Hamédy Diarra, président du Haut conseil des Maliens de France : « Quand on est à l’étranger, savoir qu’on a un œil et une oreille dans le gouvernement, ça renforce votre attachement au pays »

Hamédy Diarra, président du Haut conseil des Maliens de France : « Quand on est à l’étranger, savoir qu’on a un œil et une oreille dans le gouvernement, ça renforce votre attachement au pays »
C’est une revendication maintes fois formulée par les Burkinabè de l’étranger : la création d’un ministère qui leur sera totalement dédié. Mais à quoi sert un tel ministère et quel peut être l’apport de la diaspora dans le développement économique du Faso ? Lefaso.net a rencontré Hamady Diarra et Sadio Diakité, respectivement président et secrétaire général du Haut conseil des Maliens de France, une structure qui a une expertise dans l’organisation et la gestion de la diaspora malienne et dont l’expérience pourrait inspirer les Burkinabè
Au plan institutionnel, comment les Maliens de l’extérieur sont-ils organisés ?

Nous avons un ministère chargé des Maliens de l’extérieur, obtenu à la suite d’un long combat. Mais il fallait aussi savoir ce qu’on mettra dedans et quelle cause allait-il servir. Après la révolution de mars en 1992, il s’est tenu une conférence nationale au cours de laquelle, il a été décidé d’accorder des places dans les institutions républicaines aux Maliens de l’extérieur. A cette conférence, beaucoup d’opposants qui avaient fui le pays pour échapper à la prison ou la mort étaient là, et leur présence a pesé dans la décision de nous accorder 10% des 129 sièges à l’assemblée nationale ; donc 13 députés. Nous devions aussi être présents au Conseil économique social et culturel et au Haut conseil des collectivités qui joue le rôle de sénat. Aux élections législatives, les 116 députés ont été élus au niveau national et il restait les 13 de la diaspora. Mais on ne les a jamais eus parce que le président Alpha Konaré avait d’autres soucis et en plus, ce n’était pas démocratique de désigner des députés.

En novembre 1996, l’opposition a demandé et obtenu la création de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) et la suppression des sièges réservés aux Maliens de l’extérieur. Nous avons continué le combat et je dois souligner que la communauté malienne de France en a été le fer de lance. Par chance, le ministre Mamadou Diarra, actuellement consul général à Bouaké en Côte d’Ivoire, était un de nos compatriotes vivant en France, mais pour nous, il est plus important de réfléchir au contenu du ministère que le nom de son pays d’accueil.

Ayant appris que le ministre serait de passage en France, nous avons demandé à le rencontrer, mais dans les foyers où vivent beaucoup de Maliens immigrés et non à son hôtel. Il a accepté et ensemble, nous avons visité trois foyers avant d’organiser une grande rencontre avec tous les Maliens à Bourse de Montreuil. Au cours des discussions, il nous a proposé la création d’un Conseil consulaire, que nous avons refusé, exprimant plutôt le souhait d’avoir une structure qui représente les Maliens de l’extérieur.

Par la suite, une conférence de la diaspora a été convoquée et chacun est allé au nom de son association. Sur place, tous les participants sont tombés d’accord pour revendiquer la création d’une instance nationale, à charge pour chaque communauté de s’organiser dans son pays d’accueil. Il se trouve que nous, en France, n’avions pas de structure et des gens ont pris prétexte de cela pour dire que nous ne représentions personne, donc disqualifiés pour siéger dans l’instance nationale qui allait être créée.

Par chance, il y avait un compatriote venant de la Suisse et nous avons convenu qu’il serait le coordonnateur de l’Europe, le temps que nous retournions à la base pour nous organiser.

Comment le nouveau ministère s’est-il mis en place et quelles était ses priorités ?

Le ministère, ça n’a pas fonctionné parce qu’il manquait une administration capable de l’animer, et surtout qu’il n’y avait pas de contenu préalablement préparé pour l’en doter. Résultat, le ministère a été supprimé et on a confié la gestion de la diaspora au ministère des Affaires étrangères. Actuellement, nous avons une Délégation générale des Maliens de l’extérieur qui fonctionne avec un Délégué général qui a presque rang de ministre. Quand on est à l’étranger, savoir qu’on a un œil et une oreille dans le gouvernement, ça renforce votre attachement pays.

Il fallait bien des textes pour encadrer l’organisation de la diaspora. Comment les choses se sont passées ?

Nous, Maliens de France, on nous considère comme des emmerdeurs utiles pour ouvrir les portes et après, on nous laisse dehors pendant que les autres entrent. A vrai dire, c’est nous qui avons rédigé les textes avec des Sénégalais. Il se trouve que parmi la diaspora, il y a beaucoup de commerçants qui n’ont pas les mêmes idées que nous en Europe où on a des ouvriers, des intellectuels et des hommes d’affaires. En Côte d’Ivoire, il y a trois millions de Maliens, beaucoup sont des commerçants et pensent que si on est à la tête du Haut conseil des Maliens de l’extérieur, ça va servir les intérêts privés. Le premier président était un homme d’affaires venant du Gabon, le second aussi et habitait en Guinée et au Sénégal. Il avait des liens avec les monarchies du Golf, notamment des Saoudiens. Mais le fonctionnement du Haut conseil était le dernier de ses soucis. L’important pour lui est qu’il a un passeport diplomatique, voyage et signe les nominations au niveau des collectivités au Conseil économique et social et culturel. Parce qu’il a rendu des services à l’Etat, il voyait son poste comme une récompense et un outil à son service parce que son choix n’a pas reposé sur des critères objectifs. En plus, il s’est trouvé des gens qui l’ont induit en erreur en renforçant cette vision en lui selon laquelle, il est l’homme du président et qu’il n’avait pas à s’inquiéter.

