Guimba National valorise le patrimoine immatériel malien

Habib Dembele

Au Mali, il y a une douzaine de CLAC qui sont des petits centres, principalement en zone rurale, dotés de beaucoup de livres, de cartes géographiques, de planches de sciences, de jeux et jouets éducatifs et de société. C’est grâce à l’appui et au génie de l’organisation de Fatogoma Diakité, responsable du programme CLAC de la Francophonie au Mali, qu’à travers la structure administrée par Damien Grégoire, le comédien Habib Dembélé et l’écrivain Aboubacar Eros Sissoko sont allés à la rencontre des enfants, de Ségou à Yanfolila, en passant par Djenné et Kinian, avec une courte halte à Niéna, du 26 septembre au 7 octobre 2015.

Chaque premier soir, le public venait nombreux pour accueillir toute l’équipe. Les enfants se pressaient, les adultes les accompagnaient, certainement impatients aussi de saluer leur Guimba national. Le Responsable du CLAC, le préfet, le président du Conseil régional, le maire, toutes les autorités locales étaient présentes à l’ouverture pour recevoir Habib Dembélé. Après une introduction musicale, trois conteuses ou conteurs locaux et lui disaient des contes, car au Mali, comme partout ailleurs en Afrique, ces courtes histoires traditionnelles façonnent la compréhension que les gens, et particulièrement les enfants, ont de la vie. Guimba avait choisi de jouer, une fois en français, et une fois en bamanan, «Il n’y a pas de petite querelle, le conte de Amadou Hampaté Bâ».

Ce conte montre que d’un fait mineur, auquel personne ne prête attention, peuvent naître les plus grands conflits. Guimba espère que les enfants, qui auront compris que la gestion collective de la moindre querelle permet d’assurer la paix, sauront ainsi éviter les guerres qui dévastent les pays. Le spectacle du premier soir était l’entrée en matière pour les deux jours de travail d’atelier, dirigé par Aboubacar Eros Sissoko, assisté de Fatogoma Diakité, Abdoulaye Doumbia et Abdoulaye Konaté, dans le local du CLAC. Ils faisaient appel à Guimba de temps en temps.

À chaque étape de cette tournée, il y avait une vingtaine d’enfants, répartis en 3 groupes, les petits du premier cycle, les moyens du second cycle, et les grands du lycée. Le CLAC et les enseignants les avaient sensibilisés au travail qu’on allait leur demander. Chaque équipe choisissait un des contes entendus la veille, devait le retranscrire en français, et l’illustrer. C’était un travail de groupe. Les membres de chaque équipe choisissaient leur «secrétaire» pour qu’il rédige le texte qu’ils créeraient ensemble, et sélectionneraient, parmi toutes celles qu’ils allaient dessiner, la meilleure illustration pour le conte sur lequel ils avaient choisi de travailler. Les illustrations et textes créés à chacune des étapes de cette tournée ont été collectés. Ils seront publiés dans un livre que la Francophonie éditera, et dont les auteurs seront les enfants qui y ont travaillé. Ce livre sera distribué dans les quelques 200 CLAC du monde.

À la clôture de chaque session de la tournée en région, Guimba donnait un second spectacle de contes, en bamanan. L’histoire dite du Crapaud, celle de la petite fille qui refuse d’écouter les conseils de ses parents, a été, parmi d’autres, celle qui a instruit les enfants, tout en les amusant. Mais avant qu’il ne monte sur scène, les jeunes présentaient leur propre travail au public. Chaque groupe avait désigné celui ou celle qui serait leur porte-parole. Emerveillé de voir la motivation et le courage des enfants, Guimba est convaincu que, de cette expérience, naîtront de grands écrivains, de grands talents, de belles personnes qui aimeront partager avec les autres ce qu’ils savent faire.

À la question «Qu’est-ce que travailler avec des enfants apprend à un comédien comme vous ?», Guimba répond qu’il n’a pas fini de grandir. Quand il veut travailler un texte, ou qu’il s’apprête à monter sur scène, il éprouve le besoin de se mettre pieds nus, de répandre du sable sur le sol de son bureau ou de sa loge, pour y puiser l’énergie, pour y retrouver la sensation qu’il avait, enfant, quand il marchait et jouait dans la cour de son père. Il a besoin de ça pour jouer au théâtre, car être comédien, c’est, à chaque fois, être capable de retrouver sa capacité d’enfant à jouer.

Donc, pour Habib Dembélé, travailler avec des enfants, c’était se retrouver dans un milieu qui lui parle beaucoup, car sa vie, c’est le théâtre, et le théâtre, c’est un jeu, et le jeu, c’est le monde de l’enfance. Travailler avec des enfants, c’était prendre un bain d’énergie dont chacun a besoin pour exister, c’était voir l’avenir, voir à travers eux de quoi demain sera fait, c’est-à-dire voir l’espoir, et quand on voit l’espoir, c’est que la vie est possible.

Habib Dembélé qui reconnaît avoir eu la chance de jouer dans tous les pays du monde regrettait d’avoir eu la malchance de ne pas avoir fait le tour du Mali depuis longtemps. Cette tournée lui a procuré le bonheur de replonger dans les profondeurs de son pays. Passer une douzaine de jours auprès de modestes petits villageois, leur donner le goût de l’apprentissage, l’envie de retranscrire les contes qu’ils avaient entendus, de créer, d’illustrer, et de vouloir savoir, a été magnifique pour lui. Ce projet «De la parole à l’écrit», qui a été initié au Mali, doit poursuivre sa route dans d’autres pays.

Guimba souhaite que des CLAC soient créés dans tous les villages du Mali, toutes les villes, à San, sa ville natale, et bien sûr à Bamako. Et maintenant que, grâce à Fatogoma Diakité et les CLAC, la Francophonie a ouvert la voie, Habib Dembélé attend que l’Etat fasse enfin sa part des choses, et élève les enfants au niveau de créativité qu’ils portent en eux.

Françoise WASSERVOGEL

Source: Le Reporter Mag 31/10/2015