DE VOUS A MOI: NOS PRESIDENTS FACE A LA FRANCE

adam thiam

Un crime pendable dans l’Afrique d’alors où les proconsuls se bousculaient au portail de l’Elysée, validés ou recalés par Foccart et ses réseaux ! Kennedy, président d’un pays sans passé colonial avait une sympathie qu’il ne cachait pas pour Modibo Keita. La reine d’Angleterre a donné à Air Mali son premier avion et l’Allemagne Fédérale couvrait le Mali de sa bienveillance. La voix du Mali était respectée jusque dans les enceintes de l’Onu où le discours d’un certain Ousmane Ba a fait anthologie. Mais le Mali était tenu à la gorge et savait Paris à la manœuvre pour l’asphyxier économiquement. Sa résilience était soutenue par la solidarité du bloc de l’Est mais le franc malien devait affronter la toute-puissance de la France. Le 19 novembre 1968 allait imprimer une autre marche dans la relation franco-malienne.

MOUSSA TRAORE PREND LE POUVOIR, AVEC DE JEUNES OFFICIERS. A l’époque, l’élite intellectuelle très à gauche du Mali a vu derrière ce putsch la main de l’impérialisme français. Les citoyens-lambda ne se préoccupent guère de doctrine : ce sont des foules en liesse qui saluent le coup des jeunes officiers et l’explication réside dans les privations qu’elles subissaient, au jour le jour, de la part d’un régime en pleine auto-radicalisation communiste. Moussa Traoré qui gouverne, de manière inégale, pendant vingt-trois ans a t-il jamais été l’homme de la France ? Disons qu’avec Paris, les relations sont au beau fixe pendant de nombreuses années où le trésor français eut même à payer les salaires maliens. Moussa Traoré s’est rendu en France plus d’une fois. Il y eut aussi la visite historique de Valery Giscard d’Estaing au Mali en 1977. Pourtant avec François Mitterrand arrivé au pouvoir en 1981, l’embellie sera de courte durée. Les monolithismes approchent leur fin en 1989 et le discours de Mitterrand devant les chefs d’Etat africains au sommet de la Baule est tout sauf un enchantement pour Moussa Traoré qui sera renversé le 26 mars 1991 suite à une insurrection populaire pour le pluralisme conclue par le putsch d’ATT. Lequel dirigera une transition saluée dans le monde. La visite de d’Estaing fut suivie en 1986 de celle de Mitterand.

ALPHA OUMAR KONARE, VAINQUEUR DE LA PREMIERE ELECTION DEMOCRATIQUE du Mali en 1992 chemine, on peut dire sans heurts, avec la gauche française alors au pouvoir. Mais Chirac, le gaulliste arrive au pouvoir en 1995 et une de ses premières opérations africaines fut de réunir des chefs d’Etat francophones de l’Afrique de l’Ouest à… Dakar. Konaré manque à l’appel après avoir fait savoir qu’il refusait de répondre à ce qu’il considérait comme une convocation. S’il n’y eut jamais d’esclandre publique après entre le Mali et la France et si Foccart s’est empressé de révéler que Konaré par la suite a envoyé une mission expliquer sa position, le président malien a payé sans doute plus d’une fois son audace. On le sait, pour Chirac, Bamako n’est pas bon pour abriter le sommet France-Afrique. Tant que Konaré était là ? C’est tout comme. Le grand et vrai dégel entre les deux dirigeants surviendra en 2005 où président de la Commission de l’Union africaine à Paris eut droit à ce qui était ostensiblement une visite d’Etat ponctuée de fortes marques de sympathies de la part du président Chirac.

ATT, LA LEGENDE ELUE PRESIDENT EN 2002 NE MET PAS DE TEMPS. C’est deux mois après son investiture qu’il a droit à une visite d’Etat à Paris. Les petits plats sont mis dans les grands. Chirac sent l’Afrique et le fait savoir. Le Mali abrite le sommet Afrique-France et Chirac va à Tombouctou, Bandiagara et prend ses aises à Bamako. Entre Paris et Bamako, la lune de miel ne tardera pas à tourner en attraction fatale quand Sarkozy arrive au pouvoir et quand le Mali devient progressivement, un entrepôt à ciel ouvert pour otages occidentaux avec une majorité de Français. Et puis, il y a la Libye : la mauvaise manière de régler un vrai problème Kadhafi et l’axe Paris-Mnla dont les Maliens sont convaincus. Quand Att est renversé le 22 mars 2012, on ne se presse pas pour voir la main de Paris derrière la junte. Mais personne ne sait si devant son miroir Sarkozy s’est frotté les mains.

DIONCOUNDA TRAORE NE SERRERA PAS CES MAINS, EN TOUT CAS. En tant que président de l’Assemblée nationale qui prend les commandes du Mali en avril 2012, le professeur de maths côtoiera plutôt François Hollande élu en mai 2012. Le Mali avait alors perdu toutes les régions du Nord sous l’assaut de forces jihadistes et rebelles, notamment le Mnla. En janvier 2013, Iyad Ag Ali de Ansardine pousse le bouchon jusqu’à Konna qu’il prend mais juste pour quelques heures. Par un de ces accélérations d’Histoire qui ne s’expliquent pas, la France vient au secours du Mali. L’Opération Serval déclenchée le 11 janvier 2013 avec l’armée malienne, libère les régions de Mopti, Gao et Tombouctou mais fait un deal pour Kidal qui, les mois passant, donneront l’impression que le sauveur du Mali pourrait aussi être son diviseur. Le désenchantement n’a d’égal que l’hystérie populaire qui accueillit Hollande le 2 février 2013 à Tombouctou et à Bamako où le président français dira que c’était le plus beau jour de sa vie.

IBK TRIOMPHALEMENT ELU EN ETE 2013 offrira également à son ami de l’Internationale socialiste un autre beau jour, ce 19 septembre où une dizaine de leaders du monde sont réunis au stade du 26 mars pour célébrer le retour du Mali dans le concert des nations. Les échanges d’amabilités entre les deux présidents, et il faut le dire, le tropisme hexagonal du nouveau chef d’Etat malien qui en sait plus que des rayons de l’Histoire politique française donnent à penser à une indéfectible embellie. Les mois passent, les groupes rebelles signataires de l’accord de Ouaga qui a permis l’élection présidentielle piaffent d’impatience. Progressivement, l’on découvre que le président malien est dans la logique de rouvrir les discussions et les négociations en vue d’un nouvel accord. Les accrocs avec la France sont nombreux, passant par des interviews ou des déclarations très nationalistes du président malien.

Avec Paris, les tranchées sont grandement ouvertes. Jusqu’à la signature de l’accord par tous les groupes rebelles sous l’égide d’un Ibrahim Boubacar Keita rattrapé par la realpolitik. Il aura tout subi : les attaques de la presse hexagonale, les accusations de la Cma, les récriminations de la Plateforme. Les nouvelles du Nord ne sont pas consternantes, sauf côtés jihadistes.

Plus d’une fois, IBK a dit que le bateau Mali tanguera mais ne chavirera pas. Mais face à lui, d’autres voix se demandent dans quel pays se réveillera t-on demain, à force de concessions. C’est une question posée à Paris aussi. Réponse donc dans quelques jours.

Adam Thiam

Source: Le Républicain-Mali 16/10/2015