Si on doit tirer une leçon de tout cela, c’est qu’il faut être bien organisé à la base parce ce qui s’y passe est plus important que ce qui se fait en haut. Vous savez, il y a beaucoup de Maliens au Burkina et la plupart se connaissent selon les régions, mais c’est grâce au Haut conseil que des liens se sont créés entre eux. Dans chaque pays, il y a des conflits et on les accepte en se disant que le plus important est que le Haut conseil existe, et qu’on soit d’accord pour revendiquer des choses qui profitent à tous. Et dans cet objectif, les Maliens de la diaspora, dans toute sa diversité est d’accord à 70%.

Autre chose qui nous semble important, c’est l’éducation de nos enfants nés en France. Nous faisons l’effort de leur faire connaitre le Mali en les y emmenant souvent et ne leur disant : Comme la France, le Mali est votre pays. Tout ce que vous pourrez faire pour l’un, il faut le faire pour l’autre. Le monde change et avoir deux pays, n’est peut-être pas une mauvaise chose.

Les maliens vivant en France seraient au nombre de 500 000. Ce chiffre est-il exact ?

Non, nous avons environ 200 000 Maliens que nous avons recensés dans le fichier électoral qui est mis à jour chaque année pour servir aux élections parce que nous votons. On s’approche des 500 000 si on comptabilise les binationaux, c’est-à-dire, les Maliens de la seconde génération.
Aujourd’hui, nous voulons donner un contenu politique au Haut conseil des Maliens de l’extérieur et pour cela, nous réclamons à nouveau des sièges de députés à l’Assemblée nationale. Nous voulons également être plus nombreux au Conseil économique, social et culturel et au Haut conseil des collectivités. Nous avons obtenu que le Délégué général fasse partie des voyages présidentiels à l’étranger et bientôt, nous aurons un siège qui est en construction sur financement public, en attendant que nous mettions en place une cotisation.

Au quotidien, quel type de soutien apporte le HC au Maliens de France ?

La communauté malienne est confrontée à beaucoup de problèmes auxquels les pouvoirs publics n’ont pas toujours la solution. Quelqu’un qui est par exemple emprisonné ici pour x raison, peut difficilement bénéficier du soutien de l’ambassadeur ou du consul, mais du Haut conseil oui. Nous nous investissons dans l’assistance sociale lors des décès et soutenons ceux qui n’ont pas de police d’assurances. Souvent, c’est par notre canal que les gouvernements font passer des messages de part et d’autre.

Sur les Accords de paix d’Alger, le gouvernement a demandé notre avis et nous avons remis un mémorandum sur la question via notre ministère de tutelle. Nous essayons aussi de trouver des formules permettant d’envoyer de l’argent moins cher au pays et faciliter l’accès à un toit pour ceux qui le désirent. Nous sollicitons des audiences au président pour parler des problèmes de passeports et de visas dans les provinces où il n’y a pas de consulats. Il y a des problèmes douloureux sur lesquels, seul le Haut conseil s’est montré apte à apporter des solutions. C’est le cas des drames de l’immigration que nous suivons régulièrement dans les médias. Il y a deux ans, un bateau a chaviré en Libye avec des immigrés à bord, puis une bombe a explosé dans un foyer à Tripoli, faisant des centaines de morts. Il n’y a pas d’Etat en Libye et même des pays comme la France et les Etats-Unis ont délocalisé leurs ambassades en Tunisie. Pour identifier les corps, mettre un nom dessus et informer les familles, c’est le Haut conseil des Maliens de Libye qui l’a fait et qui a enterré les cadavres. La même chose est arrivée en Italie avec les évènements de Lampedusa où des bateaux ont chaviré. C’est le Haut conseil qui a pris contact avec des compatriotes en Italie qui connaissaient des gendarmes pour avoir les informations concernant les Maliens noyés. Bref, partout où il y a des Maliens, il y a un Haut conseil dont la vocation est de les assister à tout moment, ce que les autorités ne peuvent pas faire souvent par manque de personnel.

