Lettre d’un cadre Touareg à un cadre Peulh Monsieur Ali Nouhoum Diallo, coordinateur des associations Pulaaku, Bamako, Mali

Mon nom est Habaye Ag Mohamed Ansari, natif de Farach dans le cercle de Goundam. Rien que par le radical «Ag» vous imaginez que je suis Ou-tamashaq. Je le souligne pour indiquer que je vous écris à titre personnel même si cela n’est pas dans ma culture de me présenter sous mon appartenance communautaire. Je n’ai jamais été fonctionnaire malien, je n’ai jamais travaillé au Mali et j’ai étudié à mes propres frais. Je n’ai jamais bénéficié des intégrations, ni des per-diem dans le cadre des comités, commissions, instances issues des différents accords.

Donc, je suis libre, et de l’Etat malien, et des factions et groupuscules azawadiens, et des tribus et des ethnies !
Après mes cordiales salutations, je vous prie de trouver ci-après quelques commentaires que m’inspire votre mémorandum en date du 19 août 2016. Activiste depuis le lycée (Sevaré), j’ai été membre du comité exécutif clandestin de l’UNEEM (ENA Bamako), début des années 80, les injustices et les iniquités que vous dénoncez désormais m’ont conduit très tôt et très jeune à passer du militantisme corporatiste à l’activisme politique. Je confirme ce que vous dites toujours : je suis activiste azawadien et je me battrai jusqu’au bout pour une solution juste et équitable du conflit azawadien… Vous voyez, M. Diallo, c’est le même groupe de mots que nous utilisons tous, sauf que pour nous, cela fait très longtemps sans que personne ne nous ait entendu… tellement dur !

J’assume, dans la douleur et les affres de l’exil (près de 25 ans), depuis de nombreuses années, la coordination de l’association des réfugiés et victimes des répressions de l’azawad (ARVRA) qui vous déjà suivi à Bruxelles en 94 dans le cadre de l’audition sur la question touarègue organisée par le parlement européen ainsi qu’à l’occasion de la session UE-ACP organisée à Dakar la même année. Je suis également Président de la coordination des Cadres de l’Azawad (CCA) qui réunit des cadres touaregs, arabes, peuls et songhaïs, mais qui est ignorée par Bamako, la médiation, la communauté internationale dans le règlement du conflit. Ce qui peut arriver à votre coordination, si vos positions sont porteuses d’une vision différente de celle de Bamako et de certains cercles et intérêts, y compris au sein de votre coordination.

Oui, il faut le rappeler, des hommes comme vous, qu’il soit militaire ou politique, ont toujours contribué sous le prétexte de patriotisme à déconstruire la République et à démanteler les esquisses d’une construction nationale. Leur incapacité culturelle à comprendre l’autre, qui est frère, qui est concitoyen, s’est posée comme une barrière permanente infranchissable pour la caravane de l’unité nationale éparpillant les semences d’une nation. M. Diallo, vous aurez contre vous, certains de vos frères, qui mangent au râtelier de la République, comme vous hier, M. Diallo, quand vous étiez au perchoir de la représentation nationale. Nous nous y sommes frottés, par excès de zèle, ceux d’entre nous qui vivent du système nous combattent souvent avec plus de détermination que l’Etat ou son armée. Vous allez faire un douloureux apprentissage, mais je demeure convaincu et connaissant l’entêtement et l’endurance Pulaaku, je ne me fais aucun souci. Votre ennemi sera le temps et votre capacité à vous inscrire dans la durée.

M. Diallo et cher frère, les Touaregs et les Arabes de l’Azawad n’ont pas oublié vos déclarations haineuses, irresponsables dénotant un taux hyper élevé d’inimitié à l’occasion des massacres et des pogroms dont ils ont été victimes dans les années 90 alors même que vous étiez la seconde personnalité de l’Etat malien, c’est-à-dire, Président de l’Assemblée Nationale. Vous avez été d’une violence rarement inégalée contre cette communauté par les propos officieux ou officiels d’un homme politique ou militaire malien à cette époque. Mais les Touaregs et les Arabes savent pardonner et vous pardonnent surtout lorsqu’à présent vous vous élevez contre des injustices et des actes ignobles qui touchent votre communauté.

