Thomas Sankara:(1ère partie) Les circonstances d’une mort suspecte

Ce jeudi 15 octobre 1987, aux environs de 16 heures, « le pays des hommes intègres » bascula dans une tragédie qui changera complètement l’orientation socio politique de l’ancienne Haute Volta rebaptisée Burkina Faso par celui-là même qui deviendra l’illustre victime de cette horrible journée.  

Une crise intérieure qui couvait

Le massacre perpétré ce jour-là au…« Conseil de l’Entente » (quelle coïncidence et quelle ironie du sort !) fut si inattendu que ni les militants de la Révolution démocratique et populaire (RDP), ni les opposants au régime sankariste n’avaient eu le temps de se ressaisir, encore moins de réaliser l’étendue du désastre.

Le 19 octobre 1987, soit quatre jours après le drame, le Capitaine Blaise Compaoré, devenu désormais l’homme fort du pays et Président de « Front populaire »,  adressa un message à la Nation : «…Peuple du Burkina Faso, l’accélération de l’histoire fait souvent défiler les évènements à une allure telle que la maîtrise des faits par l’homme devient impossible, rendant celui-ci artisan de situations non désirées. Les instants tragiques que nous avons vécus le 15 octobre courant font partie de ce type d’évènements exceptionnels que nous fournit souvent l’histoire des peuples ».

Et Blaise, de poursuivre : « En tant que révolutionnaires, nous devions assumer nos responsabilités avec courage. Nous l’avons fait à travers la proclamation du Front populaire. Et nous continuerons à le faire,  sans faille et avec détermination, pour le triomphe des objectifs de la Révolution d’août. Ce dénouement brutal nous choque tous en tant qu’êtres humains, et moi plus que quiconque, pour avoir été son compagnon d’armes, mieux, son ami. Aussi, pour nous, il reste un camarade révolutionnaire qui s’est trompé… ». Qu’en termes « galants » ces propos étaient débités !

Pourtant, les témoignages de certains protagonistes et acteurs les plus directs et influents de ce drame avaient divergé sur bien des points. En fait, cette tragédie tirait sa cause d’une crise intérieure qui, depuis un certain temps, couvait entre les quatre chefs historiques du Conseil national de la révolution (CNR) : Thomas Sankara, Blaise Compaoré, Boukari Lingani et Henri Zongo.  

Une mésentente larvée et cachée

En réalité, ces quatre dirigeants du CNR, pourtant jadis unis comme les doigts d’une seule main, n’arrivaient désormais plus à s’entendre sur l’orientation politique et la stratégie d’action de leur Révolution. En fait, ils se sentaient…« trop nombreux » pour diriger le mouvement révolutionnaire, chacun d’eux étant finalement dominé par ce sentiment de supériorité du aux conflits de compétence qui, le plus souvent, détériore les relations entre les membres influents d’un groupe.

Mais cette mésentente larvée restera longtemps cachée aux militants de base de la Révolution, à tel point que ces derniers seront surpris par l’ampleur et surtout, la brutalité des sinistres dégâts du 15 octobre 1987.

Cependant, selon des militants proches du pouvoir de l’époque, qui avaient déploré ce dénouement dramatique, cette tuerie au « Conseil de l’Entente » aurait facilement pu être évitée si ces dirigeants du CNR avaient tu leurs humeurs pour se concerter mutuellement.

Seulement, la réalité était tout autre : les auteurs de l’assassinat de Sankara avaient pressenti qu’ils couraient un grand risque si jamais il prenait  la parole (et dans quelque cadre que ce soit) au cours de cette réunion du 15 octobre au « Conseil de l’Entente ». En effet, Sankara possédait une telle force de persuasion qu’il serait sorti victorieux de cette rencontre. Aussi avaient-ils tout simplement pris les devants en passant à l’acte bien avant.

Néanmoins, si la force d’argumentation de Sankara avait été jugée « spontanéiste et volontariste » par ses ennemis de l’époque, il n’en demeure pas moins que sa très forte personnalité avait sauvé la tête de plus d’un. Bref, Sankara avait été sacrifié sur l’autel de la contre révolution.

En effet, la tragédie du 15 octobre 1987 et le processus de « Rectification » entrepris par les auteurs du drame étaient intervenus parce que les compagnons de Sankara étaient déjà « fatigués » de la Révolution, et ils ne sentaient plus la force ni le courage de la continuer. Et comme les ennemis influents de cette Révolution existaient en grand nombre, tant en dehors que dans les rangs mêmes des révolutionnaires, ils n’avaient pas eu beaucoup de peine à rallier à eux tout un monde pour contrebalancer les actions de la RDP.

