Parmi les maladies les plus redoutées au Mali, le paludisme reste une menace omniprésente. Dans chaque foyer, chaque quartier, chaque village, il rôde, silencieux et meurtrier. Malgré des années de lutte, la maladie demeure la première cause de consultation, d’hospitalisation et de décès chez les enfants de moins de cinq ans. En 2023, selon le dernier rapport de l’OMS, le Mali représentait à lui seul 3,1 % des cas mondiaux et 2,4 % des décès dus au paludisme.
Mais une nouvelle ère pourrait s’ouvrir. Le 25 avril dernier, à l’occasion de la Journée mondiale de lutte contre le paludisme, les autorités sanitaires maliennes ont lancé officiellement le vaccin R21/Matrix-M, une première historique dans le pays. Cette avancée médicale a été accueillie avec espoir par une population durement éprouvée.
Une stratégie de vaccination inédite
Le lancement du vaccin a eu lieu à Kalaban-Coro, en périphérie de Bamako. Dans un premier temps, il sera déployé dans 19 districts sanitaires prioritaires situés dans les régions de Kayes, Koulikoro, Mopti, Ségou et Sikasso. Les enfants âgés de 5 à 36 mois recevront cinq doses selon un protocole hybride : trois doses administrées à des intervalles rapprochés, puis deux doses saisonnières chaque année avant la saison des pluies.
Ce calendrier innovant vise à synchroniser la protection maximale du vaccin avec les pics de transmission du paludisme, en particulier pendant les mois les plus humides où les moustiques prolifèrent.
Une population meurtrie, mais résolument tournée vers l’espoir
À Ségou, l’annonce du vaccin a soulevé une vague d’émotion. Au marché de Hamdallaye, les femmes interrompent un instant leurs ventes pour parler de la maladie qui hante leur quotidien. Toutes ont été touchées. Toutes espèrent.
Aïssata Diallo, mère de trois enfants, raconte avec une douleur retenue :
« J’ai perdu mon fils Moussa à cinq ans. Une fièvre soudaine, puis le coma, et en deux jours, il n’était plus là… Ce vaccin, s’il peut épargner à d’autres mères ce que j’ai vécu, sera une grâce. »
Son témoignage incarne celui de milliers de familles endeuillées. Mais au-delà des drames humains, le paludisme impose également un lourd tribut économique. Mamadou Traoré, ouvrier métallurgiste, en sait quelque chose :
« Mon salaire suffit à peine pour nourrir la famille. Quand un enfant tombe malade, je dois emprunter pour payer les soins. Le paludisme ne tue pas seulement ; il appauvrit. »
Un système de santé en alerte permanente
Dans les centres de santé communautaires, les agents sont sur le qui-vive. Dr Oumar Konaté, médecin-chef à Bamako, observe chaque année les mêmes scènes :
« Pendant la saison des pluies, nos services sont saturés. Des enfants couchés à même le sol, des mères en larmes… Le vaccin pourrait tout changer. Il nous permettrait enfin de prévenir plutôt que guérir. »
Pour Aminata Sidibé, agente de vaccination mobile, ce nouvel outil complète enfin les efforts déjà engagés :
« La CPS aide, mais ce vaccin est ce qu’il manquait. C’est la protection en amont que nous espérions depuis des années. »
L’implication décisive des leaders communautaires
Dans une société fortement ancrée dans les traditions, le rôle des leaders communautaires et religieux est capital. Pour contrer les réticences, leur voix est précieuse. À Bamako, l’imam Amadou Bamba s’engage fermement :
« Se protéger contre la maladie, c’est honorer la vie que Dieu nous a donnée. J’encourage les familles à accepter ce vaccin. C’est notre devoir. »
Vers un tournant décisif dans la lutte contre le paludisme ?
Le vaccin R21/Matrix-M ne remplace pas les moyens de prévention existants — moustiquaires imprégnées, campagnes de sensibilisation, CPS — mais vient en renfort. L’OMS elle-même recommande une combinaison des approches pour maximiser l’impact.
Alors que le Mali demeure l’un des pays les plus touchés au monde, cette innovation pourrait bien être le tournant tant attendu dans la lutte contre le paludisme, non seulement pour le pays, mais pour tout le continent africain.
Pour les familles comme celle d’Aïssata, pour les soignants en première ligne, pour les ouvriers, les leaders et les enfants à protéger, l’heure est venue de croire à nouveau que l’avenir peut se construire sans le spectre permanent de cette maladie.