaire, en leur octroyant des permis de séjour ainsi qu’en leur garantissant l’accès à l’éducation et au marché du travail

Ximena Sampson (accéder à la page de l’auteur)

Publié hier à 9 h 02

Le nombre de migrants dans le monde n’a jamais été aussi élevé. Le HCR les évalue à plus de 100 millions, entre les réfugiés, les déplacés internes, les migrants irréguliers et les demandeurs d’asile.

Les réponses sont toutefois loin d’être adaptées, estime le Centre pour la migration mixte (MMC) dans son rapport sur l’année 2022.

Au contraire, l’ONG dit observer une augmentation des morts et des disparus le long des routes migratoires, la marchandisation des réfugiés et des migrants, ainsi qu’un nombre plus grand de refoulements violents et d’expulsions.

On voit de plus en plus de conflits, de plus en plus d’instabilité politique, de plus en plus de guerres civiles, ce qui provoque des déplacements, explique Martin Hofmann, conseiller principal au Centre international pour le développement de la politique migratoire, à Vienne. Ce n’est pas seulement en Europe, il y a une tendance mondiale.

S’ajoute à cela l’impact des changements climatiques et des événements météorologiques extrêmes, qui sont maintenant le premier facteur de déplacement à l’échelle mondiale.

En 2021, dernière année compilée, il y a eu près de 24 millions de déplacements internes dus aux désastres naturels (surtout des tempêtes et des inondations) contre 14 millions à cause des conflits. Cette année, la sécheresse chronique dans la Corne de l’Afrique, qui touche 20 millions de personnes, et les inondations au Pakistan, qui en ont forcé 33 millions d’autres à fuir temporairement leur foyer, s’inscrivent dans cette tendance.

Des hommes, dans l'eau jusqu'au cou, tirent un radeau de fortune.

Un tiers du Pakistan a subi des inondations catastrophiques qui ont fait plus de 1500 morts.

PHOTO : GETTY IMAGES / AFP / SHAHID SAEED MIRZA

En 2022, l’invasion de l’Ukraine a causé l’un des plus grands et plus soudains déplacements de personnes depuis la Deuxième Guerre mondiale. Pendant les premiers jours de la guerre, plus de 200 000 personnes traversaient quotidiennement les frontières des pays voisins. À ce jour, elles sont près de 8 millions à avoir fui l’Ukraine. De plus, 6,3 millions d’Ukrainiens ont dû quitter leur demeure et se déplacer à l’intérieur du pays.

Le nombre de déplacements causés par l’invasion de l’Ukraine est supérieur à celui provoqué par la guerre en Syrie, en 2015, ou au nombre de Vénézuéliens ayant quitté leur pays.

Par ailleurs, les conflits et la violence continuent d’être une source majeure de déplacement dans plusieurs pays africains, dont le Burkina Faso, le Cameroun, la République centrafricaine et l’Éthiopie. Dans plusieurs cas, ces conflits sont causés par le stress environnemental et les désastres naturels, qui provoquent des luttes pour les ressources.

C’est justement en Afrique que se trouve le plus grand nombre de personnes relevant de la compétence du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (les réfugiés, déplacés, demandeurs d’asile, etc.). Elles sont 38,2 millions, soit 40 % du total mondial.

Suivent les Amériques, avec 18 % des personnes déplacées à l’échelle mondiale, dont près du quart sont des Vénézuéliens.

À cause de la pandémie, les conditions se sont détériorées dans les pays où ils avaient trouvé refuge. En conséquence, un nombre croissant de Vénézuéliens prennent la route du nord. Juste au mois d’octobre, 22 000 d’entre eux ont été interceptés à la frontière du Mexique et des États-Unis.

Normalisation des extrêmes

Aux frontières sud de l’Europe, en Grèce, en Italie ou à Chypre, des dizaines de milliers de migrants irréguliers attendent pendant des mois dans des camps insalubres que leur dossier soit finalement traité par des autorités de l’immigration débordées et peu pressées de les accepter sur leur territoire.

Cela fait partie d’une normalisation des extrêmes que dénonce le Mixed Migration Centre : des politiques, actions et attitudes qui étaient considérées comme inacceptables il y a quelques années sont de plus en plus normalisées et intégrées.

Ainsi, dans plusieurs pays, les réfugiés et migrants, y compris les enfants, sont séparés, isolés et détenus. Au Mexique, 206 885 personnes ont été détenues entre janvier et juillet 2022. Aux États-Unis, où les autorités ont effectué un nombre record d’interceptions à la frontière avec le Mexique, 30 000 migrants étaient détenus à la fin novembre. Au Canada, environ 8000 migrants sont emprisonnés chaque année.

