DROITS HUMAINS  : Comment l’Occident est parvenu à nous faire mépriser nos propres valeurs.

«Lorsque des centaines de milliers de jeunes africains meurent dans la méditerranée, dans les guerres ou lors des famines… cela est un fait divers. Mais, quand un Occidental meurt quelque part dans le monde, c’est une tragédie. Autrement, la vie d’un Occidental vaut- elle mieux que celle d’un Africain» ? C’est le cri de guerre d’une jeune influenceuse sénégalaise pour sonner la révolte de sa génération afin de permettre au continent de reprendre son destin en main. Et pourtant cette question ne devait pas se poser​​ si  la Déclaration universelle des droits de l’Homme (DUDH) était équitablement appliquée puisqu’elle nous enseigne que «tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits».

La notion d’universalité est dans la pratique un leurre puisque cette déclaration est un condensé des principes occidentaux appliqués  à l’humanité sous couvert d’une déclaration universelle. Et nos cultures, nos pratiques, nos valeurs, nos convictions, nos opinions… sont évaluées et classifiées en fonction de celle-ci brandie comme un miroir dans lequel chacun doit se reconnaître. Et si tel n’est pas le cas, on est vite taxé de «barbares», de «sauvages», de «dictateurs»…

S’agissant de l’Afrique, cette déclaration est dans la logique du lavage de cerveau amorcé avec la colonisation. Nous, les Africains,  nous sommes des sauvages qui ne sont pas assez entrés dans l’histoire. Avant la colonisation, nous n’avions ni civilisation, ni valeurs, ni principes moraux… Et pourtant, la «Charte de Kurukan Fuga» (Charte du Manden ou Manden Kalikan) est plus ancienne que la Déclaration universelle des Droits de l’Homme (DUDH adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies le 10 décembre 1948 à Paris) qui est devenue un miroir dans lequel tous doivent se regarder pour mieux apprécier sa situation ; l’unique référence pour juger si un peuple est civilisé ou sauvage.

Ce texte législatif (Charte de Kurukan Fuga) a régi l’espace mandingue après la victoire de Soundiata Kéita et de ses alliés sur Soumaoro Kanté, en 1236. La Charte de Kurukan Fugan est un ensemble de principes, d’énoncés structurant les Mandékaw (populations du Mandé) en vue de fonder «une paix durable». Elle est d’ailleurs considérée comme l’une des plus anciennes références concernant les droits fondamentaux inhérents à la personne humaine. En effet, on y trouve les notions de respect de la vie humaine, de droit à la vie, les principes d’égalité et de non-discrimination, de liberté individuelle et collective, de justice, d’équité et de solidarité. Comme la DUDH, à travers son préambule et 17 articles, elle définit des droits ; elle reconnaît l’égalité devant la loi et la justice…

Aucun actif à l’échelle universelle des valeurs

Selon feu Djibril Tamsir Niane (né le 9 janvier 1932 à Conakry, en Guinée et mort le 8 mars 2021 à Dakar, au Sénégal), cette Charte est «un document inestimable qui exprime avec force, la volonté de statuer sur le devenir de la société avec le souci très souligné de fonder des règles de vie commune et surtout d’établir entre les membres d’une même famille, entre les clans, entente et convivialité»… Il se réfère à des manières d’être, d’agir et de penser que des personnes ou des groupes sociaux reconnaissent comme idéales. Les puissances impériales ont pourtant agi de sorte à nous faire croire que, à l’échelle des valeurs, nous n’avons absolument rien à notre actif.

«L’idéologie civilisatrice du 19e siècle, par ses constructions de pensée négatives sur l’Afrique et par l’échelle des valeurs qu’elle a établie entre les sociétés humaines, a abouti à l’infériorisation du Noir et à son rejet au faubourg de l’histoire», a déploré Magloire Somé dans «Les cultures africaines à l’épreuve de la colonisation». Et de rappeler, «l’Afrique était présentée comme un monde de mystères, d’hostilité et de peur avec des traits culturels choquants comme les coutumes sanglantes et le sacrifice humain. L’idéologie civilisatrice a même nié l’existence de cultures en Afrique et a établi une hiérarchie des valeurs dans laquelle celles de l’Afrique occupent le bas de l’échelle».

