Le jour où la couleur de la peau n’aura pas plus d’importance que la couleur des vêtements

En France, avant ces «minorités visibles», il y a eu de nombreuses vagues d’immigration. Les Italiens, les Russes, les Polonais, les Espagnols, les Portugais, pour ne citer qu’eux, sont arrivés en France, eux aussi dans l’espoir d’une vie meilleure. Il a fallu une, voire deux générations pour qu’ils n’entendent plus les sobriquets dont beaucoup les affublaient. Et pourtant, à première vue, ceux qui les croisaient ne pouvaient pas deviner qu’ils venaient d’ailleurs, puisqu’ils avaient tous la peau blanche. Aujourd’hui, seuls les patronymes que portent leurs descendants laissent deviner leur origine familiale.

Outre ces «travailleurs étrangers», de très nombreux provinciaux quittaient leurs villages pour «monter à la capitale» en quête, eux aussi, d’une vie meilleure. Ils quittaient la Provence, l’Auvergne, la Bretagne, le Sud-ouest, leurs plaines ou leurs montagnes, ils s’exilaient, le cœur gros. C’était à leur accent, parfois à leur patois, que les Parisiens, «les gens du Nord», les reconnaissaient. Les Provinciaux ne rougissaient pas de cet accent, mais beaucoup cherchaient à le gommer pour se fondre dans la masse de la foule parisienne à «l’accent pointu».

Lassana Bathily, après son acte de bravoure lors des attentats de début janvier, a reçu la nationalité française. Lassana n’avait pas eu la vie facile avant. Après 3 ans de scolarité couronnés de succès, il avait échappé à une expulsion, obtenu une première régularisation et déposé un dossier de candidature à la naturalisation qui était toujours en attente, début janvier. Être Français ne lui fait pas perdre sa nationalité malienne, cela va juste indéniablement lui faciliter la vie. Cependant, d’ici quelques semaines, quelques mois, quand les gens auront oublié son visage, il retombera dans l’anonymat de la foule et sera à nouveau regardé, malgré son passeport français, comme faisant partie des «minorités visibles», à cause de la couleur de sa peau.

Ce «délit de faciès» se résume à un traitement défavorable infligé à ceux dont l’apparence physique, voire les prénoms et patronymes les freinent dans leur vie professionnelle et parfois dans leur quotidien. La seconde génération, ceux que les autorités qualifient de «issus de l’immigration» vivent cette discrimination encore plus mal, car ils sont nés en France et tolèrent très mal qu’on leur demande souvent d’où ils viennent, comment c’est «chez eux», eux qui ne vont au pays de leurs parents qu’à l’occasion de rares vacances. Quand ils s’y rendent d’ailleurs, les choses ne sont pas toujours simples pour eux. Ils n’y sont pas vus comme des locaux, ils y sont regardés comme des Français, donc des étrangers. C’est là que réside toute la difficulté, ils sont vus comme des gens d’ailleurs dans le pays où ils sont nés, mais aussi comme des gens d’ailleurs dans le pays dont leurs parents sont originaires.

Beaucoup transforment cette double difficulté en force pour réussir leur vie professionnelle, mais peu nieront qu’il leur faut développer une combativité plus grande que leurs camarades de promotion à peau blanche. Ce constat rappellera à tous ceux qui ont vu la vidéo de la fillette blanche vivant au Mali, et s’exprimant en bamanan ; que ce que vivent les «minorités visibles» en France est aussi valable au Mali. Qui n’a pas été stupéfait d’entendre cette petite fille parfaitement parler une langue malienne et même expliquer qu’elle s’appelle Keïta ?  Elle, aussi, est victime de ce délit de faciès.

Où que nous vivions et quelle que soit l’origine de nos parents, nous sommes tous les acteurs du long combat qui nous mènera vers une concorde universelle. Nous sommes tous les acteurs du combat humain qui fera, qu’un jour, la couleur de la peau n’aura pas plus d’importance que la couleur des vêtements.

Françoise WASSERVOGEL
Source: Le Reporter 2015-02-03 19:44:11