Nous ne pouvons pas, nous n’avons pas le droit de ne pas vous pardonner sur la base de votre courage, de votre compassion à l’endroit d’hommes et de femmes, d’enfants et de vieux souffrant en raison de la seule couleur de leur peau, de leur langue et de l’appellation de leur communauté.
Chers signataires Pulaaku, les Touaregs et les Arabes ont toujours dénoncé et compati aux souffrances de leurs frères peuls, notamment, ceux que la politique assimilationniste mandingue n’a pas phagocyté.

Mais quand nous dénoncions ces faits dramatiques, les cadres peuls de Bamako pensaient que c’était une manière d’amplifier notre propre souffrance qu’ils ignoraient, méprisaient et niaient littéralement dans la plus grande vulgarité. Depuis janvier 2016, c’est par dizaines de famille que les Touaregs et Arabes du camp de M’béra en Mauritanie accueillaient dans la douleur et la compassion leurs frères peuls fuyant les massacres aveugles de l’armée nationale, républicaine que M. Aly Nouhoum Diallo félicitait, encensait dans les années 90 chaque fois qu’elle massacrait d’innocents Touaregs et Arabes.

Aujourd’hui, M. Diallo et les ex-apparatchiks peuls maliens découvrent la nécessité de la justice et de l’équité pour la communauté peule qui subit les balles de l’armée des soudards maliens qui ont pourtant bénéficié des formations ciblées, de l’équipement et du soutien de EUTM (Union Européenne), de la protection de la Force Barkhane et du soutien logique des Nations Unies.

Nous nous associons au cri de douleur des cadres peuls parce que personne ne doit mourir par les balles de l’armée de son pays. Nous compatissons à la douleur de ces cadres qui dénoncent des horreurs dont sont victimes des femmes et des enfants, souvent des vieux parce que simplement ils sont peuls et injustement associés à un groupe obscur auquel ne les rattache rien que les mots «peul» et «Macina», tout comme cela est le cas pour les communautés touaregs et maures de l’Azawad. Nous partageons les appels des cadres peuls pour que cessent de tels actes ignobles de la part d’un Etat qui a l’attention de la communauté internationale (matérielle, financière, politique). Nous invitons les cadres peuls à aller au-delà de calculs personnels ou de groupes et à poser les vrais problèmes des populations peules, en particulier, nomades qui ne se limitent pas à leur intégration dans les forces armées, dans les comités de ceci ou cela, mais dans une prise en compte réelle de leurs aspirations.

Les peuls ont tout eu en terme d’intégration, mais cela n’a rien changé dans les conditions miséreuses des populations majoritaires peules du Delta central du Niger, du Gourma et du Thioky… «Mieux vaut tard que jamais», les cadres peuls se réveillent, ouvrent les yeux, demandent justice et équité pour les leurs. Nous ne pouvons que les féliciter et les y engager parce que nous avons espoir que désormais, ils élargiraient leurs combats à l’ensemble de ceux qui subissent injustice et iniquité au Mali. Les cadres peuls ont damé le pion à leurs frères touaregs, maures et songhaïs de Bamako qui nient et noient leur négation dans un panier à crabes qu’ils appellent COREN…qui n’apporte rien ni aux communautés du nord, ni à l’Etat malien en terme de construction ou de reconstruction de la cohésion sociale.

Nous osons espérer, que la démarche des cadres peuls ne se limitera pas à animer des séances de sensibilisation qui oblitéraient les droits des victimes, tronquerait le traitement de fond du problème peul et in fine disperser le troupeau de vaches dans les bourgoutières du delta central. Il y a donc espoir d’une réflexion globale des cadres du nord, du sud, d’est et d’ouest sur ce qu’est le Mali aujourd’hui et quel Mali pour demain !
Nous y sommes ouverts et y contribuerons avec conviction et détermination.
Nouakchott, le 13 septembre 2016

Habaye ANSARI
Président de la coordination des Cadres de l’Azawad