Au sortir de la seconde guerre mondiale, ces «considérations négatives» ont conduit à une réaction des élites africaines décidées à réhabiliter les cultures et la personnalité négro-africaines. Mais, a-t-il souligné, les Africains sont entrés dans un processus de mondialisation de l’histoire où ils jouent un rôle passif dans les échanges économiques et culturels. «Les canons des institutions européennes s’imposent comme un système universel en dehors duquel il devient impossible d’évoluer», a expliqué M. Somé.

Dominé parce que privé de son identité culturelle

Déraciné, l’Africain s’est figé dans un dualisme culturel handicapant. «Le mythe de l’Occident, de sa puissance technologique et de son modèle économique, véhiculé sciemment par l’école, a relégué au second plan les  valeurs authentiques définissant l’originalité des cultures locales. Il s’agit alors pour l’Afrique de se retrouver», a souligné Augusta Conchiglia dans sa critique de «L’impact de la culture occidentale sur les cultures africaines» d’Essé Amouzou (L’Harmattan, Paris, 2008, 190 pages). D’où la nécessité pour l’Afrique de se retrouver afin de s’extraire de cette situation handicapante.

Sinon nous savons que la meilleure façon de dominer un homme, un peuple, c’est de lui prendre son identité culturelle, ses valeurs sociétales. Réduit â l’état de chauve-souris, donc sans repère ni référence, il​ ​devient vulnérable à toutes manipulations possibles. L’Occident nous a imposé ses normes et ses tares sous diverses formes brandies par nous-mêmes comme des revendications : droits de l’homme, droits humains, égalité homme-femme, émancipation de la femme, équité genre comme normes de développement…

Et aujourd’hui, il veut même imposer homosexualité dans nos manuels didactiques. La naïveté, c’est de croire que cela est promu dans notre intérêt, pour notre bonheur. Mais en réalité, ce sont des instruments entre les mains des ONG financées pas de puissants lobbies ayant la main mise sur nos ressources et nos richesses. C’est un moyen de pression dont-ils disposent pour toujours pousser nos dirigeants dans le sens de leurs intérêts. Sinon ce n’est pas pour le développement de nos pays ni pour le bonheur de la Femme ou de l’Enfant africains. C’est juste une stratégie pour désarmer nos pays par la pression politique et diplomatique voire économique, pour nous maintenir sous leur joug.

Loin de nous une volonté de cautionner une quelconque atteinte à l’honneur et à la dignité d’une personne humaine ou de nier la sacralité de la vie humaine d’ailleurs reconnue par nos us et coutumes ainsi que par nos religions. Mais le bon sens doit nous conduire à nous poser des questions.  Pour quel intérêt les Occidentaux se préoccupent-ils plus de notre sort et de notre bien-être  alors qu’ils utilisent toutes les stratégies pour nous appauvrir économiquement et culturellement, donc nous maintenir dans une humiliante précarité ? Manger à sa faim, vivre dans la décence et la dignité… ne sont-ils pas des droits humains ? Et pourtant, ce sont ces mêmes occidentaux qui nous appauvrissent.

A nous de comprendre que nous devons faire le deuil de nos ambitions de développement et d’émancipation si nous restons résignés sous le joug impérialiste. Il est donc temps de comprendre qu’un autre destin est possible pour notre continent si nous nous «réveillons à temps pour mener notre révolution». Tout comme il est aussi nécessaire qu’il y a un prix à payer pour tous les choix que nous puissions faire. «Il n’y pas de révolution sans prise de conscience, sans détermination et sans sacrifice… Les combats se gagnent ou se perdent, mais encore faudrait-il qu’ils soient menés», a récemment martelé l’influenceuse sénégalaise Khadija M. Diouf dans son appel à la révolution, une vidéo virale.

Un appel à exécuter comme la dernière volonté du regretté Patrice Lumumba qui, dans sa «Dernière lettre à sa femme» n’a pas caché sa conviction que «l’Afrique écrira sa propre histoire et elle sera, au nord et au sud du Sahara, une histoire de gloire et de dignité». Pour ce faire, nous devons refuser de nous regarder et de nous juger à travers le miroir imposé par ceux qui ont tout intérêt à continuer à puiser dans nos pays les richesses nourrissant leur puissance.

Moussa Bolly