Le Mali n’a pas signé l’accord sur la gestion des flux migratoires avec la France comme l’ont fait le Sénégal, le Bénin et le Burkina. Il semble que c’est vous qui avez fait capoter la signature au dernier moment…

Le président Amadou Toumani Touré a refusé de signer l’accord et je pense que ça fait partie des raisons qui ont précipité sa chute parce qu’il a tenu tête aux autorités françaises. Mais dans certaines régions comme Kayes ou Koulikoro, toutes les réalisations sur place (électricité, écoles, dispensaires, routes) ont été financées par la diaspora. Depuis que je suis né, je n’ai jamais rien vu quelque chose qui ait été financée par l’Etat chez moi. Dans ces conditions, nous avons clairement dit au président : « Si vous signez, on va expulser des jeunes Maliens qui iront grossir les rangs de ceux qui n’ont pas de travail. Qu’en ferez-vous ? Malgré leurs conditions de vie qui sont difficiles, ils préfèrent rester en France et se battre pour s’en sortir ». Le message a été compris parce que le ministre en charge de ce dossier avait accepté l’accord, et il était même arrivé en France pour le signer. Mais le jour de la signature, le président a dépêché son conseiller à Paris pour signifier que le Mali ne signera pas. Il n’y a pas eu de signature, à la grande colère du président Sarkozy !

Nous avons dit la même chose au président Ibrahim Boubakar Keïta avant qu’il n’aille au sommet de la Vallette (Malte) en décembre 2015. Vous savez, il y a ce qu’on appelle le règlement de Dublin qui dit que le premier pays par lequel entre un immigré, c’est ce pays qui examine sa demande d’asile. L’Allemagne était le fer de lance dans l’application de ce dispositif, mais quand il y a eu un affût de réfugiés syriens, quel pays a été le premier à déroger à la règle ? Nous nous sommes donc entretenus avec le président sur le sujet en lui expliquant qu’un Malien entré sur le territoire de n’importe quel pays européen, peut être expulsé d’un autre pays européen vers le Mali. Je crois que nous avons été là aussi entendus, même à propos de pays amis comme la France. Voilà le poids que peut représenter une structure quand elle est bien organisée.
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On dit que les Maliens de France investissent beaucoup dans leur pays d’origine. Qu’en est-il exactement ?

Sadio Diakité : Oui, c’est vrai, mais je dois reconnaitre qu’en matière d’investissements, nous devons encore faire plus notamment dans le financement des projets productifs car, pour l’instant, la plupart de nos projets sont sociaux. Mais nous connaissons beaucoup de nos compatriotes qui ont investi dans les sociétés de Transports, dans l’immobilier, le commerce ou qui gèrent des boulangeries. Dans la région de Kayes, aucun moyen de transport entre la ville et les campagnes n’est public ! De Bamako à Kayes, il y a au moins trois compagnies qui ont été créées par les Maliens de l’extérieur, et de Kayes et Yérimalé vers les autres villes, la desserte est assurée par des transports appartenant aux Maliens de France et d’Afrique centrale. A Sikasso, les Transports sont gérés par les Maliens du Burkina et de Côte d’Ivoire et quelques-uns du Ghana. Dans le capital des petites unités de transformation, on trouve toujours au moins un Malien de France qui est actionnaire si ce n’est la totalité du capital. Il n’y pas un village de 500 habitants où il n’y pas de boulangerie fiancée par un Malien de la diaspora. Mais quand la Banque mondiale, le Fonds monétaire international ou le gouvernement font des études sur l’apport des migrants, ils ne vont pas dans villages, ils s’intéressent aux grosses unités de transformations dont les financements mobilisent des centaines de millions de F CFA. Or, beaucoup de Maliens ne sont pas d’un niveau d’instruction élevé, même s’ils sont milliardaires, comme le président actuel du Haut conseil des Maliens de l’extérieur.

Il existe en France des fonds destinés à financer des projets portés par des migrants dans les pays africains. De quoi s’agit-il exactement ?

C’est exact ! Au Canada, il existe l’Association québécoise pour la coopération internationale qui finance des projets montés par les associations haïtiennes. Si le projet coûte par exemple 10 dollars, l’Association québécoise contribue pour 9 dollars. C’est cet exemple que nous avons demandé et obtenu qu’on importe en France, ce qui a été fait à travers le Forum des organisations de solidarité internationale issues des migrations (Forim) mis en place par Claude Evin alors ministre des Affaires sociales. Avant, on cherchait les moyens de faire partir les immigrés, mais lui, il a procédé autrement. Il a consulté des associations de migrants et des chercheurs, et au final il a décidé d’accorder une carte de séjour temporaire d’un an qui permet à un immigré d’aller dans son pays d’origine tenter une expérience professionnelle, avec la possibilité de revenir. Le Forim a créé un fonds destiné à financer de petits projets portés par des immigrés dans leur pays d’origine, mais regroupés dans une structure associative. Si par exemple, vous êtes journaliste, mais vous n’avez pas de compétences dans le montage de projet, cette structure peut vous aider et se porter garante de la faisabilité de votre projet. Ce fonds s’appelle le Programme d’appui aux organisations internationales issues de l’immigration (Praoiim) et depuis sa création, des associations burkinabè, notamment l’Union des associations du Burkina Faso (UABF) qui est un opérateur d’appui aux projets, a pu financer environ 30 projets. Le Mali aussi en a bénéficié depuis 2013 et le montant des fonds obtenus a atteint 174 millions de F CFA !

Propos recueillis par Joachim Vokouma
Lefaso.net (France)