IBK FACE A LA RUE   La colère des Maliens mérite une réponse appropriée et convaincante du pouvoir  

Un nouveau meeting est annoncé pour le vendredi 19 juin 2020. Et, pour de nombreux observateurs, consultants et chroniqueurs politiques, cette colère exprimée par les Maliens mérite «une réponse appropriée et convaincante du pouvoir». Et cela d’autant plus qu’elle traduit un malaise politique profond aux lendemains incertains pour le régime en place.

 

Des dizaines de milliers de Maliens ont répondu, le 5 juin dernier, à l’appel du Front pour la Sauvegarde de la Démocratie (FSD), d’Espoir Mali Koura (EMK) et de la Coordination des mouvements, associations et sympathisants de l’Imam Mahmoud Dicko (CMAS) pour dénoncer la «mauvaise gouvernance» reprochée au régime du président Ibrahim Boubacar Kéita. Une démonstration de force qui a abouti au Mouvement du 5 juin-Rassemblement des forces patriotiques (M5-RFP) dont les rangs ne cessent de grossir avec de vrais patriotes et aussi des opportunistes de tous bords.

 

«Toute cette grande mobilisation trouve son explication dans le ras-le-bol des Maliens qui ont trop encaissé. Et cela ne pouvait plus continuer», a analysé M. Sanoussi Bamani, professeur d’université.

«La réussite de la mobilisation du 5 juin est liée à un cocktail de mécontentement dans le domaine sociopolitique. Et la honteuse réaction de la cour constitutionnelle dans la validation des résultats des législatives a été l’erreur de trop. C’est pourquoi les initiateurs de ce mouvement ont surtout bénéficié de cette foule qui ne se reconnait pourtant pas en eux», a commenté Oumar Baba Traoré,  jeune activiste/influenceur

«Au-delà de la personne de l’imam Mahmoud Dicko et de ses alliés de circonstance, il faut retenir que le peuple en a marre d’Ibrahim Boubacar Kéita et de son clan. C’est pourquoi, presqu’à l’unanimité, toutes les couches souhaitent sa démission», a souligné M. Moriba Dabo dit Maurice, chroniqueur politique indépendant.

Le député Moussa Mara ne voit pas en cette grande mobilisation «une acceptation d’un quelconque leadership de qui que ce soit. C’est juste une manifestation d’un ras le bol de certaines catégories de nos compatriotes face à l’impunité, la gabegie et surtout l’arrogance d’une certaine classe de nouveaux riches imbus de bien mal acquis». Et d’ajouter, «la façon dont les résultats des dernières élections, y compris la présidentielle de 2018, ont été gérées a fini de convaincre les plus hésitants que la gouvernance du pays était aveuglée par des perspectives plus qu’incertaines».

 

La démission d’IBK ne sera pas une panacée

Si nos interlocuteurs pensent que le président Kéita brille par son incompétence à gérer le pays comme ses compatriotes l’attendent de lui, ils reconnaissent aussi que sa démission ne doit pas être considérée comme une panacée.

«Le président actuel a plutôt cru qu’il peut jouir, avec les siens, du pouvoir comme il veut. Le clan a visiblement oublié que, même en monarchie, il y a des règles minimum à observer», a déploré l’honorable Mara. «La démission de IBK ne doit pas être négociable. Si jamais nous le laissons au pouvoir jusqu’en 2023, le pouvoir tombera dans la main d’un clan. Son départ est donc l’unique solution pour sauver notre pays», a martelé M. Dabo.

«En lieu et place de la démission d’IBK, je préfère qu’il cède la totalité de la gestion du pays à un Premier ministre consensuel qui va diriger une équipe qui se chargera d’organiser de nouvelles législatives sous la houlette d’une nouvelle Cour constitutionnelle», a souhaité Oumar Baba. Pour Dr Abdoul Kader Dicko, professeur de sociologie dans une université privée de Bamako, «les Maliens ont besoin de propositions plus concrètes susceptibles de constituer une rupture avec les anciennes pratiques et d’offrir des perspectives d’avenir plus porteuses».

