La crise en Ukraine creuse le fossé entre Russes et Occidentaux

La Russie affirme envoyer un convoi humanitaire pour venir en aide aux populations démunies de l’Est de l’Ukraine. Le convoi fait route vers la frontière ukrainienne. A Kiev, les autorités sont sur le qui-vive. Le gouvernement ukrainien redoute une intervention militaire déguisée de la Russie. Plusieurs capitales occidentales ont, elles aussi exprimé leurs craintes à propos de ce convoi. L’affaire illustre une nouvelle fois, le fossé qui est en train de se creuser entre la Russie et les pays occidentaux.

Si l’aide russe provoque autant de réticences, c’est que Moscou joue un rôle-clé dans cette crise ukrainienne : des chars, de l’artillerie lourde, des combattants continuent de transiter par la frontière russe pour alimenter la rébellion. Y a-t-il dans ce contexte des raisons de s’inquiéter d’une intervention militaire russe ?

« Le risque est réel. La Russie essaye d’une certaine manière de pousser Kiev à la faute, car sous couvert d’un envoi humanitaire, c’est bien une nouvelle forme d’intervention directe que cherche Moscou », explique Bruno Tertrais, maître de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique, estimant que « la Russie ne peut se permettre de voir l’Ukraine reconquérir sa souveraineté sur l’ensemble de son territoire, sans réagir, à l’exception bien-sûr de la Crimée ».

Le convoi humanitaire russe, le 12 août, vers Voronej.REUTERS/Nikita Paukov

Violation du droit international

Les Etats-Unis et l’Union européenne ont prévenu la Russie que toute intervention, même humanitaire, dans l’est de l’Ukraine sans le consentement de Kiev serait « inacceptable » et constituerait une violation du droit international. La marge de manœuvre des Occidentaux est limitée. Mais, si l’usage de la force militaire n’est pas sur la table, l’escalade dans les sanctions n’est sans doute pas terminée, estime Jean-Sylvestre Mongrenier, chercheur à l’Institut français de géopolitique et chercheur associé à l’Institut Thomas More. « C’est une véritable épreuve de force », explique-t-il. « L’affaire ukrainienne doit être perçue comme un véritable point tournant dans les relations entre la Russie et l’Occident, ce qui signifie que l’on est au seuil de profondes révisions, des perceptions, des représentations. Les attitudes réciproques sont en train de changer, ce qui aura des retombées dommageables sur les relations économiques ».

La semaine dernière, Moscou a pris des mesures de rétorsion vis-à-vis des pays qui ont adopté des sanctions envers des personnalités ou des entités russes, en interdisant ou limitant les importations de produits agroalimentaires. Ce nouvel embargo aura des conséquences pour les exportateurs occidentaux, mais risque aussi de peser sur l’économie russe, qui importe 35% de sa consommation alimentaire, dont 10% de l’Union européenne.

« Pas de bonne option alternative »

« La Russie n’a pas de bonne option alternative », estime Bruno Tertrais. « On ne peut pas du jour au lendemain se tourner vers d’autres pays, d’autres continents, pour assurer ses approvisionnements alimentaires. Il est évident que la Russie souhaite se dégager de sa dépendance vis-à-vis de l’Europe, mais ça ne pourra pas se faire du jour au lendemain », analyse le chercheur, qui pronostique un retour des importations européennes en Russie d’ici quelques mois.

Pour autant, il n’y a pas lieu d’attendre une amélioration rapide des relations entre Vladimir Poutine et les Occidentaux, estime Jean-Sylvestre Mongrenier. La phase de refroidissement semble être partie pour durer : « Si on raisonne à un niveau plus global, ce qui me marque, c’est la détermination de Poutine. Pendant longtemps, on a voulu voir en lui un partenaire naturel de l’Occident, certes un peu rugueux, mais ce qui est évident aujourd’hui c’est qu’il n’est pas sur cette ligne. Il pense véritablement en termes de reconstitution d’une force d’opposition à l’Occident et il pose la Russie comme un Etat perturbateur, qui veut complètement réviser l’ordre des choses en Europe. »

Le président russe ambitionne de mettre en place dès l’an prochain une union économique eurasienne, vaste espace commercial que Vladimir Poutine rêve de voir concurrencer les Etats-Unis, l’Union européenne et la Chine. Selon ses vœux, l’Ukraine aurait dû y être une pièce maitresse.

RFI