Les enseignements d’un procès

C’est pourquoi, comme un château de cartes, les accusations portées contre Oumar Ibrahima Touré et autres se sont effondrées. Les accusations de détournements de biens publics, de faux et usage de faux  et de délit de favoritisme ont fondu comme du beurre de karité au soleil du renouveau de la justice. Une justice libre, indépendante et courageuse, qui s’est départie des pressions extérieures pour dire le droit.

En effet, il est  ressorti des débats que cette affaire du Fonds Mondial a été montée de toutes pièces, selon la volonté d’un inspecteur, aidé par un pouvoir faible qui s’est aplati devant lui pour mettre en prison de hauts cadres de notre pays et en protéger d’autres. Ce procès aura surtout montré à la face du monde la déliquescence du régime ATT. Le Président déchu a simplement sacrifié certains de ses cadres, et même un ministre de la République, sous la pression des bailleurs  de fonds.

Comment comprendre que le rapport d’enquête d’un vérificateur étranger puisse servir de base à des poursuites judiciaires au Mali? La logique aurait voulu que le Président, saisi, informe son ministre. Quitte à ce dernier d’entendre ses cadres pour obtenir leur version. Cela s’appelle le principe du contradictoire en matière d’audit. Mais, non, on a tout simplement nié cette procédure.

Dans les débats, il a apparu que le  PNLT était parmi les meilleurs programmes du ministère de la Santé (parole du ministre Oumar Touré), dont les mérites ont été reconnus même à l’extérieur du Mali. Ce qui justifie, sans doute, l’étonnement des magistrats concernant l’inculpation de ces cadres et autres commerçants.

Le ministère public, dirigé par Daniel Tessougué, magistrat dont l’intégrité et la probité morales sont connues de tous, n’a pu soutenir l’accusation d’atteinte aux biens publics contre Oumar Ibrahima Touré et autres et a martelé que ce procès était un gâchis. Il a retenu seulement le délit  de favoritisme à l’encontre d’Ousmane Diarra et de Mamadou Ousmane Bah, accusation démontée par leurs avocats. Conséquences, Oumar Ibrahima Touré et d’autres ont été acquittés. Seul Ichiaka Diallo, qui a reconnu avoir détourné 121 millions de francs CFA, à l’enquête préliminaire et à la barre, a été condamné à 5 ans d’emprisonnement.

Ce procès pose en somme la problématique de la dépendance de nos magistrats vis-à-vis de l’Exécutif et de celle de notre pays vis-à-vis de l’aide extérieure. Il a montré également que, à cause des carences de nos magistrats instructeurs, des innocents ont inutilement passé deux et demi en prison pour  des faits qu’ils n’ont pas commis. Vivement donc le renouveau de notre justice, avec des magistrats compétents, responsables et courageux.

Youssouf Diallo

Le Procureur général de la Cour d’Appel sur le procès du Fonds Mondial: «Un juge dépendant, un petit caporal, est un danger.. »

Après le verdict du procès sur les détournements au titre des subventions du Fonds Mondial, nous avons tendu notre micro au Procureur général près la Cour d’Appel de Bamako, Daniel Amagouin Tessougué. Il nous livre ses impressions, fustige le rapport de l’inspecteur du Fonds Mondial et critique l’ancien régime.

22 Septembre: Vos impressions sur ce procès?

Daniel Tessougué: C’est la correction avec laquelle le Président de la Cour d’assises a mené les débats. Je crois que tout le monde s’en est rendu compte. La Cour a fait montre d’une très grande impartialité. Il avait un grand souci de comprendre réellement le fond du problème. Une patience attentive à écouter, une sagacité à poser des questions pertinentes, parce que, contrairement à ce que les  gens pensent, la justice doit d’abord comprendre avant de condamner. On s’est rendu compte que tout le monde avait eu la latitude de poser des questions. Je dois saluer la très bonne tenue des avocats. Ils ont fait en sorte que la vérité triomphe et cela est à l’honneur de la justice. Pour ce qui est du ministère public, nous avons soutenu l’accusation, c’est notre mission. Mais, conformément à ce que nous impose le Code de procédure pénale, nous veillons à l’application de la loi pénale, à ce que la loi s’applique, parce qu’elle est identique pour tout le monde.