Et pour lui, cela passe par la dissolution de l’Assemblée nationale, qui «ne jouit d’aucune légitimité aux yeux des Maliens», et le renouvellement des membres de la Cour Constitutionnelle.  Et, a-t-il ajouté, «les textes régissant le processus électoral doivent être revus sans considération de posture politique afin de mettre le pays à l’abri de la force des muscles des différentes composantes sociales».

«L’excès et l’arrogance sont mauvais conseillers en politique. On n’a pas besoin d’oracles pour dire que la Cour constitutionnelle et l’Assemblée nationale sont à l’origine de l’actuelle crise politique. Leur dissolution permettra d’envisager le nouveau sort politique du pays et de la nation», a souhaité sur Twitter Mamadou Ismaïla Konaté, avocat et ancien ministre de la Justice d’IBK.

Mais pour M. Sidi Coulibaly, chroniqueur politique et spécialiste en communication institutionnelle, «la dissolution du parlement et de la Cour constitutionnelle est une proposition visant à sauver un homme, mais pas le Mali. Aucune demi-mesure ne sauvera notre pays. Au contraire, elle va retarder la solution finale qui sera forcement brutale, plus ou moins violente selon les situations. Penser autrement serait continuer dans le suicide collectif».

 

Il faut nettoyer la scène politique et non redistribuer les cartes pour préserver le système

«L’erreur à ne pas commettre, c’est de stabiliser le système et procéder à la redistribution des cartes. La formule du partage du pouvoir politique est une mesure à court terme qui, au mieux calmera les appétits politiques des formations politiques», a prévenu Me Abdourahamane Ben Mamata Touré, avocat, Docteur en droit social, dans une Tribune publiée sur les réseaux sociaux. Et il a rappelé que cette méthode a été implémentée après le départ de Soumeylou Boubèye Maïga de la Primature à travers l’accord politique de gouvernance. «Arriver à la reconstruction sans déconstitutionnaliser» est la proposition de sortie de crise préconisée par Me Touré dans sa tribune largement partagée sur les réseaux sociaux.

Pour Moussa Mara, «IBK ou pas, ce pays a besoin d’être reformé. Et ce n’est pas un gouvernement d’union, une nouvelle assemblée… qui résoudront le problème si la situation n’est pas bien cernée».

«Aujourd’hui s’il y a nettoyage à faire, il s’agira de toute la classe politique, toute la vie associative, syndicale aussi, toute la vie religieuse, l’école, la santé, la culture pour une résurrection encore possible», a déclaré l’Union nationale des travailleurs du Mali (UNTM) dans un communiqué publié le 4 juin dernier. Une manière pour la puissante centrale syndicale de renvoyer le régime et ses opposants dos-à-dos.

Dans les rues de Bamako, le Malien lambda pense que tant que «la classe politique actuelle survivra», elle ne pourra que «perpétuer» les mêmes mauvaises pratiques qui ont conduit le pays dans l’enlisement actuel et qui le poussent progressivement vers le chaos.

«Si changement il y aura, il doit se faire sans ceux là qui ont aidé à créer le problème. Sinon, nous serons dans un éternel recommencement», craint Sidi Diourté, un enseignant à la retraite. Un avis largement partagé par nos interlocuteurs. Si changement il doit y avoir, pense Fousseyni Camara, il doit donner la priorité à l’Ecole malienne, à la Santé, au chômage des jeune, à la sécurisation des Maliens et de leurs biens… aux dépens de la mise en œuvre de l’accord pour la paix et la réconciliation qui est celle fixée par la communauté internationale et qui n’augure rien de bon pour ce pays en train de tanguer dangereusement comme un navire en pleine tempête !

Moussa Bolly

(Avec Xinhua)