L’alibi fut donc vite  trouvé par les contre révolutionnaires : le Capitaine Sankara aurait « trahi la voie initiale tracée par le Conseil national de la Révolution ». Et pourtant…

« Qui veut abattre son chien… »

Pourtant, le Capitaine Sankara avait été le premier à se rendre compte de la nécessité de démocratiser le processus révolutionnaire. En août 1987, soit deux mois avant sa mort, il déclarait à  Bobo-Dioulasso : « Il fallait un peuple de convaincus, et non un peuple de vaincus et de soumis qui subissent leur destin ».  Il avait ainsi entamé une véritable rectification de la RDP en libérant plusieurs prisonniers politiques et détenus de droit commun. Par ailleurs, tous ceux qui étaient sanctionnés à tort avaient retrouvé la possibilité de réintégrer leurs anciennes fonctions.

Dans ce même discours de Bobo-Dioulasso, Sankara confessait : «…Dans le proche passé, nous avons parfois commis des erreurs. Cela ne devra plus se reproduire sur la terre sacrée du Faso. Il doit y avoir de la place dans le cœur de chacun de nous, pour ceux qui ne sont pas encore parfaitement en harmonie avec les discours d’orientation politique et les objectifs de notre plan quinquennal ». Et de préciser : « Ce sera à nous d’aller à eux et de les gagner à la cause de la évolutionnaire du peuple…Nous devons préférer un pas ensemble, avec le peuple, plutôt que de faire dix pas sans le peuple ».

Après  ce discours, les choses s’accélérèrent très vite, et la panique s’empara des ennemis de cette nouvelle politique d’ouverture prônée par Sankara. Alors, pour ses ennemis, il fallait faire très vite pour donner au peuple l’image d’un Sankara fermé et hostile à tout changement. Bref, « celui qui veut abattre l’accuse tout simplement de rage », dit-on. Il fallait donc se dépêcher d’arriver au pouvoir, car laisser le temps à Sankara d’amorcer la démocratisation de la RDP, ce serait se priver d’une bonne occasion, voire d’un bon alibi pour fomenter un coup d’Etat et…le tuer.  

Alors, l’Armée s’en mêle

Après le discours de Sankara, le 2 octobre 1987 à Tenkodogo, les comploteurs accélérèrent leurs manœuvres de liquidation de la Révolution, et partant, l’élimination physique de son principal artisan (Sankara). La crise qui régnait depuis un certain temps sur le terrain politique contamina le terrain militaire, toujours grâce à l’implication nocive des comploteurs. La chose fut donc aisée, d’autant plus que la rigueur prônée au sein du CNR n’était pas du goût des militaires, notamment certains Commandos auteurs du coup d’Etat du 4 août 1983 qui  consacra la Révolution de Sankara et ses compagnons.

Les dits Commandos revendiquaient avec insistance leur « part de gâteau » (leur récompense) pour leur participation au dit coup de force. Mais Sankara y aurait toujours opposé une fin de non recevoir, arguant « qu’un militaire doit vivre avec les masses et se méfier de l’opulence ».Il aurait même prôné… « Un quart de poulet par jour et par militaire ». Ce qui était aux antipodes des ambitions des chefs militaires qui réclamaient plutôt, qui une villa, qui un galon, après le danger qu’ils avaient encouru dans la nuit du coup d’Etat du 4 août 1983.

Ainsi, lors des réunions régulières tenues avec leurs chefs, ces militaires assoiffés reposaient constamment la question de leurs doléances. Ce à quoi les dits chefs, n’y voyant pas d’inconvénient, répondaient : « C’est Sankara qui s’y oppose ». Et les militaires, de répliquer : « Pourquoi ne l’enlève-t-on pas ? ». A force de la ressasser tous les jours, l’intention finit par se traduire en action. C’est ainsi que l’ambition finit par miner les rangs des mécontents de l’Armée, encouragés en cela par les ennemis de Sankara. Et l’on finit par « enlever » Thomas Joseph Sankara, et cela, au sens propre, puisqu’il sera assassiné le 15 octobre 1987. (A suivre)

Oumar Diawara « Le Viator »

Le Coq Cocorico 10/01/2011