Car on ne peut, à moins d’avoir fait le choix gravissime de l’hécatombe, bombarder une ville d’un million d’habitants comme on pilonne des installations pétrolifères défendues par quelques poignées d’ados formés à la hussarde, volontaires certes, mais tout de même de la viande fraîche face à un lion blessé. Il est vrai que s’exprimant devant la presse occidentale, un nombre impressionnant de Benghazis se sont dits prêts à mourir pour la défense de leur ville et du nouvel acquis de la liberté. Ils l’ont dit, le retour au statu quo est exclu. Ils l’ont dit, désormais entre la mort et Khadafi, ils choisiront la mort. Beaucoup d’entre eux tiendront parole. La ville aura ses héros.
Mais, même quand on a le virus de l’irrédentisme comme à Benghazi, on ne peut ignorer longtemps le pouvoir dissuasif du canon. Donc, pour la place forte de l’anti-khadafisme, le jasmin n’aura pas forcément le parfum de délivrance dont il a embaumé la Tunisie et l’Egypte. Il faut plutôt craindre qu’il ne charrie un air de défaite et de sinistre.
Ceci dit, le plus grand défi pour le Guide ne sera pas de reconquérir le territoire de Benghazi mais de gagner le cœur des Benghazis. Plus les combats seront sanglants, moins il le pourra. La Libye ne sera peut-être plus la même et c’est cette mutation que Mouhamar Khadafi devra intégrer. Son pouvoir qui semblait d’airain a vacillé en trois semaines. Lui-même a douté et tremblé avant de se ressaisir. La cohésion du groupe s’est lézardée. Et dans le feu de l’action, le joker Seif El Islam s’est brûlé. En conclusion, il faut enterrer, avec les victimes de la révolte et Sarkozy avec, si les allégations libyennes s’avérant, l’idée de toute transmission biologique du pouvoir au sein des Khadafi.
Lesquels perdent en même temps leur certificat de fréquentabilité internationale chèrement payée depuis 2003. Ils ont, il est vrai, le charme de la naphtaline. Et plus que l’essence de jasmin, c’est un argument de poids en ce monde dirigé par les capitaines d’industrie.
Adam Thiam
Le Républicain 17/03/2011
