GESTION POLITIQUE DU SPORT AU MALI: Faire des miracles avec la portion congrue

Vouloir se hisser dans le gotha des grandes nations sportives du continent avec moins de 1% du budget national, c’est vraiment de la mer à boire. Au Mali, les ministres des Sports sont condamnés à cette prouesse de faire des miracles avec des portions congrues. Et cela dans un univers où la part du hasard est infime dans les performances sportives qui font de plus en plus l’objet d’une programmation et d’une préparation minutieuse.

«Le sport est une pratique universelle, il est en même temps un marqueur social et aussi politique» ! C’est ce qu’enseignent les experts du Club des Managers Sportifs (France). À travers les différents événements internationaux comme les Jeux Olympiques (J.O), le sport a dépassé le stade des loisirs pour devenir un théâtre de confrontation (sportive, politique et économique) entre les pays.

Ce qui fait que les enjeux économiques sont très importants. Sans compter que la pratique sportive est «un élément majeur de la formation de la personnalité individuelle et collective» ainsi qu’un tremplin pour promouvoir et consolider la cohésion nationale.

Des enjeux que les dirigeants politiques ne perçoivent pas encore. Ils n’accordent d’importance au sport que pour bénéficier des retombées des performances sportives. Des résultats toujours accueillis par des leaders politiques par des communiqués et des motions de soutien. Un soutien enterré dès que cette ferveur populaire tombe.

Aujourd’hui, la gestion du sport est comme une patate chaude entre les mains des ministres en charge du domaine. Un Département où tout est urgence alors que le titulaire du portefeuille a rarement les moyens de sa mission. Même le soutien institutionnel ne lui est par garanti face aux difficultés.

Au moins le président Amadou Toumani Touré (ATT) avait le mérite d’accorder à ce secteur une certaine importance pour que le pays puisse briller au moins sur la scène continentale. En plus des nombreux terrains de proximité réalisés un peu partout dans le pays, il n’hésitait pas à puiser dans son budget de souveraineté pour épauler le Département à faire face à certaines charges. À défaut, les instructions étaient fermes au niveau des Finances pour que des ressources conséquentes soient allouées. Au moment où du couple «Jeunesse et Sports», la marge de manœuvre financière n’était pas aussi étroite qu’aujourd’hui et les services financiers pouvaient jongler et colmater les brèches.

Avec moins de 1% du budget national (sans les correctifs budgétaires), la mission ressemble à de la mer à boire. Chaque fois qu’une mission s’annonce à l’horizon, les cadres du Département des Sports perdent le sommeil car ils doivent faire preuve de persévérance et d’ingéniosité pour que le ministre ne soit pas lynché par la presse nationale.

La dernière épreuve en date est le voyage des Equipes nationales U17 (filles et garçons) du Mali, qui devaient finalement s’envoler le lundi 20 juin 2016 pour Saragosse (Espagne) où elles prendront part aux Coupes du monde de leurs catégories. Et cela après moult tractations pour dégager les ressources financières, obtenir l’Ordre de Mission, les visas et les billets d’avion.

De l’ambition, mais pas une réelle volonté politique

L’ambition sportive de nos dirigeants ne se traduit pas dans la dotation du Département. Quelles que soient les contraintes financières, les pays qui ont une réelle ambition sportive consentent des sacrifices énormes pour la performance sportive. Ainsi, en 2015, malgré la baisse des recettes pétrolière, l’Algérie a consacré près de 197 milliards de Fcfa (196 887 558 687) au Sport et à la Jeunesse. La part du budget consacrée au Département étant insignifiante par rapport aux dépenses annuelles, l’essentiel des activités est financé sur les charges communes.
Donc, la compétence et les résultats du ministre des Sports dépendent donc en partie de la bonne volonté de son homologue de l’Economie et des Finances. Un département qui a du mal à percevoir les enjeux des résultats sportifs aujourd’hui.

Pis, en liant la signature des Ordres de mission à la disponibilité des crédits alloués (copie du mandatement jointe à la demande), la Primature accentue, sciemment ou de façon non volontaire, cette dépendance très handicapante pour le titulaire du portefeuille des Sports.

La preuve, c’est que les activités sportives ont du plomb dans l’aile à cause du refus des crédits alloués par l’arbitrage budgétaire ou du retard pris par le ministre des Finances pour donner son accord. Ce qui fait que les responsables financiers du ministère des Sports sont contraints de s’endetter pour que les délégations sportives ne puissent pas rater certains rendez-vous majeurs. Mais «le Département n’étant plus solvable, il a du mal à obtenir des prêts, notamment auprès des Agences de voyage», nous disait récemment le responsable d’une Agence de voyage.
Cette année, notre pays a raté presque tous les tournois de qualification olympique (TQO) à cause de cette situation révoltante. Ce qui fait qu’Ismaël Coulibaly (taekwondo) sera notre seul représentant à Rio (Brésil) à avoir acquis sa qualification dans une arène sportive. Les autres sont invités au nom de l’universalité des Jeux olympiques.