 

Et c’est cela ma conviction. La justice n’est pas là pour rendre service à qui que ce soit. Il faut qu’on dise le droit. C’est pourquoi, souvent, on m’a vu assez critique sur la façon dont l’enquête préliminaire a été menée. J’ai dénoncé souvent les méthodes cavalières par lesquelles on procédait à l’arrestation. Parce qu’à mon avis, un magistrat instructeur sa qualité première réside dans son impartialité. La loi lui impose d’instruire à charge et à décharge. Lorsque les faits ne tiennent pas, il faut avoir l’honnêteté intellectuelle de le dire. On n’est pas là pour enfoncer qui que ce soit. C’est pour cela que, dans le cadre du respect du droit de la défense, l’inculpé, au niveau du juge d’instruction, doit avoir en sa possession tous les moyens de défense. Et nous avons vu des gens dire nous avons les preuves, les pièces justificatives, qui ont été exhibées devant la Cour. C’est pour cela, qu’honnêtement et intellectuellement parlant, il faut reconnaître que l’instruction n’a pas été menée dans les règles de l’art. Heureusement, tout cela été corrigé à la barre. C’est ce qu’on appelle l’instruction définitive, qui fonde d’ailleurs l’intime conviction du juge.

Et ce rapport du Fonds Mondial ?

Concernant le rapport du Fonds Mondial, le Fonds a lui-même critiqué les méthodes et la façon de travailler de ses inspecteurs. Et il y a un passage qui attiré mon attention. Le Fonds reconnaît que ses inspecteurs ne respectaient pas la dignité des cadres, parce qu’on ne peut pas venir mener une inspection sans respecter le minimum qu’on impose à un audit, à savoir le contradictoire. Quand vous décelez quelque chose, vous avez l’obligation de porter cela à la connaissance de l’inspecté, pour qu’il puisse apporter la contradiction éventuellement. Ce sont pratiquement des méthodes inquisitoriales qu’on a utilisées, avec assez de secrets autour de ce qu’on détectait ou qu’on croyait détecter comme fraudes. Cela a contribué à polluer l’atmosphère. Sans oublier qu’en cela la presse n’a pas joué un très bon rôle non plus. En respectant le contradictoire, on aurait fait l’économie de beaucoup de choses.

On vous a senti critique à l’endroit de l’ancien Président….

C’est vrai, souvent j’ai été souvent critique. On a pensé que c’était des attaques personnelles à l’endroit de l’ancien Président. Il faut le dire, ce procès, c’est le procès d’un système. De son impact sur la tenue de ce procès. D’ailleurs l’inspecteur du Fonds Mondial l’a dit. Il dit que le juge d’instruction travaillait sous la direction du Président de la République. C’est écrit dans le rapport. Ce n’est pas seyant. Même si cela était, quand on sort le rapport d’une autorité étrangère et qu’on le retrouve dans un document de procès, cela ne fait bon effet. L’implication de l’Exécutif dans la procédure judiciaire cause énormément de malheurs. C’est pour cela que l’indépendance du juge a sa valeur, son intérêt. Un juge indépendant est une garantie pour tout le monde. Mais un juge dépendant, un petit caporal, est un danger pour tout le monde. Toutes les critiques que je faisais pendant ce procès étaient en rapport avec cela.


Me Mamadou Gaoussou Diarra, Avocat de Mamadou Ousmane Bah: «Cette affaire est un miroir du dysfonctionnement de l’administration malienne»

Je suis comblé, parce que mon client Mamadou Ousmane Bah a passé deux ans et demi en prison, pour des faits qui n’ont rien de répréhensible, pour des considérations inavouables. Aujourd’hui, grâce à Dieu, justice est rendue, il retourne auprès de sa famille. Cette affaire est un miroir du dysfonctionnement qui affecte l’administration malienne dans son ensemble. Nous avons affaire à un cas où des individus sont mis en prison avec un refus systématique de toutes les demandes de mise en liberté. Cela veut tout simplement dire que le chef était en haut, il regardait tout cela personnellement. Les règles de droit ont été mises de côté et, finalement, deux ans après, on se  rend compte qu’on a gardé sans raison valable des individus, qui n’avaient aucune raison d’être en prison.

