Benjamin Smith impose sa marque à Air France

Un conseil d’administration du groupe franco-néerlandais se tient ce mardi 19 février et pourrait examiner une évolution des relations entre les deux compagnies.

En interne, après les grandes grèves du printemps dernier, le climat social semble apaisé.

C’est une semaine de navigation délicate qui s’annonce pour Benjamin Smith, le commandant de bord aux manettes d’Air France-KLM depuis six mois. Cette fois, les nuages ne viendront sans doute pas du côté français du groupe où l’actualité sociale est pourtant riche. Les élections professionnelles ont débuté le 18 février pour se clore le 3 mars. Par ailleurs, les résultats d’un référendum sur un projet d’accord sur les salaires avec la direction, organisé par le SNPL, syndicat majoritaire des pilotes, devraient être connus ce mardi 19 février.

Le risque de secousses vient en fait d’Amsterdam et pourrait agiter le conseil d’administration du groupe franco-néerlandais qui se réunit aussi ce 19 février, veille de la publication des résultats financiers de l’année 2018. « Avec les grèves qui ont perturbé Air France en 2018 et qui ont fait perdre 330 millions d’euros à la compagnie, c’est encore la rentabilité de KLM qui devrait tirer le bilan vers le haut », estime une source interne.

Un vent de fronde souffle aux Pays-Bas. Pas moins de 25 000 salariés, sur 30 000 au total, ont signé une pétition adressée au siège du groupe franco-néerlandais. Une manifestation a aussi réuni un millier d’employés le 14 février. Autant de marques de soutien au PDG de KLM, Pieter Elbers, alors que des rumeurs prêtent au Canadien Benjamin Smith la volonté de s’opposer à la reconduction de son mandat qui prend fin en avril.

L’affaire a pris une dimension politique. Le ministre néerlandais de l’économie et son collègue chargé des infrastructures ont convoqué Benjamin Smith le 15 février pour soutenir la reconduction de Pieter Elbers.

Ce dernier est-il vraiment sur un siège éjectable ? En tout cas, ses relations avec Benjamin Smith semblent loin d’être au beau fixe. Alors que le PDG d’Air France-KLM veut renforcer les synergies et la coopération des deux compagnies, Pieter Elbers apparaît comme un partisan, et un artisan, de l’autonomie de KLM.

« Au rapprochement d’Air France et de KLM en 2004, il y a eu un début de synergies, indique un bon connaisseur du secteur. On a fait disparaître les doublons de lignes et étendu le réseau de 20 %. Mais les choses n’ont guère été plus loin. KLM a cultivé sa différence et a préservé son autonomie. »

Dans le carnet de bord de Benjamin Smith, renforcer les synergies et la coopération avec KLM apparaît comme l’une de ses priorités. Avec comme modèle des groupes comme IAG (British Airways, Iberia, Vueling, etc.) ou Lufthansa (Lufthansa, Swiss ou encore Austrian) dont la rentabilité est supérieure à Air France-KLM dans un secteur très concurrentiel. Selon plusieurs rumeurs, le PDG du groupe franco-néerlandais pourrait présenter à son conseil d’administration un plan précisant ce qui relèvera du siège ou des compagnies, en termes de décisions stratégiques et opérationnelles.

Une bonne partie du personnel d’Air France devrait sans doute être d’accord avec cette politique. Du côté français, de nombreuses sources internes à la compagnie, y compris syndicales, saluent les qualités du pilote. « Benjamin Smithconnaît l’aérien, il sait faire tourner une compagnie. Ce n’est pas un commis de l’État comme il y en a eu souvent ici », se réjouit un responsable du SNPL.

En quelques mois, les avancées et les choix radicaux entérinés par l’ancien numéro deux d’Air Canada sont déjà nombreux : nomination d’Anne Rigail, première femme à la tête d’Air France ; accords sociaux avec l’ensemble des personnels ; fin annoncée de la filiale Joon, rattachement de Hop! (dédiée aux vols intérieurs) aux couleurs d’Air France ; début de rationalisation de la flotte avec la décision de réduire le nombre d’Airbus A 380, etc.

Si son plan stratégique n’a pas encore été présenté, on sait qu’il a l’intention de continuer à faire monter en gamme la compagnie française pour augmenter le nombre de passagers à haute valeur contributive. Tout cela après une année 2018 marquée par une grève et un référendum qui ont conduit à la démission de son prédécesseur.

Y a-t-il un secret Benjamin Smith ? La plupart des interlocuteurs contactés chez Air France évoquent les mêmes traits distinctifs : un pragmatisme à l’anglo-saxonne, l’écoute, la discussion sans tabous, la rencontre auprès des personnels opérationnels, mais aussi la capacité à trancher. Sans compter une obsession du secret et une « phobie » (dixit un cadre) de la communication. « Il y en avait assez de voir les débats sociaux étalés dans la presse par l’une ou l’autre des parties, souffle un syndicaliste. Cela nuisait à la sérénité. »

Michel Waintrop