Le Matinal APRES VINGT-DEUX JOURS DE GREVE

Depuis le 9 janvier, le Syndicat autonome de la magistrature (SAM) et le Syndicat libre de la magistrature (SYLIMA) observent une grève illimitée après un coup d’essai de 7 jours. Vingt-deux jours déjà et aucun signe de dénouement en vue. Avec un gouvernement sourd face à des magistrats déterminés à aller jusqu’au bout de la satisfaction de leurs revendications. De l’avis général, le temps est en train de donner raison au président du SAM, Cheick Mohamed Chérif Koné, qui a toujours fustigé la mauvaise volonté du gouvernement dans le traitement de cette crise. Toujours est-il que ce sont les populations qui font les frais d’une guerre qui ne les concerne guère.

En effet, voilà exactement 22 jours aujourd’hui que les magistrats sont en cessation de travail, sans que les autorités en place ne daignent engager véritablement le dialogue. Incompréhensible pour le commun des Maliens qui souffrent de cette rupture dans la distribution de la justice. Des dossiers pendants, des candidats aux différents recrutements qui attendent impatiemment leurs documents, des centaines de prisonniers (certains innocents) qui attendent d’être jugés…se sont autant de « dégâts collatéraux » de cette grève.
A tort ou à raison, certains Maliens en veulent au gouvernement qui, de leurs avis, se moque éperdument du « calvaire » enduré par les populations à cause de cet arrêt au niveau des cours et tribunaux.
Sans doute, l’instauration d’un cadre de dialogue entre les parties permettra de décrisper l’atmosphère. Sauf que le gouvernement ne semble pour le moment pas dans cette posture, selon un magistrat. Et du côté du gouvernement, l’on s’en défend: « Ce sont les magistrats qui ne sont pas de bonne foi. Sinon le gouvernement est et restera ouvert au dialogue », confie un cadre du ministère de la justice.
Les revendications des magistrats restent donc sur la table. « Il n’y a eu aucun point d’accord. Tout est point de blocage », confiait récemment à un confrère, le président du SAM. Cheick Mohamed Chérif Koné s’explique : « On a d’abord demandé que nos salaires soient revus, comme cela a été fait partout à travers le monde. Le gouvernement n’a pas bougé d’un iota. Nous avons demandé des indemnités signifiantes de judicature. Les indemnités de judicature, comme leurs noms l’indiquent, sont liées à la fonction de juge. Savez-vous ? Ce que le juge fait de visible, dans les bureaux, n’est que le quart du travail qu’il accompli à domicile. Le fait de juger demander notamment beaucoup de réflexion qui ne peut se faire que dans la tranquillité. Rédaction des réquisitoires, des ordonnances…tout cela se fait à la maison. C’est donc des nuits blanches que les juges passent pour pouvoir sortir des décisions.
Toutes les fonctions du juge font qu’il a droit à des indemnités. Celles accordées aux juges maliens restent les plus basses au monde. Dans les autres pays, les indemnités de judicature font le double, sinon le triple de celles accordées au Mali. Au Burkina Faso, un magistrat débutant n’a pas moins de 750000 francs CFA comme indemnité de judicature. Au Sénégal, c’est dans l’ordre de 800000 également pour un magistrat débutant. Ici, au Mali, le débutant à 200000 CFA, et un magistrat en fin de carrière gagne 250000 CFA comme indemnité de judicature. Il y a un déséquilibre total.
Que dire des indemnités de logement ? Dans les engagements pris par le Mali à l’endroit des juges, l’Etat a l’obligation de loger les magistrats de façon décente, à défaut il doit leurs verser des indemnités suffisantes pour pouvoir se loger. À l’heure où je vous parle, l’indemnité de logement accordée à un magistrat malien est 50000. Ce montant comprend le logement, l’électricité et l’eau. Un tel montant est très insignifiant pour permettre à un magistrat de se loger décemment. Il ne s’agit donc pas de donner des miettes à des gens, pour dire que l’Etat a trop fait pour un corps en oubliant les autres. Alors qu’au Sénégal l’indemnité de logement fait 400000 CFA pour le jeune magistrat, contre 1 million pour le magistrat de la Cour suprême. Le décalage est patent.
Et quand nous partons dans des rencontres internationales, il appartient aux magistrats de se loger. Les autres pays soutiennent leurs magistrats. Mais le nôtre ne participe à rien, si bien qu’on ne peut pas être logé dans les mêmes hôtels que nos confrères. Tout cela justifie qu’on ait demandé à l’Etat de voir ce qu’il faut faire.
On a aussi demandé le passeport diplomatique pour les magistrats de la Cour suprême, les premiers présidents de Cours d’appel et le directeur de l’Institut de formation judiciaire. Ce n’est pas pour le luxe. Lorsque les magistrats de la Cour suprême partent dans des rencontres internationales, avec d’autres pays, c’est l’humiliation totale, la désolation pour le Mali. Les autres magistrats des cours suprêmes sont directement conduis dans les salons d’honneur, sur la base du passeport diplomatique. Mais pour que les magistrats maliens puissent y avoir accès, c’est toutes sortes d’arrangement, de négociation entre les organisateurs et les services de police. Cela n’est pas à l’honneur d’un Etat tel que le Mali qui a un peuple d’honneur. C’est inacceptable que nous essuyons, à chaque, fois de telle honte sur la scène internationale.
Sous d’autres cieux, mêmes les membres des Cours de cassation ont chacun un passeport diplomatique. Naturellement, une Cour suprême est au-dessus d’une Cour de cassation.