Je me réjouis encore qu’il y ait des hommes et des femmes, dans ce pays, capables de s’assumer, de rendre une justice saine. Je pense que c’est un jour mémorable. Je félicite non seulement les gens qui composent la Cour d’assises, le Président en particulier, pour avoir su mener les débats, et aussi le ministère public, qui a su garder la distance nécessaire. Certes, une œuvre humaine n’est jamais parfaite, mais, dans le sens de la justesse, je me dis qu’une lueur d’espoir vient de poindre dans le ciel. Pourvu que cela dure et que l’on permette aux citoyens d’aspirer et de prétendre à une justice saine.

Me Moustapha Cissé, Avocat d’Oumar Ibrahima Touré: «Le dossier Fonds Mondial est un gros machin»

Mes impressions sont celles d’une grande satisfaction. Satisfaction de voir la justice de notre pays prendre le chemin de la droiture normale de la justice dans un Etat de droit. Lorsque les charges sont insuffisantes contre un accusé devant une Cour d’assises, la justice doit avoir le courage de rendre à l’individu ou aux individus leur honneur et leur liberté. Le dossier du Fonds Mondial est un gros machin, comme on le disait de l’ONU, à l’époque.

Ce machin magnifiait les voix des faibles. Mais contrairement à ce machin qui magnifie, nous avions un machin qui avait pour but d’écraser les voix des faibles, les voix de ceux qui n’ont pas eu le temps de se défendre, qui n’ont pas eu droit à un procès véritablement équitable. Le procès équitable a eu lieu à la barre, où tout a été repris, l’instruction et l’interrogatoire, l’analyse des pièces et les arguments développés par les uns et les autres. Et la vérité a triomphé. Donc, de ce point de vue, je ne peux être que satisfait. Cela coïncide aussi avec le 10 décembre, date anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme. J’avoue qu’il y a des coïncidences historiques qui font honneur à l’humanité  et à l’individu. Je suis content pour ces pères et mères qui vont retrouver leurs familles aujourd’hui.

Le rapport du Fonds pose un problème de souveraineté.

Je me rappelle, en 1998, avoir assisté à un grand séminaire organisé pour les militants de droit de l’homme par la Fondation Friedrich Ebert. Le thème était «Droit de l’homme et souveraineté de l’Etat». Il faudrait que nous sachions qu’en aucun cas, la souveraineté ne peut se constituer en violation des droits de l’homme. Il faudrait que nous fassions attention à ce que l’Etat n’accepte pas d’injonctions venant de ceux qui nous donnent leur argent. Le bailleur n’est pas un bailleur d’idée, n’est pas un bailleur d’injonction. Ça s’arrête aux fonds qu’il donne. Leur gestion, la crédibilité de leur gestion et leur moralité, c’est nous qui devons les fixer. C’est nous qui devons fixer les règles du jeu.

Le vérificateur du Fonds Mondial est venu se comporter comme en territoire conquis. Ce que nous n’avons pas compris. Il faut maintenant regarder de très près ce que les gens nous donnent. Dans certains pays, cela ne peut pas se faire, pour la simple raison, qu’en aucun cas une enquête, fut-elle menée par un Inspecteur de l’extérieur, ne peut servir de support à une accusation juridique, au niveau interne, sans avoir fait la preuve de la vérification nécessaire, donc le passage par le tamis de la vérité de la justice. Ce qui n’a malheureusement pas été le cas.

A un certain moment, nous avons pensé qu’on pouvait enjoindre de faire telle ou telle chose. On l’a fait et, malheureusement, nous ne nous sommes pas rendu service à nous-mêmes. Nous n’avons rendu service qu’à quelqu’un, qui, aujourd’hui, a été viré de son propre service. Bourassa a été emporté par la bourrasque qu’il a créée au Mali.

Rassemblés par Youssouf  Diallo

Le 22 Septembre 13/12/2012