Problématique de la sécurité au Mali Dr Zeni Moulaye fait le point

« … Mesdames et messieurs, le Président vient de le rappeler, depuis une vingtaine d’années, au moins, le Mali connaît une insécurité grimpante, entre autres, caractérisée notamment par des actes de banditismes urbains et péri-urbains, transfrontaliers et, même, maintenant transnationaux.

Nous avons aussi connu à l’intérieur de notre pays un banditisme « résiduel » consécutif à la dernière recrudescence de la rébellion.

Nous connaissons surtout une multiplication des conflits communautaires, sur lesquels Abdel Aziz Diallo reviendra tout à l’heure. Et une montée extrêmement préoccupante de la criminalité fondée sur le trafic de drogues, le trafic d’armes. Je ne dirai même pas armes légères. Parce qu’auparavant, quand on parlait de trafic d’armes légères, mais en fait d’armes, il s’agit d’armes de guerre. Véritablement. Evidemment, il y a des armes de petits calibres.

Mais il y aussi des armes de guerre. Il y a aussi le trafic des êtres humains et la migration clandestine.

Enfin, il faut mettre l’accent là-dessus, nous avons noté que depuis quelques cinq, six ans, à peu près, la présence sur notre sol de groupes armés, ou du moins, non étatiques qui s’apparenteraient à Al Quaïda au Maghreb islamique.

Cette situation, ce paysage sécuritaire que je viens de présenter, est aggravé, en vérité, par la vastitude de notre pays, 1 241 328 Km². Avec la longueur de la ligne frontalière, soit 7 240 Km² que nous partageons avec sept pays. Et, malheureusement pour nous, la frontière avec chaque pays est véritablement poreuse, pour ne pas dire spongieuse. Ce qui fait que tout ce qui se passe dans le voisinage nous atteint automatiquement. D’autant que maintenant les bandits ont pris l’habitude de dépasser allègrement les frontières d’un pays à l’autre, sans véritablement se gêner. Ah, ils font même mieux que ça ! Dans le Nord du Mali, ils sont venus s’installer. Ils disent : « on est chez nous et on y reste ». Et, ça, c’est une situation, disons,  inacceptable.

Je passe rapidement en revue les images que je voulais vous montrer. Ça avait commencé par le trafic de cigarettes, puis d’alcool, puis d’armes légères, ensuite maintenant, on passe à la drogue. Et aux êtres humains.

Et, un autre facteur qui aggrave notre situation, c’est qu’on est dans un environnement, disons, sécuritaire ouest-africain qui était considéré au milieu des années 90 encore comme un des plus instables au monde. D’autant que rien qu’ici, en Afrique, sur les 73 coups d’Etat que j’ai personnellement recensés se sont passés ici en Afrique de l’Ouest. Et vous voyez cette carte que j’allais vous présenter, disons, démontre qu’à l’exception notoire du Cap Vert, il n’y a aucun pays qui ne soit confronté soit à une rébellion, soit à une crise politique, soit à …

Et puis, d’autres images que j’ai failli vous faire passer. Voyez cette voiture ! Elle a été attaquée, braquée. Son chauffeur a été tué et les occupants molestés et dépouillés de tout ce qu’ils avaient sur eux.

Autres facteurs d’insécurité, ce sont les effets du réchauffement climatique, les signes qu’on se plaint souvent de la pollution. Il n’y a pas que la pollution. Il y aussi la sécheresse, la désertification. Et si j’en avais eu l’occasion, je vous aurais fait une petite démonstration,  juste pour vous montrer que je suis allé à Kidal au mois de mai dernier. A cette période, les moutons étaient vendus à 2000 Fcfa et il n’y avait pas de client. D’abord parce que la population est extrêmement  pauvre ; ensuite parce qu’il y a des familles quand ils …

Deux mois plus tard, ce sont les bovins qui mouraient. Les caprins étaient encore relativement conservés. Et quand, compte tenu…

En basculant, on a créé énormément de conflits communautaires.

Autres facteurs d’insécurité, ce sont ces armes légères. Des petits calibres dont on parle mais qui englobent aussi  aujourd’hui des armes lourdes et des armes de guerre. J’avais pris cette arme-là, la kalachnikov, parce que c’est l’arme qui symbolise aujourd’hui tous les banditismes. Autant dans les années 50-70 c’était l’arme des révolutionnaires. Aujourd’hui, c’est devenu, malheureusement, l’arme des plus grands bandits. Cette arme a été tirée, il y a trois ou quatre années, à 500 millions d’exemplaires qui circulent dans le monde. Sur ces 500 millions d’exemplaires, les spécialistes estiment qu’il y a la moitié qui est hors contrôle des Etats. Donc, entre les mains des bandits. Donc, juste pour vous donner une idée, actuellement, il y aurait 74 millions d’armes de petits calibres en circulation à travers le monde dont une trentaine de millions sur le continent africain, et une dizaine de millions ici, en Afrique de l’Ouest.