Et même là, le cauchemar est loin d’être terminé car, jusqu’au vendredi dernier, le Département n’était pas en possession du budget de la participation alors que les délais des réservations sont presque dépassés.

Pour permettre d’anticiper sur les charges de participation aux compétitions internationales, l’actuel ministre avait échangé avec les fédérations sportives nationales afin de proposer au ministère des Finances un programme annuel budgétisé à près de 10 milliards de francs CFA (9,5 milliards Fcfa). Un budget ramené à 4,5 milliards de Fcfa après l’arbitrage qui l’a soulagé de nombreuses activités non moins importantes.

Malgré cet arbitrage, les budgets de ces mêmes activités sont revus à la baisse par le ministère de l’Economie et des Finances au moment de les exécuter. Dans le pire des cas, les activités sont bloquées ou annulées par manque de ressources ou parce que celles-ci sont allouées tardivement.

Dans de pareilles situations, le ministre des Sports est le seul à assumer et doit subir les foudres des fédérations et des sportifs ainsi privés de compétitions. Tout comme à la Primature, il se fait taper sur les doigts pour insuffisance de résultats. Personne ne voit en ces moments de déception et dépit les vrais responsables, ces autorités qui ont encore du mal à percevoir la particularité et les enjeux du sport.
Le plaidoyer des élus

C’est bien de se fendre en communiqués de presse et autres motions de soutien après chaque sacre de nos sportifs. Mais le soutien le plus judicieux est de doter le Département des sports d’un budget à la hauteur de nos ambitions sportives. Cette situation interpelle non seulement les décideurs, mais aussi et surtout les élus de la nation qui votent les lois de finances.

Et nous savons aujourd’hui que le perchoir est occupé pour cette législature (2013-2018) par un promoteur sportif (Centre Cheick Kéita d’athlétisme) et qui a occupé pendant de longues années le poste de premier vice-président du Comité national olympique et sportif du Mali (CNOSM). C’est dire que les difficultés liées à la gestion sportive ne sont pas inconnues de l’honorable Issaka Sidibé dit «Isaac» qui doit peser de tout son poids pour que l’exécutif puisse afin accorder au sport l’importance financière qu’il mérite.

Au Sénégal par exemple, après le plaidoyer des élus de la nation suite à des résultats sportifs encourageants, le budget global du ministère des Sports avait retrouvé un niveau satisfaisant avec un peu plus de 10 milliards Fcfa.
Selon nos récentes investigations, en 2015, il a été alloué au ministère des Sports près de 5 milliards de Fcfa, toutes charges confondues (salaires, subventions aux fédérations nationales sportives, fonctionnement…). Des ressources réduites d’environ 15% par rapport à l’exercice budgétaire écoulé (2014) et ne représentant que 0,3 % du budget national.

Malgré les difficultés signalées à qui de droit, il nous revient que le budget du ministère des Sports pour le 2e trimestre 2016 a connu une réduction d’environ 40% comme celui de plusieurs autres départements. Une initiative des hautes autorités pour «réduire le train de vie de l’Etat» et pour faire face à «certaines priorités du pays». Le sport, au Mali, n’en est pas une.

Au Sénégal, majorité et opposition avaient fustigé en 2014 le budget présenté par le ministère sénégalais des Finances en le qualifiant «d’anormal» dans un pays où «tout est priorité en matière de sports». Finalement, le budget du sport avait été ramené à un niveau acceptable par tous et surtout «conforme à la vision et à l’ambition du président Macky Sall dans les sports»

Les résultats obtenus au CHAN et au Mondial U20 de football, aux Jeux Africains et à l’Afrobasket féminin, avaient poussé l’Etat sénégalais à doter le département des Sports d’une réserve de 1,5 milliard pour les seules compétitions internationales.

Aux 11es Jeux africains de Brazzaville (Congo, du 2 au 19 septembre 2015), le Mali a réalisé la meilleure participation de son histoire à cet événement sportif. Notre pays a terminé sur la seconde marche du podium au CHAN «Rwanda 2016».

Au niveau du football, les Aiglonnets ont été champions d’Afrique et vice-champions du monde ; les Aiglons ont occupé la 3e place mondiale. Excusez du peu ! À part une exploitation politicienne de ces performances, rien d’autre, comme soutien politique pour consolider ces résultats et permettre à notre pays de s’imposer davantage dans le gotha des grandes nations de sport sur le continent.

Au finish, l’espoir déçu d’une dotation conséquente condamne le ministre des Sports, comme à faire de vrais miracles avec la portion congrue du budget national ! C’est cela aussi le Mali émergent !

Alphaly