Mali : FLAGRANT DELIT CONTRE IMMUNITE

honorable bourama traor

Avec le battage médiatique que l’évènement a suscité dans la presse (journaux, radios, télévision nationale), le droit constitutionnel s’est soudainement rappelé au bon souvenir de tous (citoyens, journalistes et même juristes), chacun y allant de sa propre interprétation de l’immunité parlementaire organisée par l’article 62 de la Constitution. L’une des particularités du droit constitutionnel, c’est qu’il est trop technique pour intéresser tout le monde, son application quotidienne étant moins spectaculaire que les grands procès de droit pénal ou de droit économique. Par contre, lorsqu’il s’invite à la table de l’actualité comme c’est le cas en ce moment, il ne passe pas inaperçu. Alors, pour une fois, ne boudons pas notre plaisir !

Notre démarche n’a nullement pour objet de nous prononcer sur le fond de l’affaire, comme elle n’a pas davantage la prétention de trancher la controverse qui, comme c’est souvent le cas en droit constitutionnel, surgit lorsqu’il est question d’appliquer pour la toute première fois un mécanisme imaginé il y a plusieurs années. Que dit exactement l’article 62 de la Constitution du 25 février 1992 ?
« Les députés bénéficient de l’immunité parlementaire. Aucun membre de l’Assemblée nationale ne peut être poursuivi, recherché, arrêté, détenu ou jugé du fait des opinions ou votes émis par lui dans l’exercice de ses fonctions.

Aucun membre de l’Assemblée nationale ne peut, pendant la durée des sessions être poursuivi ou arrêté en matière criminelle ou correctionnelle qu’avec l’autorisation de l’Assemblée nationale, sauf en cas de flagrant délit.

Aucun membre de l’Assemblée nationale ne peut, hors session, être arrêté qu’avec l’autorisation du bureau de l’Assemblée nationale, sauf en cas de flagrant délit, de poursuites autorisées ou de condamnation définitive.

La détention ou la poursuite d’un membre de l’Assemblée nationale est suspendue si l’Assemblée le requiert »

Dans l’esprit du Constituant, l’article 62 vise à mettre les élus à l’abri d’arrestations arbitraires ou intempestives ordonnées par le pouvoir judiciaire, voire suggérées à ce dernier par le pouvoir exécutif. Cependant, cette immunité n’est pas destinée à  mettre le député au-dessus des lois mais juste à préserver la séparation des pouvoirs. Combien de députés et même d’intellectuels en ont-ils vraiment conscience ?

Car, à peine édictée, l’immunité est aussitôt neutralisée par le même article 62 qui la réduit à néant si le parlementaire commet un flagrant délit ou si l’Assemblée lève cette immunité. Dans ces deux cas, le parlementaire peut être arrêté comme n’importe quel autre citoyen. Mais si aucune de ces deux hypothèses exhaustives n’est rencontrée, le parlementaire jouit de l’immunité. En effet, dans la hiérarchie des normes juridiques, la Constitution prévaut sur le Code pénal qui est une loi.

Ainsi, lorsque la Justice demande la levée de l’immunité d’un député, l’Assemblée vote la levée de l’immunité ou ne la vote pas selon que les poursuites apparaissent fondées ou pas. Par contre, lorsqu’il y a flagrant délit, c’est-à-dire un «délit qui se commet actuellement ou qui vient de se commettre », le député supposé pris «la main dans le sac» peut être arrêté aussitôt. Le juge de Ouélessébougou s’est apparemment entouré de toutes les précautions en faisant dresser un procès-verbal par la gendarmerie et en informant sa hiérarchie. Que faire à présent pour sortir du bourbier et tirer le meilleur parti de la crise ?

La solidarité de corps ayant parfaitement fonctionné de part et d’autre, les parties doivent savoir raison garder en évitant l’escalade et dans les propos et dans l’action car le dossier qui mérite une solution rapide et satisfaisante est assez complexe. En effet, dès qu’il y a voie de fait clairement établie même sur un simple citoyen, l’arrestation du député peut se justifier. Tout le monde doit le comprendre dans l’intérêt même de la protection des libertés individuelles. Dans cette affaire, celui qui est en cause est un député, un représentant de la nation entière. L’autre qui se plaint d’avoir été agressé sur son lieu de travail par lui est un magistrat, quelqu’un sur qui repose la lourde responsabilité d’assurer l’équilibre du système républicain. Député et magistrat sont deux personnalités respectables qui devraient se connaître, connaître leur rôle respectif et surtout être respectueux de la loi et du bon ton. Peut-on trouver cas plus embarrassant que celui de Ouélessébougou?

Ce qui est fait est fait. Dans des circonstances peu glorieuses, deux hauts représentants de l’Etat se sont affrontés dans un duel singulier, heureusement à mains nues limitant ainsi les dommages. Peu importe qui a raison et qui a tort, encore moins qui en est sorti vainqueur. Il faut maintenant éviter que ce pugilat juridico – législatif de mauvaise facture qui présente tous les symptômes d’une des pires maladies infantiles de la démocratie ne fasse plus de victimes qu’Ebola.

Mahamadou CAMARA
camara_m2006@yahoo.fr 2014-12-04 01:01:27