Des migrants tiennent des pancartes, où il est écrit « stop killing us » (arrêtez de nous tuer).

Au moins 23 personnes sont mortes après avoir tenté de pénétrer par la force dans l’enclave espagnole de Melilla à partir du territoire marocain. À la suite de l’incident, des migrants ont manifesté à Rabat, le 28 juin 2022.

PHOTO : GETTY IMAGES

On recense annuellement des centaines, sinon des milliers de morts de migrants. Que ce soit dans le désert à la frontière des États-Unis et du Mexique, dans la jungle du Darién, entre la Colombie et le Panama, ou en tentant d’escalader la clôture qui sépare le Maroc de l’enclave espagnole de Melilla.

D’autres se noient en tentant de traverser la Méditerranée ou la Manche. Les opérations de sauvetage en mer menées par les ONG se heurtent d’ailleurs à de plus en plus d’obstacles, comme le harcèlement du personnel et des refus d’autoriser des navires ayant secouru des migrants de débarquer leurs passagers.

« Il y a un manque d’humanité dans la gestion de certaines catégories d’êtres humains qui est vraiment terrifiant. »

— Une citation de  Roberto Forin, directeur adjoint du Mixed Migration Centre, à Genève

En 2022, les migrants ont fait face à un environnement de plus en plus hostile. Dans des pays comme le Liban et la Turquie, qui ont accueilli des millions de réfugiés syriens, l’inflation rend la vie plus difficile pour les migrants, qui y ont été la cible d’un nombre croissant d’attaques violentes. Même chose en Amérique latine, où les réfugiés vénézuéliens doivent composer avec l’hostilité croissante d’une partie de la population.

Quelles solutions?

Les flux migratoires ne sont pas près de s’arrêter, au contraire. Il faut donc trouver des solutions pour répondre aux défis qu’ils représentent, estime le Mixed Migration Centre.

Le traitement réservé aux Ukrainiens ayant fui l’invasion russe démontre bien qu’il est possible de faire les choses autrement. Les Ukrainiens ont été accueillis à bras ouverts par plusieurs pays européens qui leur ont immédiatement accordé une protection temporaire, en leur octroyant des permis de séjour ainsi qu’en leur garantissant l’accès à l’éducation et au marché du travail.

C’est un mouvement de population d’une ampleur qu’on n’avait pas vue depuis la Deuxième Guerre mondiale, précise Roberto Forin, mais il n’a pas engendré une crise; il a engendré une réponse coordonnée et un consensus politique au niveau européen. La réponse a su aller au-delà de la crise et se concentrer sur les solutions.

Cet accueil contraste avec le traitement que reçoivent les demandeurs d’asile en provenance d’autres régions du monde, qu’on tente d’empêcher par tous les moyens de mettre le pied en Europe.

Selon les données du HCR, 149 446 refugiés et migrants sont arrivés en Europe par les routes de la Méditerranée, maritimes et terrestres, en 2022.

« On arrive à répondre à 8 millions d’Ukrainiens, mais on n’arrive pas à répondre à 150 000 personnes qui arrivent d’ailleurs… Ça ne colle pas. »

— Une citation de  Roberto Forin, directeur adjoint du Mixed Migration Centre

Cela correspond à un phénomène qui s’est développé au fil des ans : la problématisation de la migration, explique Martin Hofmann, du Centre international pour le développement de la politique migratoire. Même les partis politiques ou les politiciens plutôt de gauche ou progressistes ont accepté cette idée que la migration en soi est problématique, ajoute-t-il. Cela semble être payant pour eux.

« Tous les pays du Nord partagent un certain scepticisme envers l’immigration et la considèrent principalement comme un défi. »

— Une citation de  Martin Hofmann, conseiller principal au Centre international pour le développement de la politique migratoire

Pourtant, estime-t-il, il y a d’autres façons de voir l’enjeu de la migration, surtout dans un contexte de vieillissement de la population et de pénurie de main-d’œuvre. Deux situations qui iront en s’aggravant dans les sociétés occidentales au cours des prochaines décennies.

Selon une étude du Center for Global Development, d’ici 2050, les pays riches devront combler un manque de 202 millions de travailleurs pour maintenir le taux actuel entre travailleurs et personnes à charge. L’Afrique, elle, disposera de 1,3 milliard de personnes en âge de travailler.