MERKEL ET L’AFRIQUE: L’engagement de la Bundeswehr au Mali marque un tournant décisif dans l’évolution de la politique africaine de l’Allemagne 

Pendant seize ans, elle a été la femme sinon l’une des personnalités politiques les plus influentes du monde.

Sa vision, son courage à défendre ses convictions et son déroutant franc-parler ont forgé l’estime et le respect des dirigeants du monde.

Sa gestion de la crise migratoire de 2015 a rehaussé sa côte aux yeux de ceux qui n’ont pas généralement d’importance aux yeux des «Grands» de ce monde.

Elle n’a pas ainsi hésité à s’afficher sur des photos avec des migrants pas par démagogie politicienne, mais surtout pour exhorter les dirigeants européens concernés à se départir du mépris pour analyser cette nouvelle situation sous le prisme humanitaire et socioéconomique.

Angela Merkel s’en va. Mais, elle aura marqué l’Allemagne, l’Europe et le monde, l’Afrique notamment.

 

Les élections fédérales allemandes de 2021 (Bundestagswahl 2021) ont lieu le dimanche 26 septembre 2021 afin de renouveler les membres du parlement allemand, le Bundestag (735 élus).

Elles ont été remportées par le Parti social-démocrate (SPD) avec 25,7 % des suffrages. Il devance de peu l’Union conservatrice CDU-CSU avec «un score historiquement bas» de 24,1 %. 

Selon des chroniqueurs politiques européens, jamais les conservateurs n’étaient tombés sous le seuil de 30 %.

Il s’agit d’un cuisant revers pour le camp de la chancelière Angela Merkel qui avait déjà décidé de prendre sa retraite politique.

Dans la configuration actuelle, plusieurs solutions sont possibles pour une majorité au Bundestag, qui comptera un record de 735 députés, soit 137 de plus qu’il y a quatre ans. Le SPD, avec 206 députés, pourrait ainsi s’allier avec les Verts (classés 3e avec 14,8 %, 118 députés) et les libéraux du FDP, un parti de droite qui a recueilli 11,5 % (92 sièges). 

En attendant de connaître le futur Chancelier allemand, c’est le moment de jeter un regard rétrospectif sur les seize ans de règne d’Angela Merkel, surtout ses relations avec l’Afrique. Après quatre mandats successifs à la tête de l’Allemagne, la Chancelière va donc bientôt quitter ses fonctions. 

Son bilan (l’impact de sa politique allemande et européenne) est diversement interprété. «Si l’objectif était de faire de l’Allemagne une puissance plus forte, avec un chômage plus bas, oui elle l’a atteint ; même si elle a surtout bénéficié des réformes de son prédécesseur», analyse (pour Le HuffPost) Paul Maurice, chercheur au Comité d’études des relations franco-allemandes (CERFA) à l’Institut français des relations internationales. «Le développement de l’Afrique est le grand enjeu de notre époque…

Les années Merkel ont rendu possible une affirmation de l’Allemagne en Afrique», souligne Alexandre Robinet-Borgomano, responsable du programme Allemagne à l’Institut Montaigne, interrogé par RFI. 

Sa retraite est-elle alors une perte pour le continent ? «Non, je ne crois pas. Il est vrai que Merkel, pendant ses seize années de pouvoir, a opéré un tournant de la politique allemande vis-à-vis du continent. Mais, l’Afrique avec Merkel est devenue un sujet central et le restera après elle», répond-t-il.

Selon le spécialiste, il a fallu attendre 2017 pour que l’Afrique devienne réellement un sujet central, même si «ce tournant africain de l’Allemagne a des racines plus anciennes qui touchent à trois éléments».  C’est, d’une part, la redécouverte par l’Allemagne de son passé colonial.

L’autre élément qui conduit à faire de l’Afrique un sujet allemand, c’est l’engagement de la Bundeswehr au Mali et dans différentes opérations de maintien de la paix. Et enfin, le dernier élément est celui le plus central.

«C’est à partir de 2015, ce que l’on appelle la crise des réfugiés, qui a conduit l’Allemagne à faire une différenciation assez nette entre les personnes issues de Syrie et d’Afghanistan, qui pouvaient prétendre au statut de réfugiés, et les migrants venus du Maghreb et d’Afrique qui sont arrivés également massivement en Allemagne à cette époque-là.

Ils ont conduit l’Allemagne à prendre conscience que l’Afrique devenait un sujet de préoccupation central, qu’il importait de développer une nouvelle politique pour lutter contre les causes de l’immigration», explique Alexandre Robinet-Borgomano. Cette problématique sera par la suite au «cœur de la politique africaine» de Merkel.

 

L’engagement de la Bundeswehr au Mali, un axe prioritaire de la politique africaine de l’Allemagne 

Le plan Merkel a deux composantes.

D’une part, ce plan Marshall pour l’Afrique, ou plan Marshall avec l’Afrique.

Porté initialement par le ministère de la Coopération internationale, il est essentiellement une somme d’argent mise à disposition des entreprises souhaitant s’implanter en Afrique. L’autre composante est un élément plus original qui est le «Compact with Africa» visant à créer une nouvelle forme de coopération.

Et cela dans la mesure où ce plan associe des États africains ayant demandé à participer à cette initiative visant à identifier les projets de développement utiles et à améliorer le cadre réglementaire pour le rendre davantage propice aux affaires.