Mais je souhaiterais que nous relativisions ces chiffres-là. Parce que figurez-vous qu’il y a cinq ans, je suis allé à l’Ecole de Guerre du Nigeria, on m’a signalé qu’un recensement avait permis de savoir qu’à travers le Nigeria seulement il y avait  au minimum un million d’armes légères qui circulent entre les départements de l’Etat.

… Le centre du Nigéria estime qu’il y aurait une dizaine de millions d’armes légères  et de guerre qui circuleraient rien qu’au Nigéria. Nous savons que la guerre civile du Libéria, du Sierra  Leone…Ce qui s’est passé en Côte d’Ivoire, au Niger, tout ça a permis une accumulation pléthorique d’armes, une prolifération des armes légères et de petits calibres, des armes de toutes sortes, y compris celles des terroristes. Mais c’est un corridor qui est indicatif. Parce qu’en vérité, ces terroristes occupent une large bande allant de l’Atlantique à la Mer rouge.

Il y a le Nord du Mali où seraient installés certains de ces bandits de grand chemin.

Pour tout vous dire, c’était ça que je voulais vous montrer. Il y a un panorama, disons, de toutes les menaces sur le Mali. Qu’il s’agisse de menaces sécuritaires. Qu’il s’agisse, disons, de l’intégrisme religieux, des menaces liées aux risques de conflits communautaires, au trafic de drogue. Et, il est évident que tout cela est extrêmement dangereux. D’abord, parce qu’il y a un impact direct sur la sécurité humaine. Les droits humains sont bafoués.

Il y a un impact direct sur le développement, à la fois politique, économique, social et culturel, et même confessionnel et cultuel.

Face à cette situation que fait le Gouvernement du Mali ?

Ça, c’est une question que vous m’avez demandé d’étayer. Je voulais vous dire que le Gouvernement du Mali a engagé, depuis 2005, environ, une profonde réflexion sur la situation sécuritaire. Il a procédé, disons, à des consultations à l’intérieur du pays, qui ont été couronnées par les Etats Généraux de la Sécurité et de la Paix à l’issue desquels un certain nombre de résolutions, 127 exactement, ont été rendues.

La première résolution demandait au Gouvernement du Mali d’élaborer une politique nationale de Sécurité. Parce qu’en réalité, les services de sécurité naviguaient à vue. Chacun, disons, commissaire, chef d’Etat-major de la gendarmerie… en faisait, disons, à la sienne et en faisait de son mieux.  Evidement pour  la sécurité des personnes, des biens, des investissements, des institutions…etc. Et tout ça n’était pas surtout consigné dans un énoncé de politique de sécurité nationale.

Deuxième recommandation faite par les Etats généraux, pour que cette politique puisse avoir une chance d’être mise en œuvre, que  le Gouvernement mette en place un projet ou un programme qui accompagne ou appuie les services nationaux de sécurité.

Troisième recommandation majeure pour que cette politique nationale de sécurité  ne reste pas dans les tiroirs et qu’elle ait un soutien populaire, les Etats généraux ont demandé aux organisations de la société civile qui œuvrent dans le domaine de la Paix, de la Sécurité et des Droits Humains de créer une coalition pour soutenir la Gouvernance Démocratique de la Sécurité au Mali.

Quatrième grande proposition ou résolution des Etats généraux est celle qui concerne l’élaboration d’une stratégie de communication pour une gouvernance partagée de la sécurité.

Pas seulement des forces de défense et de la sécurité, non. Les pouvoirs publics, l’administration générale, la société civile, la société politique, le secteur privé, les collectivités territoriales, les communautés. Et, même, c’est une première en République du Mali, les Partenaires Techniques et Financiers du Mali ont été associés à ce processus de réforme du secteur de la sécurité et des termes de références jusqu’aujourd’hui. Ce qui explique, fort heureusement, que le programme qui a été mis en place bénéficie aujourd’hui d’un appui substantiel de ces Partenaires parce qu’ils ont suivi le processus et parce qu’il y a une transparence relative, une traçabilité

Et le Conseil des Ministres… »

Propos transcrits par Hawa Diallo

 

Le National 21/12/2010