Anniversaire de la mort de Modibo Keïta Le Mali pleure toujours le père de la nation

« Un jour, le soldat qui lui apportait ses repas est venu précipitamment me voir pour dire que Modibo était tombé au pied de son lit. J’ai couru pour aller dans sa cellule. Il bavait. Je l’ai pris, j’ai dit au soldat : aide-moi. Nous l’avons couché dans son lit. J’ai pris une serviette pour essuyer la bave. Je lui ai posé la question : qu’est-ce que tu as ? Qu’est-ce que tu as ? Il voulait parler, mais le son ne sortait pas. J’ai fait appeler l’infirmier-major et je lui ai posé la question : Modibo a-t-il été soigné ce matin ? »
Ces en ces termes que l’ancien geôlier du président Modibo Kéita, le capitaine Soungalo Samaké (en son temps commandant du Camp para de Djicoroni) témoigne dans son livre « Ma Vie de soldat », paru en 2007 des conditions dans lesquelles est mort le 1er président du Mali.
En effet, c’est le 16 mai 1977 que Modibo Kéita est décédé en détention dans des conditions jamais élucidées. De quoi est-il réellement mort ? 35 ans après, la question reste posée. Ni son médecin traitant, le Dr. Faran Samaké, encore moins son geôlier, n’a rien dit de ce que l’histoire peut retenir comme circonstances de sa disparition. La famille du défunt président et une bonne partie de l’opinion nationale croient dur comme fer en la thèse de son assassinat par empoisonnement.

Devoir de mémoire

Alors qu’il pouvait fuir, Modibo Kéita s’est laissé prendre dignement le 19 novembre 1968 par la junte dirigée par le lieutenant Moussa Traoré, entre Koulikoro et Bamako de retour d’une tournée à Mopti à bord d’un bateau. Neuf ans plus tard, il est mort tout aussi stoïquement dans les geôles du Comité militaire de libération nationale (CMLN). Si les dirigeants successifs ont été incapables de faire la justice sur sa mort, les livres d’histoire nous apprennent que le régime de la soldatesque l’avait maintenu après le coup d’Etat dans des conditions de détention dignes des prisons de Guantanamo et d’Abu Graïb.

 

Bravant ainsi les menaces de représailles, une foule indescriptible l’a accompagné le lendemain de son décès en sa dernière demeure au cimetière d’Hamdallaye où il repose pour l’Eternité. C’est ici que les autorités maliennes, à leur tête le président par intérim Dio ncounda Traoré, ont déposé mercredi dernier une gerbe de fleure sur sa tombe.

Opposant au régime Moussa Traoré, le président Dioncounda retient de Modibo Kéita « un homme intègre, plein d’humanisme et de patriotisme. En ces moments difficiles de l’histoire de notre pays, de nombreux Maliens regrettent sa mort. Aujourd’hui, il faut le dire, la célébration de la mort de Modibo Keïta doit sortir du seul cadre de dépôt de gerbe de fleur. Son parcours, sa philosophie et ses convictions pour le Mali doivent être davantage enseignés dans nos écoles ».

Militant pour l’Afrique

Grand de taille, cet instituteur modèle, sorti major de sa promotion à l’Ecole normale William Ponty, en imposait tant par le discours que par les actes. Né le 4 juin 1915 à Bamako, Modibo Kéita entre en 1931 au lycée Terrasson de Fougère de Bamako. En 1934, il entre à l’Ecole normale supérieure de William Ponty, d’où il sort diplômé en 1936. Tout en enseignant, il milite aux côtés de Mamadou Konaté pour l’indépendance du Soudan français en particulier et la libération de tous les peuples sous le joug de la colonisation.

Pour mieux affirmer son opposition à la politique coloniale de la France, il fonde en 1943 la revue « L’œil du Kénédougou » qui invite le peuple à s’émanciper. Avant, en 1937, il est co-fondateur avec Ouezzin Coulibaly du Syndicat des enseignants d’Afrique occidentale française. Il est détenu en 1946 à la prison de la santé à Paris pour « sentiments anti-français ».
Au plan politique, Modibo Kéita est l’un des pères fondateurs du Rassemblement démocratique africain (RDA) en 1946. Il est élu député à l’Assemblée nationale française en 1956 sous les couleurs de l’Union soudanaise RDA. Membre de plusieurs gouvernements français, il est élu maire de Bamako en 1956. Il sera le président de l’éphémère Fédération du Mali (Soudan français et Sénégal).

Fierté nationale et source d’inspiration
Après l’éclatement de la Fédération du Mali, il est proclamé président de la République du Mali le 22 septembre 1960. « Ayant le cœur à gauche », il opte pour une économie de type socialiste. Il développe une coopération hardie avec les pays du bloc de l’Est, ce qui lui permet de fonder une économie basée sur l’effort national.

Sous sa conduite sont créées plusieurs sociétés et entreprises d’Etat. On peut citer, entre autres, Air Mali (transport aérien), la Compagnie malienne de navigation (transport fluvial), la Compagnie malienne de transports routiers (CMTR), la Socoma, la Comatex, la Sepom (actuelle Huicoma), la Sonatam, Mali-Lait, l’Opam, la Régie des chemins de fer du Mali, etc. Bref des dizaines de sociétés qui jettent les bases de l’industrialisation et offrent de l’emploi aux Maliens de toutes les couches sociales. Il est surtout le bâtisseur de la monnaie nationale en juillet 1962.

C’est cette lancée qui sera brutalement bloquée par le coup d’Etat du 19 novembre 1968. La libération nationale prônée par le lieutenant Moussa Traoré s’avère un leurre. Elle se transforme très vite en liquidation nationale avec la disparition en une décennie de tout ce qui faisait la fierté des Maliens en termes d’acquis socio-économiques. Pis, les exactions reprochées au régime socialiste de Modibo Kéita s’exacerbent sous le règne du Comité militaire de libération nationale (CMLN) et sa version civile, l’UDPM.
Puisse donc le patriotisme de Modibo Kéita inspirer nos autorités en ces heures graves pour le Mali, divisé territorialement, socialement. Dors en paix Monsieur le président !

Issa Fakaba Sissoko

L’ Indicateur Du Renouveau 17/05/2012