Dans les institutions maliennes qui ont le même niveau que la Cour suprême, chaque membre a son passeport diplomatique. Il n’y a pas aujourd’hui de député à l’Assemblée nationale qui n’a pas son passeport diplomatique. Il n’y a pas un seul ministre qui n’a pas aussi son passeport. Mais, ces gens, du point de vue rang, ne viennent pas avant les magistrats de la Cour suprême. De tel traitement ne doit pas être encouragé dans un Etat respectueux des principes de séparation de pouvoir. On a aussi demandé des passeports de service pour les autres magistrats. C’est de droit. Quand un magistrat Malien est tout de suite invité à une rencontre internationale dans un pays européen, il ne pourra pas y participer. Le temps de remplir les formalités pour le visa, il serait déjà en retard. Parce qu’on ne peut pas faire de note verbale au niveau du ministère des affaires étrangère avec un passeport ordinaire. C’est la raison pour laquelle nous avons demandé un passeport de service pour tous les magistrats. On demande ces passeports pour certaines commodités, pour éviter des situations de désagrément.
Nos revendications n’ont pas concerné que les aspects d’argent. Nous avons aussi demandé que le conseil supérieur de la magistrature, qui est l’organe de veille, soit revu. Mais, ça n’a pas fait l’objet d’accord. Alors que c’est un organe qui permet d’assurer la discipline des magistrats. »
Quelle est la position du gouvernement? Selon le ministre de la justice, Mamadou Ismaël Konaté, le gouvernement du Mali est pris dans une situation où des exigences s’imposent à lui. La première exigence est d’évaluer la demande des magistrats au regard de leur situation stricto sensu. Deuxièmement, c’est de prendre en compte la situation des magistrats au regard de leur demande par rapport à la situation générale des autres personnels de la fonction publique. Troisièmement, des limites et des obligations budgétaires qui ne permettent pas aujourd’hui de prendre en charge une demande aussi importante que celle exprimée par les magistrats.
« Aucune offre n’est possible si on ne se réunit pas, si les bases ne sont pas objectives », affirme-t-il. Les syndicats des magistrats réclament 650% d’augmentation de salaires, 400% d’augmentation d’indemnités et 300% d’augmentation de primes, à en croire le ministre Konaté. Avec une telle incidence sur le budget national, poursuit-il, « il faut simplement qu’au-delà, d’autres fonctionnaires peuvent demander la même chose. La responsabilité de l’Etat est quand même de tenir le cordon de la bourse et d’être juste vis-à-vis de l’ensemble de catégories de personnels y compris les magistrats ». Cependant, Konaté reconnait que l’augmentation aujourd’hui de salaires des magistrats est une demande légitime. Aussi, rappelle-t-il les magistrats que leurs demandes ont besoin d’être discutées, évaluées, appréciées objectivement. « Ce n’est pas en restant loin des juridictions, des palais de justice que l’on pourrait le faire ».
Qu’envisage le SAM au cas où le gouvernement ne cèderait pas? Pour le président du SAM, le gouvernement ne peut rester sur sa position, « parce que nous allons utiliser tous les moyens, aussi bien à l’interne que sur le plan international. D’ailleurs, nous sommes en train de préparer une résolution contre le gouvernement du Mali par rapport à sa violation totale des dispositions constitutionnelles, par rapport à son non-respect des engagements internationaux et sur l’indépendance du pouvoir judiciaire. Le gouvernement ne peut pas signer au plan international des engagements et refuser de les honorer. Cela est inacceptable. Ce qui est sûr, nous allons nous trouver devant la scène internationale, si le gouvernement ne devenait pas objectif dans le traitement de nos revendications. Nous avons avoir les arguments, les moyens intellectuels et juridiques pour faire fléchir la position inacceptable du gouvernement ».
Le syndicat des magistrats, depuis le déclenchement de cette grève, a déjà rencontré plusieurs personnalités, dont le président de l’Union pour la République et la démocratie (URD), Soumaïla Cissé. La démarche du chef de file de l’opposition visait à mutualiser les connaissances sur la crise que traverse la justice malienne et qui frappe les justiciables. «Au-delà des positions partisanes, nous avons tous intérêt à ce que la justice fonctionne. La justice étant le fondement de la démocratie, nous ne pouvons pas rester indifférents. C’est pourquoi nous sommes donc venus en délégation pour nous familiariser avec les doléances des magistrats afin de trouver une solution, pas pour le gouvernement, mais pour le Mali», a déclaré Soumaïla Cissé. Et de poursuivre : «Je crois qu’une démocratie ne peut pas se construire sans une justice indépendante financièrement et dans ses décisions. Le gouvernement se refuse au dialogue, et si nous avons la justice comme épine, il n’y a plus moyen d’avancer. Je pense qu’on est arrivé au mur et nous nous devons de réagir».
Bien que l’URD ait tendu la main au SAM, ce parti politique a cependant demandé une copie des revendications pour mieux les étudier. En tant que cadres et responsables de ce pays, l’honorable Cissé et sa délégation veulent déterminer ce qui est dans la possibilité de l’Etat du Mali conformément aux doléances du syndicat autonome de la magistrature. Mais ils restent convaincus que le Mali a besoin d’une justice crédible.

Salif Diallo