Chronique du web : Les réseaux sociaux, ce défouloir inquiétant

 

S’il existe un outil public de mesure du dynamisme des réseaux sociaux en Afrique – pourquoi pas dans le monde –, celui-ci conclurait sans nul doute à l’hyperactivité débridante des maliens. Pourtant, il n’y a pas si longtemps, l’accès à une connexion internet dans notre pays relevait d’un privilège rare que peu de personnes, en dehors de l’Etat, de quelques grandes entreprises, des structures de recherche et d’une poignée d’ONG internationales, pouvait s’arroger. Depuis, la donne a littéralement changé avec l’arrivée de la téléphonie mobile et surtout l’implosion du smartphone. Il existe aujourd’hui mille et un terminaux qui permettent aux maliens d’être des Citoyens du monde pourvu qu’ils acquièrent les datas – à petit prix- qui autorisent leur frénésie communicationnelle. Et ils ne s’en privent pas, transformant ainsi le web malien en un fabuleux exutoire où le citoyen déverse sa bile, son stress, sa frustration ainsi qu’il donne libre cours à ses rêves, ses ambitions et ses projets les plus fous. Il y a comme un déplacement, un transfert qui s’opère du réel vers le virtuel qui fait que chaque utilisateur d’internet est devenu un activiste, militant d’une cause, un justicier, un polémiste, un pamphlétaire, etc.

Vous connaissez surement les noms et/ou sobriquets de ces nouvelles vedettes et, par souci de ne pas leur faire de la publicité, je ne vais pas les nommer. Ils sont aux Etats-Unis d’Amérique, au Canada, en France, en Allemagne, au Sénégal, en Afrique Centrale et, bien entendu, au Mali. Ils professent quotidiennement sur les réseaux sociaux et nous inondent de semi-vérités, de mensonges parfois grossiers, de professions de foi et étalent, à leur corps défendant, toute la profondeur de leur pitrerie et de leur niaiserie.  En somme, des amuseurs de galerie et autant de crapauds qui se prennent pour des vaches. A les écouter, on se demande s’ils ont encore des attaches au pays qu’ils pensent pourtant défendre contre les prédateurs, ou s’ils nourrissent le projet de revenir un jour à la maison. C’est connu, quand on est loin, on peut tout se permettre. Ceux-là n’ont aucune limite ; ils se prennent tellement au sérieux qu’ils se croiraient sur un piédestal. Ils se prennent pour des gourous, des messies, des devins… parfois ils croient être notre conscience collective. Ils ont la science infuse et savent ce qui est bon pour nous et ne l’est pas. Un ami à moi leur répondrait : « grand bien leur fasse ! ». En réalité, qu’ils soient de bonne foi ou non, ce sont des idéalistes complètement coupés de la réalité malienne, des illuminés, des niais et des naïfs qui voudraient se substituer aux Prophètes. Parfois, ils font preuve de fixation sur d’autres citoyens, les persécutent et versent littéralement dans la paranoïa. Et comme on le sait, dans ce petit monde pullulent des brigands sans foi ni loi, des escrocs, des maîtres chanteurs et des criminels qu’il convient de mettre au frais. Une deuxième catégorie d’animateurs – l’expression n’est pas du tout appropriée- des réseaux sociaux maliens, ce sont les artistes à commencer par les rappeurs, leurs fans, les « boucantiers » les frimeurs et d’autres inclassables qui s’échinent à exposer leur bonne fortune. Dans ce lot, les « clash » sont la norme et c’est à qui crierait le plus fort et drainerait le plus de soutien. Que de la débilité dont se rendent coupables de jeunes gens parfois issues de milieux sociaux pauvres et très défavorisés. Ils vivent sur une autre planète et s’accordent, de temps en temps, le privilège de venir nous visiter quand cela leur chante. Pour eux, la vie se limiterait à ce mano a mano d’une incroyable bêtise. Enfin, les politiques. A l’échelle d’une mandature, il y a les mécontents, les insatisfaits, les aigris et les revanchards. Tous ceux-ci se donnent rendez-vous sur les réseaux sociaux pour débiter leurs « vérités » et leurs prédictions catastrophistes s’ils ne déballent pas simplement sur la place publique ce qui relève strictement du secret d’Etat. A la veille d’une élection présidentielle, se disent-ils, il faut solder les comptes même quand on n’est pas sûr soi-même de récolter les dividendes de ce grand déballage. Ainsi vont les réseaux sociaux maliens où l’éthique et la morale sont les parents et où la performance se mesure à la taille de la bêtise. Peut-être que dans une des prochaines chroniques, je vous parlerais des prosélytes religieux et des conseillères matrimoniales dont l’audience vertigineuse grimpe proportionnellement à la liberté qu’elles prennent avec la retenue et l’influence de la culture de masse diffusée par les médias occidentaux.

Serge de MERIDIO