«La critique que l’on peut faire sur ce plan, c’est que les États qui y participent sont des États qui bénéficient déjà d’un substrat économique qui est plutôt favorable.

Dans les pays impliqués on compte notamment le Togo, le Ghana, la Côte d’Ivoire, le Sénégal, le Maroc et l’Éthiopie… qui sont plutôt les bons élèves de l’Afrique sur le plan économique», explique Alexandre Robinet-Borgomano à RFI.

La question sécuritaire au Sahel, notamment l’engagement de la Bundeswehr dans notre pays, où elle compte environ 1 500 soldats, est devenue un axe prioritaire de la politique africaine de l’Allemagne ces dernières années. «Angela Merkel a posé des jalons qui permettront demain à l’Allemagne d’intervenir plus facilement», souligne le spécialiste.

Et d’ajouter, «ce qui caractérise les années Merkel c’est d’avoir posé les jalons en rendant possible une affirmation de cette puissance après elle.

Pendant trop longtemps, la France s’est plainte d’être seule en Afrique et de contribuer seule au développement du continent. Aujourd’hui, elle ne voit pas forcément d’un très bon œil l’Allemagne prendre pied sur ce territoire que la France a longtemps considéré comme l’une de ses terres d’influence».

Le Mali a occupé une place de choix dans la politique africaine d’Angela Merkel qui avait débuté une tournée africaine par Bamako en 2016.

A cette occasion, elle avait promis au président Ibrahim Boubacar Kéita de soutenir notre pays.

«Nous jugeons important d’établir une cohérence entre notre coopération au développement et nos mesures de soutien militaire», avait-elle fait remarquer à la fin d’une rencontre avec IBK.

«C’est pourquoi l’Allemagne renforcera son aide au développement dans le nord du pays dans les secteurs de l’approvisionnement en eau et de l’agriculture.

La population malienne devrait en effet se rendre compte que la paix, ce n’est pas seulement l’absence de guerre, mais aussi la source de meilleures perspectives de développement économique», avait souligné la Chancelière allemande qui avait aussi rencontré le contingent allemand de la Minusma.

A noter aussi que le 1er mai 2019, la Chancelière allemande a également effectué une visite de quelques heures dans notre pays, à Gao précisément.

Elle y a rencontré les troupes allemandes de la Minusma composées d’environ 1000 éléments.

Il faut rappeler qu’en mars 2017, le gouvernement allemand avait décidé d’envoyer au Mali quatre hélicoptères de combat et quatre hélicoptères de transport ainsi que des soldats supplémentaires pour s’occuper de l’entretien et du fonctionnement de ces appareils.

 

Un partenariat discret, mais efficace

Au Mali, la Bundeswehr participe à trois missions : la mission de formation de l’Union européenne (EUTM Mali) visant à contribuer à la formation des forces armées maliennes ; la mission de formation de forces de police qui seront chargées de sécuriser les frontières ; et la MINUSMA, mandatée pour améliorer la sécurité dans le nord du pays. 

En 2019 (7-9 février 2019), le président IBK s’est à son tour rendu à Berlin à la tête d’une imposante délégation.

Une visite officielle qui a prouvé une fois de plus l’excellence des relations entre les deux pays.

A cette occasion, Mme Angela Merkel et Ibrahim Boubacar Kéita ont discuté des questions de paix, de sécurité et de croissance ainsi que du renforcement des investissements allemands au Mali.

Cette visite a été également marquée par une tableronde Mali-Allemagne pour rehausser le niveau de l’investissement allemand dans notre pays afin de créer de la valeur ajoutée et créer des opportunités d’emplois pour les jeunes. 

Le partenariat Mali-Allemagne, c’est plus de 100 projets mis en œuvre avec un coût total de plus de 282 milliards  F Cfa en 2017, a-t-on appris à cette occasion.

Et peu de partenaires bilatéraux du Mali pouvaient revendiquer autant à cette date.

Comme l’analyse pertinemment Méhidi Diakité, Premier Conseiller à l’ambassade du Mali à Berlin (en fin de mission) «le Mali est lié à l’Allemagne par une coopération discrète, pragmatique, efficace et respectueuse qui a toujours su s’adapter à nos besoins».

Sans donc céder au méprisant paternalisme de la France sur le continent, notamment dans ses anciennes colonies, Merkel a hissé le partenariat germano-africain dans une nouvelle dynamique plus portée sur le développement socio-économique que sur l’aide budgétaire. Et son parcours en lui-même doit également inspirer en Afrique.

En effet, au moment de prendre sa retraite, elle apparaît plus que jamais comme un grand leader qui s’est imposé comme une figure majeure du monde politique mondial. 

Et cela d’autant plus qu’elle a dû imposer son style, se forgeant une image de dame de fer, quand c’était nécessaire, tout en résistant à l’usure du pouvoir.

Et l’Afrique a plus que jamais besoin aujourd’hui de ce genre de leader pour enfin exister et peser dans les relations internationales à la hauteur de son importance géostratégique, à la hauteur de son potentiel économique.

En attendant qu’une coalition se mette en place pour le choix d’un nouveau Chancelier, on peut encore savourer sa présence au devant de la scène pendant encore quelques semaines voire quelques mois.

En effet, les observateurs les plus optimistes misent sur un accord avant Noël. Pour d’autres «L’Ange Merkel» aura l’opportunité de présenter ses vœux aux Allemands une dernière fois avant de définitivement passer le témoin !

Moussa Bolly