Abandon de poursuites contre 15 membres de la CMA Levée de boucliers des défenseurs des droits de l’homme contre l’impunité au bénéfice des présumés auteurs de crimes internationaux

Modibok dpg

L’accord signé par la CMA à Bamako ce 20 juin a suscité une levée de boucliers des ONG de défense des droits de l’homme : avocats sans frontières Canada (ASFC), Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH), Association Malienne des Droits de l’Homme (AMDH), Femmes Droits et Développement en Afrique (WILDAF), Association DEME SO, Association des Juristes Maliennes (AJM), Collectif Cri de Cœur (CCC), Réseau Régional des Associations des Victimes des Evènements du Nord (2RAVEN), Association des victimes GAO (SUURI).

En échange de la signature de l’accord, le gouvernement du Mali a levé les mandats d’arrêts lancés contre des responsables de groupes armés du nord du Mali. Dans un communiqué de presse, le 19 juin, Avocats sans frontières Canada (ASFC) s’est dit « préoccupée par la décision du gouvernement malien d’abandonner les poursuites à l’encontre de responsables de la Coalition des Mouvements de l’Azawad (CMA) ».

Cette décision contrevient notamment aux Principes fondamentaux et directives concernant le droit à un recours et à réparation des victimes de violations flagrantes du droit international des droits de l’homme et de violations graves du droit international humanitaire (60/147 Résolution adoptée par l’Assemblée générale le 16 décembre 2005) et au Statut du Rome établissant la Cour Pénale Internationale. Ces instruments garantissent le droit à la vérité des victimes et obligent le Mali à enquêter, poursuivre et juger les responsables de crimes internationaux et de violations graves des droits de l’Homme et prohibent expressément toute mesure contribuant à l’impunité des auteurs allégués de tels actes.

« La levée des mandats d’arrêt au bénéfice d’auteurs présumés de crimes internationaux pourrait être prise en considération par la Cour pénale internationale (CPI) pour déterminer s’il y a un manque de volonté de l’État de mener des procédures judiciaires. En outre, cette décision est en contradiction avec l’article 46 des Accords d’Alger qui prévoit expressément la « non amnistie pour les auteurs des crimes de guerre et crime contre l’Humanité et violations graves des Droits de l’homme, y compris des violences sur les femmes, les filles et les enfants, liés au conflit », selon le communiqué de ASFC.

Enfin, cette décision constitue une atteinte à l’indépendance du pouvoir judiciaire et nuit à la légitimité des juges maliens qui agissent dans un contexte difficile pour que des procédures indépendantes et impartiales soient menées à terme. « La paix au Mali deviendra une réalité durable uniquement si elle va de pair avec la justice. Les parties prenantes doivent respecter les attentes légitimes des victimes quant à la lutte contre l’impunité et à leur droit à la vérité, la non-répétition et la réparation » rappelle Pascal Paradis, directeur général d’ASFC

Le gouvernement épinglé

ASFC appelle le gouvernement malien à reconsidérer sa décision et à initier un processus de justice transitionnel inclusif, transparent et participatif respectueux des droits des victimes et de ses engagements internationaux en matière d’enquête et de poursuite des auteurs de crimes internationaux. ASFC recommande également à la communauté internationale de faire valoir auprès du gouvernement malien le caractère fondamental de ses obligations relatives à la lutte contre l’impunité et à la justice (lire le communiqué en page 2).

Par ailleurs, conjointement, la FIDH, l’AMDH, WILDAF, l’Association DEME SO, AJM, le CCC, 2RAVEN, SUURI, à travers un communiqué de presse, prennent acte de la signature par la CMA ce 20 juin 2015 à Bamako, de «l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali issu du processus d’Alger » qui prévoit, particulièrement à son article 46, des dispositions favorables à la promotion et protection des droits humains et à la lutte contre l’impunité. « L’AMDH, FIDH et WILDAF, DEMESO, CRI DE CŒUR et AJM, convaincues qu’il ne peut y avoir une paix durable sans justice, demeurent préoccupées par rapport à la lutte contre l’impunité menacée par des différentes libérations des auteurs présumés des violations graves des droits humains et des levées des mandats d’arrêts », dénonce le communiqué.

Le 15 juin 2015, en prélude de la signature de l’accord pour la paix et la réconciliation par la CMA, les autorités maliennes ont procédé à la levée des mandats d’arrêt au bénéfice de certains membres des groupes armés dont messieurs Hammar MOSA et Cheick Ag Aoussa contre qui nos organisations se sont constituées parties civiles aux côtés des victimes en raison de l’implication et/ou responsabilité présumée dans des violations graves des droits humains, poursuit le communiqué conjoint. « Si la levée des mandats d’arrêt ne suspend pas théoriquement les poursuites contre ses bénéficiaires, elle pourrait compromettre l’effectivité des droits des victimes notamment à la justice et à la vérité.

En effet, nos organisations invitent toutes les parties à s’engager à appliquer scrupuleusement les dispositions dudit accord et appellent les autorités maliennes à garantir la lutte contre l’impunité à travers des poursuites et des enquêtes impartiales, le cas échéant des condamnations », s’insurgent ces ONG de défense des droits de l’homme. Les mandats d’arrêt émis les 8 et 18 février et les 5 et 23 mars 2013 et basés sur des infractions d’une extrême gravité étaient dirigés contre une vingtaine de personnes dans le cadre du dossier «Ministère public contre Iyad Ag AGALY et autres» dans lequel, l’AMDH et la FIDH se sont constituées parties civiles le 29 novembre 2013 à la suite de l’ouverture de plusieurs procédures judiciaires confiées à trois cabinets d’instruction du tribunal de première instance de la commune III du district de Bamako.

Impunité

En octobre 2013, le gouvernement du Mali avait procédé à la levée des mandats d’arrêt contre 4 personnes. Ces organisations avaient alors rappelé dans un communiqué que «Si une solution politique doit être trouvée pour résorber les causes profondes du conflit au Nord du Mali, elle ne peut se faire au détriment des victimes de la crise, ni à l’indépendance de la justice», rappelle le communiqué. Ces organisations avaient déposé le 6 mars 2015 au nom de 33 victimes une plainte contre 15 auteurs présumés des crimes commis à Tombouctou, dont Iyad Ag AGALY, Hammar MOSA et Cheick Ag Aoussa, les derniers figurant sur la liste des 15 bénéficiaires des mandats d’arrêts levés le 15 juin 2015.

De même, le 12 novembre 2014, une plainte collective avait été déposée au nom de 80 femmes et filles victimes de violences sexuelles, rappelle le communiqué. Et c’est seulement le mercredi dernier 17 juin à Tombouctou, que le chef de la Division droits de l’homme de la Minusma et représentant du Haut Commissaire des Nations-Unies aux droits de l’homme au Mali, Guillaume Ngefa, a procédé au lancement du Programme de mise en œuvre du « fonds d’affectation à la protection et à l’accès à la justice des victimes des violences sexuelles », liées à la crise. Avec cette décision impopulaire du gouvernement malien, en violation de ses engagements internationaux relatifs au respect des droits de l’homme et à promouvoir l’accès à la justice, qui peut garantir l’impunité pour les victimes de Kidal, Aguel Hoc, Tessit, Tessalit, Tombouctou, Gao ..?

B. Daou

Source: Le Républicain-Mali 23/06/2015